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Une série B s'essaye dans la cour des grands ou l'histoire de HITLER'S MADMAN

 


En 1942, l’acteur John Carradine n’était pas encore cette idole des fanatiques de cinéma fantastique. Né à New-York, sa vie ne fut pas des plus enchanteresse. Il se retrouva à la gagner seul après avoir quitté le domicile familial à 14 ans. La raison pourrait sembler ridicule de nos jours, mais à l’époque, remplacer un pantalon usé n’était pas à la portée de chaque famille. Son beau-père ne le voulut pas, et son père étant décédé depuis 4 ans … Il n’avait plus de raison de rester encore longtemps dans cet endroit où il n’était pas désiré.

Son périple l’amena à la New Orleans où il découvrit Shakespeare et le théâtre. L’industrie du cinéma commençant à bien se développer en 1927, il tenta sa chance en partant en stop vers Hollywood. Sous le nom de John Peter Richmond, il commença à jouer de petits rôles.

C’est sous l’aile de Cecil B. Demille (remember Les Dix Commandements?) qu’il put apparaître dans Cléopâtre (Cleopatra - 1934)  et Le Signe de la croix (The Sign Of The Cross - 1932). Le réalisateur John Ford ne fut pas en reste et on le vit au côté du débutant John Wayne dans le film La Chevauchée fantastique (Stagecoach - 1939) qui consacra le Duke et plus tard dans Les Raisins de la colère (The Grapes Of Wrath - 1940). Fritz Lang s’intéressa également à cet acteur.


Il avait la possibilité de tourner pour différents studios dont la Universal qui était en plein boom avec ses films d’horreur. Il apparut très vite dans certains films du genre tel qu'aux côtés de Bela Lugosi et Boris Karloff dans Le Chat Noir (The Black Cat - 1934), ou dans L'Homme Invisible (The Invisible Man - 1933). Il refusa d’ailleurs de jouer Frankenstein dans le film de James Whale, car lors des essais de maquillages, il apprit qu’il n’aurait pas un mot à dire (dans tous les sens du terme !). 

En 1935, exit John Peter Richmond et welcome John Carradine.

Au début des années 40, vu que l’on ne lui proposait pas grand-chose d’autre ( il avait même perdu son contrat à la Fox), il était devenu un acteur de série B. La Monogram, PRC (Producers Releasing Corporation) et la Universal pour ses petites productions horrifiques alimentaient notre homme.

« I intensely dislike it. Most of the horror movies i did were cheap, low budget pictures ».


Est-ce-que ce jour de novembre 1942, quand il entra dans le studio Fine Arts de Santa Monica, pensait-il la même chose ?

Encore une série B à tourner en une semaine, cette fois, c'était un film de propagande anti nazi exploitant la mort de Reinhard Heydrich et le massacre des habitants de Lidile en Tchécoslovaquie.

Le 27 mai de cette année, le bourreau Nazi avait été victime d’un attentat. Il succomba aux suites de ses blessures le 4 juin. La vengeance des Allemands fut de tuer la population de Lidile. Seuls six enfants survécurent. Face aux répercussions dans la presse mondiale, l’écrivain Bart Lytton en tira vite le livre « Hangman’s Village ». Ce fut la base pour l’adaptation en film par PRC.

Ce studio sans moyens dégota un réalisateur qui avait déjà fait ses preuves en Europe. Detlef Sierck avait fuit l’ancien continent face aux menaces subissant sa femme de religion juive. Il travaillait depuis comme éleveur de poulets.


Cette demande était sa chance de revenir dans l'industrie cinématographique, il se devait de réussir.

Pour son premier film aux Etats-Unis, il contacta d’autres talentueux amis émigrés. Ce qui fit qu’à Hollywood le buzz commença à circuler sur cette série B pas comme les autres.

Douglas Sirk (eh oui, il était mieux de changer son nom si on voulait réussir à Hollywood) demanda d’abord à Eugen Schüfftan (Metropolis, Quai Des Brumes) d’être derrière la caméra. N’ayant pas d’autorisation de travail, son nom n’apparut pas dans le film. Le scénario fut travaillé par Emil Ludwig et Albert Joseph (connus pour le classique allemand de 1931 Hauptman Von Köpernick).


Un avantage du réalisateur est qu’il avait rencontré Heydrich lors d’une soirée de la maison de production Allemande U.F.A. Pour lui la ressemblance du bourreau Nazi avec Carradine était frappante « Carradine was Heydrich » déclara t-il.

L’acteur était le moteur du film. Ce qui est particulier dans le jeu de Carradine est qu’il l’interprète comme un « bad boy » des films de cette époque. Il est d’une cruauté et méchanceté exemplaire. Par exemple, il assassine froidement un prêtre tel un cowboy malfaisant dans un western. Par contre, la scène pendant laquelle il déclare son mépris du nazisme quand il est sur son lit de mort (n’oublions pas que c’est un film de propagande!) est excellemment jouée.

Le producteur du film, Seymour Nebenzahl qui était d’ailleurs aussi émigré, remarque vite que cette série B est bien particulière et que l’on pourrait en tirer plus. L’idée de la proposer à un studio majeur lui vient rapidement. Louis Mayer, patron de la MGM assiste ainsi à une projection privée. Il en ressort emballé, mais désire que des scènes soient ajoutées.

Ce fut le malheur du film, car le réalisateur Fritz Lang avait également décidé d'en tourner un sur le même sujet. Les premières prises de vue de son film Les bourreaux meurent aussi (Hangman Also Die !) sont faites en 1943. Bertold Brecht a en écrit l’adaptation et Heydrich n’apparaît pas dans le film qui a beaucoup d’acteurs en commun avec celui de Douglas Sirk.

Il est d'une qualité bien supérieure et a maintenant le statut de classique. Lang avait par exemple bien compris que si un film était Américain, les acteurs devaient sonner tel que dans ce pays. Douglas Sirk avait lui des acteurs qui voulaient parler avec un accent Européen, cela faisait plus "vrai" pensait-il (ils le faisaient malheureusement mal). Le jeu d’autres comédiens tels que Ralph Morgan et Patricia Morisson n’arrangeait pas le tout.



Fritz Lang sortit son film en premier, obligeant la MGM et Sirk à changer le titre de leur long métrage de Hitler’s Hangman en Hitler’s Madman.

Sirk détesta les nouvelles scènes ajoutées dans son film. Il les avait tournées en mai 1943 à Guliver City dans le studio de la MGM. Louis Mayer avait tenu à faire apparaître ses stars en herbe dans une scène durant laquelle Heydrich envoie des jeunes femmes du village au front Russe en tant qu'esclaves sexuelles. L’une de ces jeunes femmes étant d’ailleurs Eva Gardner, alors débutante.

Le film sortit enfin le 23 aout 1943 alors que Les Bourreaux Meurent Aussi le 23 mars. En France, il fut diffusé pour la première fois au Cinéma De Minuit en 1979.

Ce fut un échec, mais la carrière de Douglas Sirk fut relancée pour le plus grand bonheur des mélodrames et de Rock Hudson. Le réalisateur ne revit ce film qu’à la fin de sa vie, il ne l’aima pas du tout, mais lui reconnut quelques qualités. À vous de juger !


Alfredo



Hitler's Madman (1943 - USA) de Douglas Sirk. Avec Patricia Morison, John Carradine, Alan Curtis, Howard Freeman.



Sources :

https://mubi.com/en/notebook/posts/the-forgotten-douglas-sirk-hitler-s-madman-1943

https://www.cinema.ucla.edu/blogs/archival-spaces/2012/06/15/douglas-sirk-and-lidice-remembered











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