INTERVIEW MONSTRE: KINO FRONTERA: "Pour les Marseillais la scène actuelle est vraiment énorme, variée et de qualité"
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| Patrice Rault |
On présente souvent Marseille comme une ville sinistrée en ce qui concerne le rock. Pourtant, voici une nouvelle preuve éclatante de la vitalité de la scène rock de cette ville. Kino est une des figures incontournables de la cité depuis de nombreuses années. Il nous propose cette fois-ci son premier album solo paru chez Closer Records (une référence !). Intégrant à merveille les influences dont il parle plus bas, l'album distille un rock à la fois mélodique, reptilien et puissant aux guitares acérées et à la rythmique carrée. Les paroles, parfois teintées d'humour et souvent de poésie, tissent une ambiance lucide à la fois ironique et mélancolique. Donc rien d'étonnant à ce que nous lui ayons proposé de répondre à nos questions. Merci Kino pour le temps passé, ta gentillesse et ta disponibilité.
Question de goût: Quels artistes ont eu le plus d'influence sur toi. Peux-tu nous donner des exemples de cette influence? Quel artiste détestes-tu le plus et pourquoi n'a-t-il eu aucune influence sur toi ?
Il y en a forcément beaucoup. Certains depuis très longtemps, d’autres un peu moins. Si je dois désigner vraiment l’artiste majeur pour moi c’est David Bowie, à tous les niveaux : la richesse mélodique, le visuel, les textes, l’expérimentation, la diversité, il offre et représente tout ce qui me séduit dans la musique : de l’énergie, des mélodies, un univers... Et on pourrait constituer, en quelque sorte, une famille qui comprendrait Lou Reed (et le Velvet), Iggy (et les Stooges), Marc Bolan (T.Rex) et Roxy Music… ce pourrait être ma pentalogie. Tu remarqueras qu’il s’agit plutôt de chanteurs entourés de musiciens, ou en tout cas de groupes dans lesquels le chanteur est prépondérant. Il n’y a pas qu’eux bien sûr, j’ai aussi beaucoup écouté the Who, Led Zeppelin, le punk de 77 (mais pas le 77 de maintenant), Neil Young et depuis quelques années The Divine Comedy… Une liste très loin d’être exhaustive. Des exemples de cette influence ? Je pense que c’est assez évident quand tu écoutes ce que je compose, en tout cas, ce sont des références qu’on m’accole assez régulièrement. Pour entrer dans un côté technique, par exemple, j’utilise beaucoup l’alternance majeur/mineur qui est très présente chez Bowie (ou chez Divine Comedy). L’artiste que je déteste le plus ? Si je le déteste c’est sans doute que je n’arrive pas à le considérer comme un artiste. J’avoue que je ne me pose pas cette question mais si je devais désigner deux personnes à retirer de l’univers musical je dirais Phil Collins en tant que chanteur (mais pas en tant que batteur) et Joe Bonamassa… Je les trouve totalement dépourvus d’intérêt… Lisses et béats…
Question intellectuelle: Quel artiste non-musical (réalisateur, écrivain, peintre...) joue
un rôle important dans ton évolution musicale ?
De manière peut-être assez paradoxale je répondrai Boris Vian. En écartant le côté musical. Il aimait le jazz et le jazz m’insupporte, j’ai l’impression d’assister à des compétitions musicales ; il détestait le rock, et c’est ce que j’écoute. Mais j’adore son écriture. C’est peut-être l’écrivain que j’ai le plus lu et relu, et je crois que mon univers musical se situe entre l’Ecume des jours et l’arrache-cœur.
Question historique: Peux-tu résumer ton parcours musical et nous donner tes impressions sur chacun des groupes auxquels tu as participé ?
