LES SEX PISTOLS AU CHALET DU LAC EN 1976 - HISTOIRE D'UN ENREGISTREMENT
Durant des années on savait que ces concerts mythiques pour la France avaient été enregistrés. Une K7 circulait sous le manteau, elle comportait quelques extraits coupés. Les photos de Ray Stevenson étaient également connues et il y avait un nombre impressionnant de personnes qui déclaraient avoir été là ! Une blague récurrente, mais peut-être que ces personnes ne mentaient pas car il y avait eu deux concerts le 3 et 5 septembre 1976. À qui se fier, Géant Vert avait écrit un article sur cet évènement et nous apportait plus d’informations. Il y avait des photos inédites qui trainaient et il connaissait le nom de la personne qui avait enregistré les deux concerts ! Maintenant, un des concerts circule, de l’autre on ne connaît que quelques morceaux … et encore est-ce vraiment cet enregistrement ? Celui daté du 5 a un bon son, mais il serait logique que ce soit celui du 3 qui soit le meilleur enregistrement. Que croire ? Nous avons essayer de mener l’enquête.
Pour cela nous avons questionné trois témoins de l’époque, Pascal Régoli qui a enregistré le concert et pris des photos. Hervé Zénouda qui a assisté au premier concert et Bernard qui a eu les cassettes dans ses mains afin de les faire plus connaître.
Situons d’abord l’époque et cette année 1976 et la musique que Pascal et Hervé écoutaient ….
Hervé : C’est l’article de Yves Adrien « Je chante le rock électrique » (Rock and Folk,1973 quand même !) qui a été décisif. Il nous a donné une esthétique, une voie à suivre et a mis le feu aux poudres. Ensuite, notre « université » rock a été principalement les concerts du Bataclan de l’émission « Pop 2 » de Patrice Blanc-Francard qui a eu une programmation absolument extraordinaire (Flaming Groovies, MC5, Velvet Underground, New York Dolls, Captain Beefheart…) Patrice Blanc Francard, mais aussi les deux boutiques des Halles : l’Open Market (Marc Zermatti) et Harry Cover (Michel Esteban). Esteban allait fréquemment à New York (vers 1975) et ramenait des cassettes du CBGB (principalement Patti Smith, Ramones, Television, Talking Heads). C’est plutôt cette influence New-Yorkaise qui a été primordiale pour nous. De mon côté, le choc musical a été très clairement du côté de Television et Talking Heads…
Pascal : En 76 je ne percevais pas grand-chose de ce qui se passait outre manche, j’étais dans les Ramones après les New York Dolls. J'étais aussi impressionné par les Modern Lovers première mouture, etc. On regardait plus du côté US (et bien sûr après toute la mouvance "Michigan", on a écouté les Stooges 1969 en 69 et 1970 en 70).
Hervé : J’ai fait partie de la première génération punk en France (1973-78), nous avons « grandi » en même temps que les premiers groupes anglais. Nous n’avons donc pas été influencé par eux mais nous avons eu la même trajectoire, les mêmes références (mais pas le même succès…). Ce que nous ressentions fortement c’est un sentiment d’urgence et que quelque chose de nouveau émergeait. Et ce, pas seulement en Angleterre mais partout (sans obligatoirement avec le même écho). On voyait donc que quelque chose arrivait mais on ne savait pas trop quelle forme cela allait prendre…Vers 1975, nous avons (Pierre Godard (Strike Up, Loose heart, 1984, Suicide Roméo) et moi) avons été régulièrement à Londres.
