À LA RENCONTRE DU PHOTOGRAPHE BERNARD LEGON : "Cramps, le premier mot qui me vient c'est folie"

C'est en recherchant sur internet des documents concernant des concerts faits en France dans les années 80 que j'ai découvert des photos de Bernard Legon. Il est photographe et en voyant la qualité de ses photos, je pensais qu'il avait travaillé professionnellement pour la presse musicale. Ce n'était pas le cas, vous pourrez le lire dans les propos qui suivent. Nous avons la chance de pouvoir vous proposer ses clichés dans les prochaines semaines.
Si vous aussi, vous avez, des photos et des souvenirs à faire partager, c'est avec plaisir que le blog vous est ouvert. Le partage est la raison d'exister des Monstres Sacrés. Merci à vous Bernard de l'avoir fait.


Parlez-nous un peu de vous, comment avez-vous commencé à photographier des concerts ?

Né en 1958 dans les Alpes, j'ai commencé la photo en 1975 d'abord par la photo de sport (cyclisme), j'ai rapidement su que la photo (ou plus largement l'image) deviendrait mon activité principale ce qui s'est concrétisé en 1980 quand je suis allé en région parisienne pour faire une formation de prise de vue et labo. A l'époque le labo était le complément indispensable à la prise de vue. Pendant cette formation je suis allé voir Pat Benatar à l'hippodrome de Pantin (octobre 80), il en est ressorti quelques très mauvaises images, la complexité du sujet et l'ambiance m'ont donné envie de recommencer. En 1981, j'ai commencé à travailler en laboratoire près de Paris, j'ai donc pu assez facilement fréquenter les salles de concert, faire des images et les développer, parfois la nuit après le concert. Le fait de développer moi-même me permettait de maitriser certains points critiques, notamment l'exposition.

Vous souvenez-vous du premier spectacle que vous avez photographié ? Si oui, de quel concert s'agissait-il et comment avez-vous obtenu votre carte de presse ?

Après cette première expérience et après quelques autres plus fructueuses je me suis présenté avec mon book à la rédaction des deux magazines (Best et Rock & Folk) qui auraient pu être intéressés par mes images, aussitôt arrivé, aussitôt parti, ils avaient leur photographe depuis de nombreuses années et ils en étaient très contents.

Les débouchés étant rares à l'époque j'ai vite compris que la photo de concert ce serait pour mon plaisir, en amateur.


La photographie de concert était-elle votre travail à plein temps ? Si ce n'est pas le cas, que faisiez-vous d'autre ?

Mon métier consistait à tirer les photos d'autres photographes et à faire de prises de vues d'objets pour le commerce et l'industrie. Je faisais de la photo de concert avec la même application mais seulement pour les mettre dans des boites et occasionnellement les montrer à des proches.

Avez-vous dû surmonter des défis ou des obstacles au cours de votre parcours de photographe ?

Disons que le premier et rédhibitoire obstacle est de ne pas avoir trouvé de débouché à mes images, ensuite, sur les concerts, les choses étaient généralement simples, j'arrivais 3h avant l'ouverture des portes, je m'installais sur le côté, devant les haut-parleurs pour ne pas avoir le micro devant le visage du chanteur, ensuite il fallait jongler avec la lumière, le public, j'aimais beaucoup. Tout a une fin, vers 1984, c'est devenu de plus en plus difficile de rentrer dans la salle avec deux boitiers et quatre objectifs, lassé de jouer au chat et la souris avec les vigiles ou les assistants je suis passé à autre chose.

Est-ce-que les concerts que vous avez photographiés correspondaient à vos gouts musicaux, ou était-ce des commandes ?

Comme je n'avais pas de commande j'allais voir ce qui me plaisait ou m'intéressait photographiquement. Quelques erreurs de casting ; Joan Baez, Emmylou Harris,Toyah. Queen, je n'étais pas fan mais c'était un bon sujet, le résultat plait beaucoup aujourd'hui.


Avez-vous des souvenirs à partager des concerts des Clash, Pretenders, Stranglers, Siouxsie & The Banshees ?

Ah voilà des sujets qui me passionnent, Clash... que dire, monumental... Clash à Mogador, moment rêvé, concert sans fin, énergie sans limite, Clash à Mogador reste le grand moment de mes années de concert et bien au-delà. Stranglers, grands moments aussi, Mutualité, Balard, Zénith, les "vrais" Stranglers, Cornwell, Burnel, Black et Greenfield, j'aimais ces personnes, j'aimais cette période, après avoir fait la balance, ils sortaient dans la rue, allaient prendre un verre à côté, ils respectaient leur public, leur public les respectait, pas de gardes du corps, pas de cohue, ils étaient musiciens, nous spectateurs, pas de hiérarchie, pas d'idolatrie.

Siouxsie je l'ai vue à Mutualité, elle était accompagnée par Robert Smith, la foule qui pousse jusqu'à ce que la barrière devant la fosse cède, quelques blessés, un peu perturbant, le concert m'a peu marqué ni en bien, ni en mal. Enfin Pretenders, compliqué, c'était dans le froid hivernal de Nogent, à Baltard, difficile de rentrer avec le matériel, Chrissie qui se déchaine contre les photographes officiels et vire tout leur matériel à coups de pieds et s'arrête de chanter dès qu'elle voit un appareil photo, heureusement j'ai trouvé dans le public une jeune fille dont la longue chevelure m'a servi de camouflage, j'ai pu faire des images presque tranquillement, une a même été utilisée dans un ouvrage sur le groupe.


Une grande chance que j'ai eue c'est de voir la majorité des groupes dans leur composition "historique", j'ai revu Clash sans Mick Jones ni Topper, j'ai revu Stranglers sans Hugh Cornwell, c'était bien mais pas pareil.

