PATRICK FOULHOUX : L' INTERVIEW - "On m'a souvent utilisé dans la presse magazine, j'étais la "caution punk" (1/2)

Patrick Foulhoux est une des figures marquantes de la musique qui nous passionne. Son nouveau livre consacré au label "Black & Noir" sort cette semaine. C'était l'occasion idéale pour lui poser de nombreuses questions. Voici la première partie de notre interview dont vous pourrez lire la suite demain. Merci à lui pour le temps consacré à nous répondre !


Tu es originaire de Clermont-Ferrand. Est-ce-que cette ville a toujours été l'endroit où tu as voulu vivre ? As-tu eu ton Fun House à cet endroit et quelles sont les particularités qui la rende si importante à tes yeux ?



Oui, j'ai quasiment toujours vécu là. J'aime bien la ville. Rien de spécial à en dire. On vit souvent où on a grandi parce qu'on y a sa famille et ses amis. On aime bien partir, mais il y a toujours quelque chose ou quelqu'un qui nous y ramène.
Je n'avais pas de "Fun House" particulier, c'est tout un ensemble de choses qui nous construisent qui font que nous en sommes là. J'ai écrit un livre en 2013 intitulé "Un histoire du rock à Clermont" avec un apriori, Clermont étant une ville ouvrière (Michelin), je pensais que c'était le terreau idéal pour que le rock se développe. Un géographe m'a expliqué que c'était une ville moyenne et riche puisque chef-lieu du département. Donc, il n'y a pas vraiment de cause à effet entre la sociologie des habitants et le rock. C'est simplement la conjoncture qui a fait que le rock a bien germé à Clermont comme ailleurs.


Patrick Foulhoux © Emmy Etié

En 1978, alors que tu as 16 ans, tu découvres le Fun House des Stooges. Quels furent les disques qui t'y ont amené ou est-ce-que ce fut par le fruit du hasard ?



J'ai expliqué ça dans un livre intitulé "Hache tendre et gueules de bois". J'écoutais déjà beaucoup de rock depuis 1973. Éduqué par des soixante-huitards à lunettes rondes et vestes côtelée. Nous n'avions que trois chaines de télé, mais on avait pas mal d'émissions rock avec José Artur et Freddy Hausser et d'autres dont j'ai oublié le nom. Il y avait la radio aussi qui comptait, si on voulait écouter du rock. Le punk nous arrive aux oreilles en 1977. Il lui a fallu un an pour traverser la Manche. J'écoutais des choses plus mainstream avant : Led Zep, Status Quo, Genesis, Yes, Pink Floyd et aussi - et fort heureusement - les Doors, Janis Joplin ou Jimi Hendrix. Tous les mois, je lisais religieusement Rock&Folk et Best. Le punk m'amusait plus qu'il ne m'intéressait. Mais avec The Clash, ça ne rigolait plus. Ça devenait sérieux. Je lisais toutes les interviews des groupes punks de l'époque et souvent, ils étaient nombreux à citer "Fun House" comme référence. J'ai fini par me le procurer, mais j'ai mis du mal à le dompter. Une fois que je l'ai compris, ce disque est devenu la valeur-étalon de tout ce que j'écoutais, et encore aujourd'hui, de près ou de loin, tout ce que j'écoute doit aux Stooges et à "Fun House", mise à part la musique noire comme la soul qui est probablement ce que j'écoute le plus depuis de nombreuses années même si le rock me surprend encore et me procure du plaisir à écouter et à voir sur scène.


As-tu à partir de ce moment décidé de consacrer ta vie à la musique ?


Un peu à la musique, et désormais, beaucoup à l'écriture. Je n'écris presque plus pour la presse musicale. J'écris seulement des livres sur des thèmes musicaux, entre autres. Mais ça ne me fait pas vivre. Je suis simplement journaliste. Si j'ai exercé beaucoup d'activités dans le monde de la musique, c'est par passion, jamais je n'ai décidé d'entrer dans ce milieu. J'étais d'abord simple spectateur, un peu musicien, jusqu'au jour où un m'a embringué dans un label, un autre dans un fanzine, un autre dans l'organisation de concert, etc.


Prés de 10 ans plus tard, tu participes à l'aventure Spliff Records. Qu'as-tu fait entre temps, quelles ont été les grandes découvertes artistiques qui t'ont amené de Fun House à ce label ?