Nous étions en contact avec Glen Matlock depuis un moment, j’ai le souvenir d’une de ses visites à Paris où il nous a fait écouter les premières maquettes du groupe en studio (celles produites par Chris Spedding), je me souviens d’avoir particulièrement aimé le morceau « Problems » :=). Cela n’a pas été un choc ou une découverte mais plutôt un échange progressif. Nous avons donc connu leur musique d’abord et vu la construction par la suite de leur image sous l’influence de McLaren. Je me souviens avoir passé une après-midi à Londres avec les Slits et Sid Vicious, je ne sais plus trop quand c’était mais il n’était pas encore membre des Pistols. La rencontre n’a pas été mémorable (avec Sid)…
Pascal : Les médias à l’époque ne s’intéressaient pas à la scène « punk » naissante, il leur a fallu du temps pour y venir. Moi, je passais mon temps aux Halles, entre Harry Cover et la boutique de Zermati, on répétait avec mon groupe Angel Face en face, dans une ancienne murisserie de bananes de la même rue. C’était un petit monde qui se retrouvait souvent le soir dans les appartements des parents des « richards » Stinky Toys ou bien d’une autre personne qui avait un appartement de plus de 100 m² du côté de la rue des Martyrs (le papa était « conseiller fiscal »). C’est là que Vidéostone a tourné quelques séquences d’Accélération Punk, une grosse daube, mais avec quelques séquences rigolotes.
Hervé : Je me suis toujours tenu à distance de Zermati (à tort) car il était très caractériel et franchement souvent désagréable. Ce qui ne l’a pas empêché évidemment de faire beaucoup de choses formidables. Du haut de mes 20 ans, je pense que je le snobais un peu. Nous étions beaucoup plus proches de Michel Esteban (et de Lizzy Mercier Descloux) autour de la boutique Harry Cover. Nous avons répété dans les sous-sols de la boutique et Michel Esteban s’occupait un peu de nous. C’est lui qui nous a fait découvrir la scène New-Yorkaise de 1975 et nous a mis en avant sur la couverture de son magazine Rock News avec notre premier groupe Strike Up alors que nous n’avions pas fait le moindre concert (ce groupe se constituait de Pierre Goddard (Strike Up, Loose heart, 1984, Suicide Roméo) au chant, les frères Boulangers (Metal Urbain) aux guitares, Luc Tai aux claviers et moi-même à la batterie). Esteban représentait pour nous la personne branchée sur ce qui se passait. Tous les quelques producteurs que j’ai connus (Zermati, Esteban, Karakos, les gens de Dorian Record) avaient la réputation d’être des escrocs qui ne payaient pas les musiciens, mais force est de constater que sans eux, rien ne se serait jamais fait… Aucun doute qu’Esteban était aux concerts des Pistols, je ne sais pas pour Zermati. Je pense que c’est plutôt Pierre Benain qui s’est occupé de ces concerts mais peut être qu’Esteban y a participé.
C’est Pierre Benain qui organise le premier concert des Pistols à l’étranger. Il connaissait McLaren depuis quelques temps.
Pascal : Je crois que c’est Pierre Benain, un programmateur de concerts, qui a proposé cette affiche pour la réouverture de ce club à minets de Vincennes…
Hervé : Pierre Benain était un ami qui gravitait autour des Stinky Toys. C’était un branché parisien qui faisait de la photo (et qui a, plus tard, dirigé des agences de la communication). Il était charmant et intelligent et connaissait Malcom McLaren. C’est lui qui nous a présenté Bruno Carone pour jouer avec nous comme second guitariste, il nous a aussi accompagné à Londres pour le festival punk du club 100 en septembre 1976. C’est grâce à lui que les Toys y ont participé.
Pascal : Des invitations avaient été faites de différentes couleurs, j’avais eu une bleue, je crois, qui ne donnait pas vraiment de priorité à l’entrée. Comme j’étais équipé de mon Uher (magnéto portable) et de mes deux appareils photos, je suis passé plus facilement.
Hervé : C’est Pierre Benain qui m’a donné un ticket…
De nos jours on pourrait penser que ce fut un évènement important…
Pascal : Un évènement important, non pas vraiment, on ne les connaissait pas, mais tout le monde avait l’air de dire qu’ils étaient vraiment bons… Certains avaient déjà dû les avoir vus en Angleterre.
Hervé : Pas plus que ça… Et puis, c’était aussi pour nous l’occasion de découvrir la salle, puisque nous devions aussi y jouer quelques semaines plus tard…
Pascal : À l’intérieur de la salle, c'était étrange, entre le public habituel des lieux et des gens comme Yves Adrien qui ressortait, il avait aussi les cheveux très longs à l’époque, et les « rockers » parisiens pas encore vraiment en déguisement Punk, (lequel n’a vraiment existé en « masse » qu’au début des années 80 avec les Béru et Cie). Question ambiance, on aurait pu croire que les minets, plutôt beauf, auraient pu provoquer un peu les « rockers » mais non, ça a été calme, le « videur » en chef ayant réclamé que pour que le concert commence tout le monde devait être assis (par terre).
