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INTERVIEW ANTOINE "TATANE" MADRIGAL : NINETEEN - DIG IT! ET L'AVENIR DES DISQUAIRES

Antoine Madrigal est à l'origine du fanzine Nineteen. Il a aimablement accepté de répondre à nos questions. Interview !

Comment es tu arrivé dans le rock ? Quel a été ton premier coup de cœur, ta rencontre avec cette musique ?

Quand j étais ado j’entendais parler des Stones, des Beatles, du rock avec Salut Les Copains mais dans le village où j’habitais ce n’était pas courant, c’était plutôt la variété et le rugby… les premiers disques achetés ont été le Live At Leeds des Who, Led Zeppelin II … et Self Portrait de Dylan… Je me suis mis à lire Rock And Folk et Actuel première formule

Mais pour le coup de cœur c’est surtout par un copain plus grand que moi qui m’a fait découvrir le rock anglais des 60’s… Et les Kinks… Le coup de cœur. Et après cela a été de fil en aiguille….

Avant Nineteen, tu écrivais dans des fanzines ? Tu étais déjà dans ce milieu ?

Avant Nineteen, je n’ai jamais écrit dans un fanzine, j’étais un simple amateur de rock et comme beaucoup je lisais Rock & Folk. Je me souviens qu’il y avait un journal qui s’appelait Pop Music. Chaque fois que je pouvais j’allais aux concerts qui se faisaient dans le coin et quand je suis arrivé à Toulouse, c’était à fond.. du moins quand on pouvait rentrer. Il faut dire que pour les concerts organisés par les « pro » de l’époque, on ne voulait pas payer. « Riot In Toulouse » de Little Bob….

Plus tard j’ai découvert Bomp, à qui j’achetais par correspondance des disques, j’affinais mes goûts… Et je me suis mis à lire les fanzines français qui sont sortis après le punk….


Que penses-tu du fait que Nineteen soit considéré comme la bible du rock en France de 82 à 88?

La bible ? c’est peut-être un peu exagéré (sûrement mon côté anti clérical), on ne s’en rendait pas compte sur le moment et on ne le faisait pas pour ça mais avec le recul, cela fait plaisir. Cela veut dire qu’on avait une certaine crédibilité auprès des lecteurs et qu’on était en phase avec l’effervescence qu’il y avait à l’époque.

Ceci dit il faut nuancer car à ce moment là il n’y avait pas beaucoup de fanzines qui étaient sur ce terrain.

D'où vient ton amour pour les laissés pour compte ou allumés du rock ? L'as-tu toujours ou est-ce-que la lecture de Rock & Folk est suffisante pour toi ?

Quand le rock est devenu « commercial » ou une « affaire de musiciens » (cf le progressif), il m’intéressait moins, il me manquait quelque chose, le rock était la bande son d’une révolte ou du moins on le voyait comme ça. Et comme d’autres je suis allé chercher sur les bords ou découvrir les « oubliés » du rock (Groovies, New York Dolls).

Peut être parce que cela me parlait, je préférais les groupes qui voulaient mener leur barque comme ils l’entendaient sans se soucier d’une reconnaissance éventuelle par les mass media et le grand public.

Beaucoup d'anciens "Militants" du fanzine se sont "retirés" et se concentrent sur leurs valeurs sûres en ignorant plus ou moins l'actualité. Que penses-tu de cette approche ? Est-ce le chemin "normal " à ton avis ?

C’est une attitude qui peut se comprendre. Quand tu t’impliques à fond dans une agitation et que cette dernière périclite, c’est normal que tu décroches. Par contre il n’y a rien de plus insupportable que l’attitude d’ancien combattant et dans le rock il y en a beaucoup… Que tu ne te reconnaisses pas dans ce qui se passe ou que tu n’y trouves pas ton compte pour x raisons, ok mais laisses les nouvelles générations faire leur propre chemin…

Es tu toujours en contact avec les anciens de Nineteen ?