Le parcours entre "Fun House" et Spliff est vite trouvé. Spliff a été créé par deux gars, Gilbert et Buck, le chanteur des Real Cool Killers, forcément nos routes ne pouvaient que se croiser. Et Clermont-Ferrand reste une petite ville. Tout le monde se connaît et se côtoie dans le microcosme rock, peu importe les chapelles musicales, hormis peut-être les métalleux, puis plus tard, les rappers et le milieu des DJ's, et encore, on ne se côtoie pas, mais on se connaît plus ou moins. J'étais toujours fourré à la boutique. Quand Gilbert voulait s'occuper principalement de la boutique et plus vraiment du label, ils m'ont demandé avec Buck de rejoindre le label parce qu'ils me savaient sérieux, consciencieux et rigoureux .



Peux-tu nous raconter ta découverte de Buck et des Real Cool Killers ? En quoi vous êtes-vous mutuellement influencés ?

On se croisait aux concerts, puis il y a la boutique, puis on jouait dans des groupes assez proches musicalement, lui les Real Cool Killers, moi les Waterguns (ne pas confondre avec les Waterguns de Besançon) et les Shit For Brains. On était très proches, on était amis. Je ne sais pas dans quelle mesure des amis "s'influencent" l'un l'autre, mais c'est vrai qu'on se refilait les bons tuyaux. Lui ayant la boutique et moi collaborant à des fanzines puis à la presse plus tard, on s'échangeait les infos.



Tu commences à cette époque à jouer dans le groupe
Sorry Wrong Number. Tu n'as pas continué. Crois-tu au cliché que les critiques rock sont des musiciens qui n'ont pas réussi ?



Bien avant les Sorry Wrong Number (les Souris Rondes d'Ambert comme nous surnommait Buck), à la fin des années 80, j'étais chanteur des Waterguns, puis guitariste des Shit For Brains. Les critiques rock ne sont pas forcément des musiciens frustrés, je pense surtout qu'ils s'épanouissent mieux avec un autre mode d'expression. Je connais plein de journalistes musiciens. En ce qui me concerne, j'en avais marre de répéter, de monter sur scène, ce n'était plus mon truc. L'écriture me convenait mieux. Ça passe par le journalisme certes, mais aussi par les livres. La musique et l'écriture sont deux disciplines qu'on aborde totalement différemment. Écrire est probablement plus exigeant.



À quels fanzines as-tu participé avant de participer à
Rock Sound ? Lesquels t'ont le plus marqué et ont à tes yeux une valeur émotionnelle particulière ?



Le premier d'entre tous, et le plus cher à mon cœur pour mille raisons, c'est Violence. Je me suis trouvé embarqué là-dedans par Frank Frejnik sans m'en rendre compte. Je lui suggérais de faire une interview des Real Cool Killers qu'il aimait beaucoup, lui m'a répondu : "puisque tu les connais, tu n'as qu'à la faire !". J'ai commencé comme ça et depuis, ça fait 35 ans maintenant, Frank est un de mes meilleurs amis. Très vite, je me suis retrouvé à écrire pour plein de fanzines, même des étrangers. Des canadiens, des espagnols, des suédois, des italiens, même Maximumrocknroll. Et en novembre 1992, a commencé l'histoire de Rock Sound à Clermont-Ferrand.

K7 avec les Shit For Brains

Quels écrivains ou journalistes ont eu une influence sur ta façon d'écrire ?



Des milliers. Des écrivains, des journalistes, mais aussi des cinéastes ou plus précisément des dialoguistes. Ado, j'ai beaucoup lu San Antonio, disons que Frédéric Dard m'a beaucoup influencé, et encore aujourd'hui. Dans le prolongement, les dialogues de Michel Audiard aussi, tout comme les Marx Brothers sont une influence majeure pour leur côté absurde. J'adore Lester Bangs, les romans de John King, les articles et les livres de Philippe Garnier, les livres de Nik Cohn, Nick Tosches, J.G. Ballard, Charles Bukowski, John Fante, George Orwell, etc.


D'ailleurs, raconte-nous comment se passe pour toi la création d'un article. As-tu une méthode particulière ?


