RÉTROVISEUR 2 - THE ROLLING STONES

 


Après la parution de l’album solo du Stone solitaire Bill Wyman puis l’édition du tant attendu et extraordinaire disque des Rolling Stones « Black & Blue », l’ouragan s’est abattu sur l’Europe depuis les 28 avril 1976 où il est tombé sur Francfort. Depuis, tel un cyclone, il a ravagé toutes les grandes villes d’Europe. Ainsi les 6 et 7 mai, Bruxelles tremble à son tour. Sans peur des risques, je pars au-devant des événements constater de visu l’importance des dégâts avant que les Stones n’atteignent Paris du 4 au 7 juin aux Abattoirs de la Porte de Pantin et Lyon le 9. Cela après un détour par la Grande-Bretagne pour terminer le 23 juin à Vienne, via Nice en plein air, le 13. Une tempête gigantesque comme n’en a pas rencontré le fan de rock européen depuis septembre 1973, et même septembre 1970 pour les Français. Une occasion exceptionnelle de vibrer au rythme de la Dame Electrique, en souvenir de Charlie Watts, mort le 24 août 2021 à l’âge de 80 ans, grâce à la tornade Rolling Stones. Encore une fois s’il vous plaît : THE ROLLING STONES, le plus grand groupe de rock au monde !


Grâce à nos amis Jean-François et Ralph de WEA France, votre rédacteur favori Jumpin’ Jack Rollin’ TheWhite est sur les lieux, prêt à affronter le spectaculaire show des Rolling Stones du 7 mai 1976 au Forest National de Bruxelles. Une salle de concert que l’on aimerait avoir à Paris à la place de l’immuable Pavillon de Paris que Mick Jagger définit si bien par le terme « Abattoirs ». Rendez-vous d’abord au Hilton, l’hôtel où logent les Stones et leur suite dans la capitale belge. Après une longue attente apparaissent les Meters, ce groupe de cinq afro-américains de la nouvelle Orléans qui assure la première partie du concert. Ils sont suivis de Billy Preston – qui s’est coupé les cheveux – et Ollie Brown, les deux accompagnateurs de choix des Stones. C’est maintenant au tour du fidèle Ian Stewart de débouler avec Marlon, le fils de Keith, précèdent de peu Charlie Watts avec une calvitie de plus en plus avancée. Enfin, voici Keith Richards et l’inséparable Ron Wood qui traversent le hall du Hilton. Les photographes les mitraillent. Keith, plus cool que jamais, arborant un t-shirt Bob Marley, et Ron Wood, plus Stone que les Stones, accordent quelques dédicaces avant de s’engouffrer dans leur limousine.

Nous n’attendrons pas l’arrivée de Mick Jagger et Bill Wyman, l’heure du spectacle venant de sonner. Direction le Forest National où là encore, malgré une salle comble, l’ambiance est cool. Il est à noter que partout où passe le périple européen des Rolling Stones aucun affichage spécial n’a été fait. Juste quelques annonces à la radio (RTL pour la France) de façon à éviter le plus possible l’affluence, toutes les places s’étant vendues en un temps record. Et comme la demande est de loin supérieure aux entrées disponibles, cela est censé diminuer les émeutes. Pour exemple, et bien qu’on le nombre de shows ait été doublé en le portant à six, il y a plus d’un million de demandes pour le passage de Mick et sa horde à Londres. Il faudrait quelques soixante-dix concerts pour contenter tout le monde dans la capitale anglaise. Bien évidement tous les records sont battus !


Retour à Bruxelles où les Meters sont déjà sur scène. Comme d’habitude pour leurs premières parties, les Rolling Stones payent leur redevance à la musique noire. Ike & Tina Turner, BB King, Buddy Guy & Junior Wells, Stevie Wonder ont déjà bénéficié de ce renvoi d’ascenseur. C’est aujourd’hui aux Meters d’en être les bénéficiaires. Si le public blanc a toujours dans sa majorité accepté la vulgarisation faite par les Stones du blues et de la soul music, il demeure plus mitigé dans son appréciation de l’offrande du retour aux sources pour les Meters. C’est dommage car ils constituent un groupe fantastique interprétant une musique torride, empreinte d’un rythme frénétique, celui de New Orleans (Cf. Allen Toussaint, Fats Domino, Dr. John) qui a fortement influencé les musiciens de la Jamaïque dans l’élaboration du reggae. Une solide prestation donc pour les Meters pour nous mettre en appétit avant les Rolling Stones.