A part Benoit, avec qui je bosse à Armadillo, je n’ai plus de contact à part pour la préparation des deux volumes de Nineteen… Sinon je voyais souvent Gildas de Dig It avant qu’il ne décède

As-tu encore des enregistrements de l'émission radio "Going Loco", peux-tu nous raconter cette aventure à la radio ? Était-ce comparable avec le DIG IT RADIO SHOW ?

Pour ma part je n’ai aucun enregistrement de l’émission et à l’époque on n’y pensait même pas.. Avec le recul je me dis que cela aurait été une bonne idée pour conserver une mémoire mais bon on n’y pensait pas. C’est comme pour les affiches de concert, on ne mettait pas l’année, cela paraissait évident et maintenant on ne sait plus en quelle année le concert a eu lieu.

« Going Loco » était l’émission de radio,associée à Nineteen… La bande son en quelque sorte. C’était l’occasion de faire entendre les groupes dont on parlait dans le journal, A l’époque il n’y avait pas internet et la plupart des radios n’étaient pas très « groupes à guitares ». Pour nous c’était un tout, il y avait le journal et la radio mais on organisait aussi des concerts.

Et quand Nineteen s’est arrêté, l’émission a continué et devenue par la suite « Dig It »

En quoi as-tu conseillé ou aidé DIG IT! après la fin de Nineteen ?

Voir le papier paru dans le dernier n° de Dig It https://drive.google.com/file/d/1pehFqHeGmdXO1u9UWxtZiNSs57O5bavj/view

Quelle était la vision de Nineteen à l'origine? Aviez-vous des choses interdites ?

Il n’y avait pas de choses interdites à part peut-être quelques groupes douteux mais on n’avait pas l’idée de couvrir toute l’actualité du rock. Au départ, comme pour beaucoup de fanzines, l’idée était de parler des groupes qu’on aimait bien et petit à petit la politique rédactionnelle s’est affinée, en fonction des rencontres, de l’actualité et de nos goûts personnels. Si on n’a pas parlé de certains groupes, notamment de la new-wave ou du punk, c’était simplement parce que d’autres fanzines le faisaient….

D'où venaient les informations à cette époque, les cherchiez-vous dans d'autres fanzines ?

Au début les infos étaient glanées un peu partout. Après, on a eu les infos par les labels ou les groupes que nous contactions ou des interviews après les concerts.

Quand vous rencontriez une personne qui de par ses connaissances aurait eu un grand apport au zine, aviez-vous envie de la motiver à le faire ? Avez-vous eu souvent des acceptations qui n'étaient que du vent ?

Demander à quelqu’un d’écrire est un peu délicat s’il ne fait pas lui-même la démarche..

Certains de nos collaborateurs étrangers faisaient déjà des fanzines ou ils y écrivaient.

Quelles personnes étaient la "base" du fanzine et que faisaient-elles?

Il y avait Benoît, Monique et moi après il y avait des gens qui nous aidaient pour la fabrication et la diffusion. Sinon le trio ne faisait pas grand-chose, on était pions ou au chômage.

Quels journaux ou fanzines vous ont inspirés et pourquoi ? Qu'avez-vous retiré de chacun d'eux ?

Il y avait Bomp avant qu’on commence. Ensuite il y avait Blitz, Bucketfull Of Brains ou Next Big Thing… On aimait leurs choix musicaux et leur démarche….

Avez-vous résisté au copinage ?

Cela n’a pas été facile mais on a résisté. Quand on aimait un groupe, on se demandait « est ce qu’il faut en parler ? Est-ce que si on ne les connaissait pas, on en parlerait ? »

A partir de quand avez-vous commencé à avoir de l'importance dans le milieu rock français ?

J’ avoue que je ne sais pas car notre « importance  dans le milieu rock » était liée à l’effervescence qui existait à ce moment là… Et pour ce qu’on appelait « les guitar bands », il n’y avait pas trop d’écho dans la presse.