Hervé : Je pense que j’ai assisté au premier concert, il y avait du monde (des invités mais aussi du public)… C’était un concert assez foutoir, l’impression la plus forte était plutôt dans le look du groupe…
Pascal : Les Pistols, je les ai découverts au Chalet du Lac, très carrés, efficaces, énergiques…
C’est là que les enregistrements commencent…
Pascal : Les minets n'ont pas foutu le bordel le premier soir, le groupe tournait rond, comme mon magnéto, rien à dire de plus… Le premier concert, je m’étais forcé à ne pas trop bouger, pour l’enregistrement, le second, j'ai bougé, là, on n’était plus « assis », les deux sets étaient exactement pareils.
Au début de mon enregistrement il y avait le videur qui demandait à s'assoir.... Le son du deuxième concert était beaucoup moins bon. À part moi personne d'autre n'a enregistré, je l'aurais vu ce jour là. À un moment Zermati ou quelqu'un du genre avait dit avoir enregistré mais non... c'était pour se valoriser, il a dû juste avoir une de ces copies de cassette...
Je n'ai pas de calendrier, mais les Pistols en dehors de nos concerts avec Angel Face devait être l'un de mes premiers enregistrements... Je les ai toujours tout faits tout seul, sans le sou, avec des bandes "fines" qui parfois se vrillaient… le poids d'un âne mort ce Uher Report 4200 Ic , avec mon bricolage de batteries en plus…
À l’époque, on pouvait photographier et enregistrer sans problème pendant les concerts.
Hervé : J’ai écouté ces enregistrements à l’époque (ainsi qu’une grande partie des enregistrements de Pascal…)
Pascal : J’ai rencontré quelques jours plus tard par Hervé Zénouda Glen Matlock. Je n'en avais pas grand-chose à faire de plus, vu que je ne jactais pas un mot d’anglais. J'avais les cheveux très longs à l’époque, une sorte de fierté, ce n’était pas si simple. Il m’a dit qu’en Angleterre les punk courraient après les hippies pour leur couper les cheveux, j’ai trouvé ça très con, on avait déjà suffisamment à faire avec le système, déjà très con… Puis après a déboulé en France toute la vague UK, Clash, Damned… En quelques mois, c'est allé très vite.
Hervé : J’ai lu souvent que pour beaucoup de groupe Anglais (Buzzcock, Joy Division…), l’élément
déclencheur a été de voir les Pistols sur scène, rien de tout cela pour nous…
Enfin, Michel Esteban avait mis notre groupe de l’époque (Strike Up) avec les Pistols en couverture de son excellent magazine Rock News (mai 1976)…
D’un mouvement diffus sans direction esthétique précise, on est passé, avec le succès grandissant des Pistols à une construction visuelle et sonore plus définie. Certains ont donc fait quelques revirements spectaculaires.
Pascal : Rapport au petit milieu que je côtoyais, c'est surtout le concert des Clash au Palais des Glaces qui a redistribué les cartes, les trois groupes Pain Head, Loose Heart et Angel Face ont explosé nos "artistes" des Halles (les frères Cousseau, Hervé, les Pain Head, Henry Flesh décidant de suivre un style... "je découpe mes manches, je change mes guitares pour des japonaises et autres trucs d'ados de bourges". Fin de trois groupes - créations des Suicide Roméo... bref, presque 50 ans plus tard ça m'énerve encore, on était bien parti, ils ont tout cassé. Les Clash avaient une dimension politique, eux une dimension "artistique" bobo.