Au Forest National, malheureusement pas de scène en Lotus ni de phallus géant, mais il n’en demeure pas moins que grâce à le seule présence des Stones, le concert est tout simplement grandiose. Pour piger l’atmosphère, il faut imaginer qu’ici l’éclairage est indirect, les projecteurs partent de derrière la scène pour être renvoyés sur les Stones par un jeu de miroir incliné au-dessus du public. Approchez-vous un peu que je vous présente nos amis. A l’extrême gauche derrière ses claviers Billy Preston, sur l’estrade au fond Ollie Brown aux percussions. A droite sur le devant, leur nouveau guitariste, efficace en diable, Ronnie Wood. A l’extrême gauche, imperturbable mais omniprésent, Bill Wyman. Sur le devant du promontoire, à la batterie, le légendaire Charlie Watts. A sa gauche, le roi du riff, Mister Travellin’ Guitar Keith Richards. Ovation. Projecteur braqué, sur l’avant-scène en arrondie située presque à hauteur du public, la superstar des superstars, j’ai nommé Mick Jagger. Délire dans la salle. L’intro de « Honky Tonk Women » résonne, annonçant le démarrage d’une prestation magistrale comme on n’en voit rarement en dehors des Rolling Stones. A vrai dire, la dernière fois qu’un tel événement s’est produit ici, au Forest National, c’était en septembre 1973 avec, mais oui… les Rolling Stones ! Ils ne sont tout de même pas le meilleur groupe de rock au monde pour rien. Non mais !


Mick Jagger, plus jeune que jamais, comme s’il avait toujours vingt ans, danse sur le devant de la scène et nous nargue. Ils s’attaquent au plus vieux titre de leur répertoire joué ce soir, le superbe classique « Get Off Of My Cloud », qui introduit de larges extraits de leur dernier album, le splendide « Black & Blue ». Un disque longtemps attendu où les Stones prouvent de belle façon qu’ils sont toujours les meilleurs et dominent incontestablement le lot des autres super rock-stars au cours des huit plages contenues. De ce fulgurant pressage, les Rolling Stones interprètent le brûlant « Hand Of Fate », le reggae « Hey Negrita », le gigantesque tube « Fool To Cry », et le génial disco-soul « Hot Stuff ». Le tout est joué sur une rythmique implacable sur laquelle Keith et Ronnie greffent de courts solos des plus incisifs. Quant à Mick, véritable bête de scène, il subjugue magnifiquement son public jusqu’à l’extase, l’invectivant dans un français des plus corrects.

Retour ensuite à un passé guère plus lointain avec « Tumblin’ Dice », avant que Keith ne s’attaque à la fameuse intro de « Star Fucker » où Ian Stewart s’installe au piano en compagnie de Billy Preston. Après ce morceau de bravoure très rock’n’roll, le groupe se lance dans l’interprétation remarquable de « You Gotta Move » dont le final est chanté à l’unisson par Mick, Keith, Ronnie et Billy. A peine le temps de souffler que déjà les Stones nous balancent l’inoubliable « You Can’t Always Get What You Want » que la foule en transe reprend en chœur avec Mick. Ce dernier cède sa place à son compère Keith pour le standard suivant, l’enthousiasmant « Happy », où les deux amis chantent le refrain ensemble. Là encore Stew est aux claviers.

Il est temps pour Mick de laisser Billy Preston faire son numéro pour deux de ses compositions, ses tubes « Nothin’ From Notin’ But Nothin’ » et « Outta Space » où il danse comme un fou sur l’estrade qui surplombe le derrière de la scène. Il est rejoint par un Mick Jagger en très grande forme qui, tel Tarzan, agrippe une corde descendue du plafond et se lance à plusieurs reprises dans le public en délire. C’est l’instant le plus spectaculaire du show qui marque l’accélération du concert puisque ce passage annonce le démoniaque « Midnight Rambler » et son break qui vous laisse pantois. Mick, à l’harmonica, lacère la scène de coups de ceinturon. La tension monte, les riffs de Keith sont de plus en plus hachés L’excitation, inexorablement, atteint son point culminant. Mick Jagger crie dans son micro : « Vous êtes fatigués ? » La salle, d’un bloc, répond : » Nooonnn ! » Une exclamation sincère. « Vous aimez le rock’n’roll » ? demande Mick en s’avançant tout près des fans sur l’avant-scène, et c’est « It’s Only Rock’n’Roll, But I Like It » où il interprète le refrain avec Ronnie. Si l’on a toujours une pensée émue pour la figure de légende représentée par feu Brian Jones, malgré toute l’admiration que je porte à Mick Taylor comme guitariste, sa présence est, il faut bien le dire, vite oubliée, tant Ron Wood est à sa place comme Rolling Stones aux côtés de Mick, Keith, Bill et Charlie.


Leur prestation chauffe à son maximum avec en apothéose la charge de l’artillerie lourde. Keith arrache littéralement les accords de sa guitare, et Mick nous crache à la face « Brown Sugar », « Jumpin’ Jack Flash » et « Street Fighting Man ». C’est fini. Jamais de rappel avec les Rolling Stones. On reste là, abasourdi par une telle énergie. Oui, encore une fois, ils nous ont pris à leur piège satanique et tout cela avec simplement une énorme dose de rock’n’roll. Qu’il est bon d’être violenté par les Rolling Stones. Vivement la prochaine fois. A Paris.

Jacques LEBLANC

Juke Box Magazine

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