Y avait-il une "guerre" entre les différents fanzines à l'époque ?

On était trop occupé à faire le canard et les émissions pour le voir. De plus on n’était pas dans les mêmes registres musicaux que la plupart des fanzines.

Regrettes-tu parfois que Nineteen ne soit plus là ? Rock Hardi existe toujours par exemple, n'as-tu pas envie parfois de remettre la main à la pâte (ou faire un site web) ?

Pas de regret, cela a correspondu à une époque et qu’il y ait encore maintenant des fanzines qui mettent la main à la pâte pour partager ce qu’ils aiment est toujours une bonne chose. C’est bien qu’ils existent…

Que retires-tu de l'aventure mensuelle de Nineteen en 85, la regrettes-tu ?

L’idée de départ était bien mais on a présumé un peu de nos forces. Un mensuel c’est beaucoup de boulot, d’autant qu’au-delà de l’écriture des articles, on s’occupait de la fabrication… Après se posaient deux questions : 1°/ est-ce que l’actualité qui nous plaisait aurait été suffisamment dense pour remplir le journal sans se répéter et 2°/ la question du financement… Sans pub, cela était impossible de continuer, il est vrai aussi qu’on était un peu à cheval sur nos principes pour accepter n’importe quelle pub.

Était-ce un plaisir de faire Nineteen, ou plutôt une source de stress ? 

Le plaisir était quand le numéro sortait de l’imprimerie… Du stress peut-être pas mais du speed oui… Dès qu’un numéro était sorti, il fallait penser au suivant, il fallait penser au contenu et aussi à la diffusion….

Que penses-tu des zines actuels tels que Dead Groll ou Rock Hardi ?

Je t’ai répondu plus haut…

Que penses-tu des blogs tels que le nôtre par exemple?

Je ne suis pas très internet mais je trouve que c’est bien qu’ils existent… Comme disent les espagnols, « guardar la memoria y compartir »… Témoigner de ce qui se passe, conserver cette mémoire hors des circuits officiels et la partage….

Comment avez-vous travaillé avec des correspondants étrangers tels que Lindsay Hutton dont The Next Big Thing inspira Going Loco ?

A part pour Frank Besson à qui on avait demandé la permission de traduire son interview de Peter Case, paru dans Blitz… Après il nous envoyait régulièrement des articles et il vivait à Los Angeles

Pour les autres, cela s’est au fil du temps et des rencontres (directes ou par courrier), ce milieu était assez petit et il y avait pas mal de relations entre nous. Je crois que c’est vrai pour tous les milieux qui sont sur les mêmes thèmes

Peux-tu nous raconter des anecdotes sur la participation de Gildas Cosperec dans Nineteen ?

Gildas était bien plus impliqué dans l’émission que dans le journal lui-même

Pouviez-vous vivre du fanzine ?

La réponse est catégorique : non…. Et pour nous, ce n’était pas le but !!!

Est-ce-que le manque de retour du lectorat était pesant pour vous?

Pesant n’est pas le mot juste mais un peu frustrant. Quand un groupe monte sur scène, il voit de suite les réactions du public qui est devant lui. Pour un fanzine c’est différent. On voyait bien que Nineteen se vendait et on avait pas mal d’abonnés, cela voulait dire qu’il plaisait… A l’époque, il n’y avait pas de mails ou facebook…..

Quand Dig It! est arrivé, l'as-tu considéré comme le petit-frère de Nineteen ?

Il s’inscrivait dans la même logique. Au départ c’est Benoît qui a donné l’idée, il voulait remettre le couvert et l’équipe existait déjà puisque c’était le staff de l’émission Dig It

Quelles sont à ton avis les différences entre les deux ?

Dig It est plus sur la scène garage. .. Et il était le support papier de l’émission du même nom….