Hervé : Cela a provoqué, par exemple, l’explosion de notre groupe de l’époque Loose Heart (avec Pierre Goddard (chant /guitare), Pascal Regoli (basse) et moi-même (batterie). Pierre en effet s’est pris de plein fouet cette influence et est parti monter 1984 (dans une esthétique musicale et visuelle très proche des Clash). De notre côté, nous sommes restés à distance en continuant notre voie (Pascal avec Angel Face et moi avec les Stinky Toys). Denis (Jacno) des Toys s’est, pour exemple, toujours montré caustique avec l’influence Mac Laren sur les Sex Pistols. Les Toys, bien qu’au début de ce mouvement en France, ne s’est jamais défini comme strictement punk dans l’esthétique visuelle et musicale mais bien plus dans l’état d’esprit et l’énergie.
Mais est-ce-que ces concerts des Pistols ont été les plus importants pour eux ...
Pascal : J'ai bien aimé toute cette période "punk" UK, j'ai plaisir à voir la reformation des Sex Pistols en vidéo, sur youtube mais sans plus. J'ai mis un peu de temps à vraiment apprécier ce groupe, avec les disques quoi... Enfin le peu qu'ils en ont fait !
Hervé : Pas du tout :=)
Revenons aux enregistements et aux photos…
Pascal : J'avais vraiment pas un sou... et la photo, c'était cher... J'ai développé tous les négas noirs et blancs et fait les tirages… Quelqu'un m'a contacté pour autoriser mes photos sur le site des Sex Pistols mais ça n'a jamais été plus loin. Personne « de la presse » ne s’est jamais intéressé ni à mes photos ni aux enregistrements, pour eux, je suis « personne » c’est qu’avec le net que je les ai mises à disposition enfin surtout les enregistrements…
Les Pistols c’est la seule bande que j’aie « physiquement » vendu.
Bernard : La bande des Pistols a été acheté par Marc Bogard, un collectionneur qui avait aussi fait l'acquisition de GMG/L'Evasion. Marc est décédé en 2016. En 1993 j'ai essayé de démarcher Virgin Records pour publier ce concert. Je connaissais T.J. un familier du magasin Juke Box, ami d'un ami, qui avait un poste à responsabilités chez Virgin. Marc m'avait préparé une cassette échantillon (les morceaux étaient coupés) que j'ai confié à T.J. Sans succès : je n'ai eu qu'une réponse négative. T.J. a cessé tout contact avec moi après une sombre histoire d'article sur les Rita Mitsouko (alors chez Virgin Records) dans Jukebox Magazine. Je précise que je n'étais même pas l'auteur de cet article !??
Pascal : J'ai perdu la bande d’un des concerts… C'est Bernard qui m'avait fait connaitre cette personne, à un moment j'ai voulu lui racheter ça n'a pas pu se faire... si ce monsieur est décédé, qui les auraient ? je ne sais plus du tout ce que j'ai fait des bandes du deuxième concert pas plus que celle faite quand les stinky toys sont aussi passés au chalet…
À l’époque, je connaissais Gérald Guignot, on avait travaillé ensemble dans la même compagnie d’assurances, en gros de 73 à aout 76 (pour moi). On se faisait beaucoup de copies de cassettes, je pense que c’est comme ça que mon enregistrement est parti un peu partout….
Le voici par exemple sur youtube, voyons ce que dit Pascal de cet enregistrement :
Pascal : si c'est tiré de ma bande oui c'est le 3 septembre (Ndlr : et pas le 5). Non à part que le son était nettement moins bon puisque je bougeais, il y avait des bruits de frottements aussi... comme j'étais content du premier enregistrement je n'avais pas cherché à le "doubler" et d'autre part il me semble que pour le deuxième concert on était pas assis ... il y a un titre de la première bande dans une émission radio enregistrée par Alain Djebarri dans laquelle Julien et moi étions passés du côté de Versailles il me semble. Je dois avoir une copie quelque part de cette émission, je serais curieux de comparer avec le fichier youtube... faut que je cherche.
Et bien nous vous remercions Gérald d’avoir fait circuler au moins un des concerts. Merci également à Pascal, Hervé et Bernard pour avoir répondu à nos questions. Et si toi lecteur/trice tu as ce concert perdu dans sa collection, contacte-nous stp afin que nous le proposions sur le blog ! Merci aussi à un autre Hervé.
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