Vous avez photographié par deux fois les Cramps. Est-ce un groupe que vous affectionnez particulièrement ? Racontez-nous votre point de vue de photographe face à ce groupe. Avez-vous également des souvenirs de ces concerts ?

Cramps, le premier mot qui me vient c'est folie, aller voir Cramps c'était plonger dans l'inconnu, la première fois à Bobino il y avait plusieurs groupes, Cramps passaient en dernier. Au fil des groupes le public était de plus en plus excité, assis, puis debout, puis sur scène, pour faire des images je devais avoir un coup d'avance, quand le groupe est arrivé j'étais sur les baffles, point de vue imprenable sur Lux et Ivy qui montrait ses dents aux spectateurs qui s'approchaient trop, concert de folie. La deuxième fois c'était à l'Eldorado, délire complet, Lux qui remplit son pantalon de canettes, de sous vêtements, de fleurs, jusqu'à ce qu'une plante verte n'achève le travail, là encore un grand moment. L'impression de faire partie des concerts grâce à cette proximité avec les groupes.

Qu'est-ce qui vous a permis de développer votre style en tant que photographe ?

La photo de concert rentre dans la catégorie "reportage" on a peu de latitude au niveau lumière, on peut jouer sur le cadrage en choisissant l'objectif ou le placement mais ça reste assez limité pour parler vraiment de style. Lorsque l'on recherche le style, l'innovation, on se retrouve vite dans la situation des groupes qui se déguisaient en punks mais n'avaient rien à dire et surtout pas la rage des vrais.


Où trouvez-vous l'inspiration ?

je photographie ce que j'aime ça me parait être l'essentiel, c'est mon unique inspiration.



Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui se lancent dans la photographie de concert ?

La photo de concert aujourd'hui est bien loin de celle d'hier, je vais exceptionnellement dans des concerts et je ne me reconnais pas dans la situation des photographes, arrivée au dernier moment, parcage entre des barrières, photos limitées à 3 titres, quelle tristesse, comment ont-ils pu accepter d'être traités ainsi ?


Pendant les jours précédents je n'écoutais que le groupe que j'allais voir, j'arrivais 3 heures avant, je rentrais dès l'ouverture des portes, je me mettais où je voulais, je photographiais quand je le sentais, parfois en commençant au 5 ème titre, etc ... la liberté en quelque sorte. Rien à voir avec les contraintes actuelles.

Quel est le moment dont vous êtes le plus fier en tant que photographe ?

Fierté, je ne sais pas, juste un peu de satisfaction quand je vois une image publiée dans un ouvrage, ce fût le cas pour Pretenders et Stranglers. Joie quand j'ai été contacté par Barbara Gogan des Passions qui aime beaucoup mes photos de leurs deux concerts parisiens au Rose Bonbon.


Quel est le meilleur conseil ou le conseil le plus mémorable que vous ayez jamais reçu ?

J'ai vu un reportage sur Robert Doisneau, il expliquait qu'il ne cherchait rien mais était disponible à tout. Être curieux, regarder, attendre.


Quel matériel avez-vous utilisé et utilisez-vous maintenant ?

En concert j'utilisais deux boitiers Nikon FE avec 4 optiques ; 200 mm, 105 mm, 50 mm, 24 mm.


Le 105 et le 50 étaient très lumineux, ce qui était bien utile, avec le 200 je faisais des portraits quand la lumière était suffisante, le 24 me permettait de faire quelques plans larges. Je chargeais un boitier en couleur (400 iso), un boitier en noir et blanc (Kodak Tri X 400 iso). En général j'utilisais mes optiques à pleine ouverture souvent à 1/125 ème, j'ajustais l'exposition au développement des films 400 iso c'était top, parfois il fallait pousser à 1600 ou 3200 iso. En général, un concert, c'était 4 pellicules (environ 150 images), rarement plus. Quand le concert durait 2 heures il fallait avoir le doigt léger.

Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez partager avec les photographes qui veulent suivre vos traces ?

Je crois que le secret vient des photographes animaliers, la photo est un acte final, la photo n'est envisageable qu'avec un sujet qu'on aime, d'abord on l'observe, on essaie de le comprendre, on l'écoute ensuite lorsque l'on s'en est suffisamment imprégné on peut commencer à faire des images, c'est bien loin des conditions actuelles de la photo de concert où tout doit être fait dans l'urgence... pourquoi ? Je ne comprends pas, sans doute uniquement pour satisfaire un entourage ou des organisateurs alors que dans un même temps des centaines de personnes font des images librement avec leur smartphone.

Avez-vous des projets, récemment terminés ou à venir, qui vous enthousiasment particulièrement ?

La photo de concert est bien loin désormais, j'ai arrêté le 22 janvier 1984 avec le concert des Lords of the new church, concert que j'avais très peu photographié m'étant retrouvé au balcon, il était devenu de plus en plus difficile de "vivre" un concert, au bord de la scène avec cette liberté qui m'est si chère. Depuis j'ai continué ma vie de photographe, principalement en photo d'objets, de la sculpture à la boite de conserve en passant par l'architecture ou la photo culinaire. En 2015 j'ai recommencé à photographier l'être humain, cette fois de manière plus intimiste, ce travail devait déboucher sur une expo... un jour peut-être.


Dans ces 50 ans de vie de photographe j'ai compris que les règles étaient toujours les mêmes ; un minimum de technique pour ne pas être bloqué inutilement puis aimer et sentir les choses, ne jamais photographier pour photographier mais photographier pour dire, pour montrer, pour expliquer.


Et se faire à l'idée que le spectateur voit généralement (pour ne pas dire toujours) le sujet et ignore la photo.

Merci Bernard



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