As-tu eu l'expérience que contacter des artistes étrangers était plus simple que des Français? Si oui, d'où penses-tu que cela vienne?

Pas vraiment. Avec les français, souvent cela se faisait suite à un concert. Avec les groupes étrangers, c’était plus long, cela se faisait par courrier

Que penses-tu du vedettariat et du nombrilisme de la scène underground française ? (Open Market et Zermati par exemple)

Tu veux dire de la scène underground parisienne ? C’est un grand débat avec beaucoup de sujets polémiques…

Quant à Zermati, il a eu un rôle important et quand il le faisait c’est par goût…. Il m’est arrivé à l’époque de Nineteen de le rencontrer.

Après, c’est la question que tu poses plus haut sur les anciens combattants.

Photo: Thierry Bordas
Comment se passait l'organisation des concerts à l'époque ?

Le groupe ou le tourneur nous demandaient si on voulait organiser le concert. Une fois tombés d’accords sur la dates et les conditions… On réservait la salle et après c’était l’affiche (on collait encore des affiches sur les murs), la bande annonce pour la radio. Et le jour du concert, cathering, réception du groupe, balance… Et s’occuper des entrées. On faisait tout de A à Z… à part de jouer sur scène ( !!!).

Quels sont tes meilleurs souvenirs et les grandes étapes de Nineteen à ton avis ?

Les meilleurs souvenirs restent les rencontres que Nineteen rendait possible, chose qu’on n’imaginait pas quand on a commencé le journal.

Qu'est-ce qui pourrait te donner envie de recommencer un fanzine ?

De recommencer non ! Il y a d’autres personnes qui le font et qui sont beaucoup plus en phase avec le présent. Pour ma part, cela correspond à un moment et ce que je peux faire d’une manière modeste est de transmettre une mémoire, de donner un témoignage… En évitant surtout de dire « avant c’était mieux ! »

As-tu encore des textes inédits de Nineteen, aviez-vous commencé de rédiger le numéro 26 ?

Je me souviens d’un interview de John Perry des Only Ones qui n’a pas eu le temps d’être publié

Aujourd'hui, tu es disquaire à Toulouse (le magasin Armadillo). Est-ce qu'on peut vivre raisonnablement de ce métier en 2022 ou bien faut-il avoir un autre emploi à côté ?

Vivre raisonnablement, pas vraiment mais tu t’y fais, tu te contentes de peu et avoir un autre emploi à côté c’est difficile à cause du temps. L’important pour nous était de ne pas avoir un patron sur le dos et tant pis s’il faut se limiter dans nos envies d’achat.

Le prix des disques a augmenté ces dernières années, même dans l'occasion, sur les marchés aux disques etc. C'est en train de tuer les disquaires ou pas ?

Cela ne fait qu’accélérer un processus qui date de bien plus longtemps…. La mort du petit commerce et a fortiori des petits disquaires. Il ne faut pas se faire d’illusions, si on a pu monter la boutique c’est parce que les grosses enseignes savaient que c’était sans avenir sinon elles auraient pris le « marché » comme dans les années 70.

Que penses-tu du « Disquaire Day » ? (« Record Store Day »)

Un alibi pour les gens qui l’organisent de se faire un nom… Et l’occasion pour des maisons de disques de vendre aujourd’hui des disques au prix du collector de demain.…

Je crois que tu as des liens avec le label Bang Records en Espagne. Quelle est ta relation avec ce label ?

A ne pas confondre avec Bang de Toulouse… Sinon avec les espagnols, on était surtout en contact avec Munster. Ils faisaient un fanzine et leur catalogue était en phase avec nos choix. On a bossé longtemps avec eux pour la boutique.

Antoine, merci d'avoir répondu à nos questions.


Note aux lecteurs : Nous recherchons la collection complète des 25 numéros de Nineteen, merci de nous contacter à monstres-sacres@yahoo.com !



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