Ça serait sans doute trop long alors on va essayer d’aller à l’essentiel. Le premier groupe dont on peut trouver un témoignage télévisuel (vers 1984/85) c’est Party d’Athènes, groupe influencé à la fois par Prince et Japan avec un look et une attitude façon New York Dolls… Groupe dissout dans les substances, mais intéressant. Ensuite vers 87/88 il y a une formation plutôt dans un esprit « cold wave/synthé » : Jet Courier. Un groupe formé avec deux membres de Corps Diplomatique (Patrick et Marie-Eve) qui ne fera qu’enregistrer. Pas de concerts. Le côté amusant c’est que le disque sort ces jours-ci sur le label Infrastition (Jet Courier – Take the world). C’est amusant d’écouter plus de 35 ans après. Mais il y a belles mélodies, un bon son, malgré les moyens d’époque (home studio) et c’était cool de redécouvrir ça… Entre 90 et 2010 il y a pas mal de groupes et un retour vers les guitares en jouant notamment avec Florian (ex-Torpedoes) et Jean-Luc (ex-Bootleggers, Emma Peel), entre autres, et beaucoup de covers. On va dire que les choses plus sérieuses recommencent à partir de 2012 avec Jim Youger’s Spirit et 2013 avec Doc Vinegar, les deux groupes en parallèle jusqu’en gros… au Covid. JYS c’était psychedelic/dark/country/folk, comme on disait. C’était cool à faire et surtout c’était un groupe qui faisait beaucoup de scènes, plus d’une centaine de concerts quand j’y étais. J’y ai tenu successivement une guitare puis la basse. Et Doc Vinegar c’était une power-pop très agréable qui me permettait de jouer de la 12 cordes. Ensuite on a monté the Lemon Cars avec Michel Basly des Cowboys from Outerspace. On n’a fait que quelques concerts et enregistré un album qui ne sortira jamais (mais peut-être que les morceaux reviendront autrement), mais c’était vraiment un truc puissant. Un mauvais calendrier…
Question «soutien»: Qui t'a le plus aidé dans tes aventures musicales, sans lequel tu n'aurais pas eu la même évolution ?
Question difficile. J’aurais tendance à dire que, sur les dernières années il y a Jearc (Local 54 Studio), avec qui j’ai enregistré cet album et qui me donne confiance dans ce que je suis capable de produire musicalement et, sans doute, Michel Basly qui sait faire « sortir le rock de ma pop »… Mais sinon, j’ai joué avec énormément de musiciens et chacun (ou presque) m’a fait évoluer.
Question Spinal Tap : Quelle est la chose la plus stupide qui te soit arrivée ?
Je n’ai pas une très bonne mémoire de ma propre vie. J’oublie assez facilement des pans entiers de mon existence. Je suis le contraire d’un hypermnésique… mais je retiens les chiffres. Je pourrais sans doute retrouver une chose stupide, pas certain que ce soit la plus stupide. Assez récemment il m’est arrivé de me pointer au bureau avec ma valise, pour un déplacement… prévu pour le lendemain… Est-ce assez stupide ?
Question amusante : Quelle est la chose la plus amusante qui te soit arrivée ?
Très franchement, j’espère qu’il m’arrive souvent des choses amusantes, j’en suis même persuadé… mais je les oublie aussi. Ah oui, en prenant le petit-déjeuner sur la terrasse du Lido Beach à Hyères, magnifique établissement tenu par Spagh, le guitariste des Cryptones, je me suis fait chipé mon pain au chocolat par une mouette. En fait, je ne sais pas si c’est le plus amusant ou le plus stupide.
Question artistique: Quel livre, quel film, quelle série télé, quelle émission de radio, quelle BD aimes-tu vraiment ?
Pour les livres, j’ai cité Boris Vian, mais un de mes livres favoris est “Des fleurs pour Algernon” que j’ai dû acheter un nombre incalculable de fois, prêter et racheter. Un film préféré je ne pense pas, mais j’ai du regarder plus d’une vingtaine de fois chacun « l’armée des douze singes », « usual suspects » et « seven »… et les films de Lautner ! Pour les séries télé c’est évidemment « The Avengers » et dans les plus récentes « Breaking Bad ». Je ne suis pas très radio, c’est un mode de fonctionnement, dicté par les horaires qui ne me convient pas vraiment. En BD je suis fan absolu de Gotlib, de Gaston Lagaffe et j’adore les dialogues dans Achille Talon.
Question technologique: Quel est ton sentiment par rapport à l'évolution des supports technologiques pour la diffusion de la musique (du 45 tours au téléchargement et au streaming). Es-tu plutôt nostalgique ou fataliste ?
Quand le CD est arrivé, j’ai fait longtemps de la résistance; puis un jour tu lâches l’affaire et tu écoutes des CDs, mais ça modifie ton rapport à la musique, tu n’écoutes plus de la même façon. Mais le côté pratique finit par te convaincre… Et puis le vinyle revient et on te parle du son… Je ne suis pas un fanatique du son et le vinyle c’est surtout ce que permet la pochette par rapport au CD qui m’intéresse. C’est un objet, ce qu’est plus difficilement un CD, même si on peut quand même faire des packagings intéressants. Le mp3 c’est encore autre chose. Ca m’a permis d’assouvir à moindre frais une certaine tendance à la “collectionnite”. J’ai énormément téléchargé, illégalement, en considérant que de toute façon, je n’aurais jamais acheté plus que ce que me permettait mon pouvoir d’achat et que donc soit je téléchargeais soit je n’achetais pas et que les groupes n’étaient, en définitive, pas lésés. Le téléchargement n’empêchait pas d’acheter. Le streaming c’est plus compliqué. En dehors du fait que ça rapporte plus aux plateformes qu’aux artistes, c’est un mode de consommation qui ne permet pas, à mon avis, de prendre le temps nécessaire pour écouter réellement la musique. Mais sans doute la vie actuelle fait que ce temps là soit on ne l’a plus, soit on ne veut plus le prendre… J’ai fait de la résistance assez longtemps, j’en fais toujours en n’ayant aucun abonnement à ces plateformes, mais j’y ai mis ma musique parce que j’ai fini par comprendre que ça ne ferait pas vendre moins de disques… en tout cas, pas moins qu’en ne les proposant pas en streaming.
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| Catherine Biasetto |
Question « copinage »: Quel groupe actuel pourrais-tu conseiller aux lecteurs des Monstres Sacrés et pourquoi ?
Actuel, c’est compliqué pour moi. Ça fait un moment que je n’ai pas entendu quelque chose qui me fasse vraiment tomber de la chaise. Mais cette semaine j’ai écouté « Crayola Lectern » qui sera certainement une belle découverte pour ceux qui aiment l’alliance entre l’orchestration et la fragilité. Sinon il faut écouter Peter Perrett.
J’ai toujours eu du mal avec la scène rock française. Je crois que la France a toujours raté ses rendez-vous avec le rock. D’abord dans les années soixante en proposant des pastiches yéyés puis dans les années 80 avec ce mélange punk/chanson française que personnellement je n’ai jamais aimé. Bien sur tout n’est pas à jeter… mais je remplirais quand même pas mal de poubelles. A côté de cela, actuellement je passe plus de temps dans les petites salles que dans les grands concerts et je vois un certain nombre de « petits » groupes très intéressants, de musiciens talentueux et souvent plus originaux que pas mal de groupes médiatisés, français comme étrangers.
Question chauvine: Peux-tu nous citer (entre 5 et 10) tes groupes français (marseillais?) préférés ?
Pour les français, ça va aller vite : Jad Wio, Marquis de Sade, Taxi Girl. Pour les Marseillais la scène actuelle est vraiment énorme, variée et de qualité : toujours les Cowboys from Outerspace (qui sortent un nouvel album en novembre), No Jazz Quartet, Parade, Sovox, Catchy Peril, Ave Manaa, Flathead, Lodi Gunz… à voir sur scène s’ils passent par chez vous.
Question mondialiste : Peux-tu nous citer (entre 5 et 10) tes groupes étrangers préférés ?
Il n’y a pas vraiment d’ordre mais the Who, the Stooges, the Kinks, Led Zeppelin, Blur, XTC, T.Rex, Velvet Underground et j’en oublie certainement entre 100 et 200 que j’adore aussi.
Un grand merci, Kino !




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