Pas de méthode particulière. Je m'attache avant tout à retranscrire ce que je ressens à l'écoute d'un disque ou à la lecture d'un livre. Je ne tiens généralement pas compte du press-book. C'est mon ressenti qui prime pour écrire un article. Il m'est arrivé de travailler pour la presse économique, alors que j'ai toujours été fâché avec les chiffres. En collaborant à un magazine d'économie, les chiffres sont un paramètre qu'il vaut pourtant mieux maitriser. Il m'arrivait d'interviewer des chefs de grosses entreprises, je les emmenais sur mon terrain plutôt que sur une accumulation de chiffres. J'étais bien obligé d'évoquer les chiffres, mais je m'en tenais au strict minimum. Ce qui m'importait, c'était l'histoire de leur entreprise, qu'est-ce qui les a amené à la créer et là, on a des histoires humaines autrement plus passionnantes qu'une simple accumulation de chiffres. Quand j'écoute le nouvel album de Gentle Ben & The Shimmering Hands, j'ai mille images qui me viennent en tête. Je sors de la lecture de "Un troisième visage" de Samuel Fuller, le cinéaste, ce livre va me marquer longtemps. L'écriture est surtout une histoire de style.


Tu deviens ensuite pigiste pour de nombreux magazines de musique. Est-ce-que tu contactais ces magazines ou sont-ils venus te trouver ? Quand on est pigiste, est-ce-que le plaisir d'écrire sur ce que l'on aime s'efface face aux commandes d'articles ?


J'ai écrit pour beaucoup de magazines parce qu'ils appartenaient souvent au même groupe de presse. Quand le groupe se disloquait et que les titres étaient rachetés par d'autres éditeurs, souvent, je suivais. Je ne pense pas avoir jamais postulé pour collaborer à un magazine. Un pigiste a plus les coudées franches qu'un journaliste appartenant à la rédaction qui lui doit traîter ce qui est imposé par le sommaire dicté par le rédac chef. Le pigiste propose, le rédac chef dispose. Mais il vaut mieux proposer des sujets qui sont dans la ligne éditoriale au risque de ne voir aucune de ses propositions retenues. Tu ne vas pas proposer la chronique d'une réédition de Motörhead à un magazine reggae. Donc, parfois, il m'arrive de chroniquer des disques que le rédac chef me propose, même si c'est pas ma tasse de thé, je prends si je sens que j'aurai quelque chose à raconter. Étonnamment, c'est à l'époque où j'écrivais pour Rolling Stone que je pouvais proposer des chroniques un peu extrêmes, ça permettait au journal d'avoir une petite crédibilité "punk". On m'a souvent utilisé pour ça dans la presse magazine, j'étais la "caution punk".



Que retirerais-tu de chacune des revues pour lesquelles tu as écrit si tu devais créer ton magazine idéal ?



Un magazine idéal, c'est un fanzine qui n'a aucun compte à rendre aux annonceurs, avec un sommaire dicté uniquement par les goûts de son équipe rédactionnelle. Où on peut parler de tout, sur le ton qu'on veut, de musique, de littérature, de cinéma, d'œnologie, de sculpture, de danse, de peinture, de musique classique, de métal, de bourrée auvergnate, de politique, d'histoire, de sociologie, de de tout ce qu'on voudra, tout est passionnant pour peu qu'on s'y intéresse et pour peu que ce soit raconté avec passion. Le magazine idéal est une publication généraliste qui ne s'interdit rien.


Es-tu un grand lecteur ? Raconte-nous ton parcours de lecteur.


Oui, je lis énormément bien sûr. On ne vient pas à l'écriture par hasard, tout comme on ne fait pas de la musique par hasard. J'ai commencé ado par les San Antonio comme je disais tout à l'heure, la suite logique, c'étaient les polars. Puis les témoignages… J'ai beaucoup de disques chez moi, mais encore plus de livres, mon appartement en est envahi.


Quelle est la différence pour toi entre l'écriture de chroniques de disques et de livres ?



J'aborde l'exercice de la même façon. Je sais combien il est beaucoup plus difficile d'écrire un livre que de composer des chansons et c'est devenu tellement facile et abordable d'enregistrer, que la musique s'en ressent… Les artistes qui se cherchent et qui se trouvent pas, ça m'emmerde.


À la suite du décès de Buck, Spliff Records continue à exister pendant quelques années. Philippe Feydri y est pour beaucoup. Parle-nous un peu de ta découverte de la famille Feydri et de ce qu'ils ont apporté à tes yeux au rock en France.


Effectivement, quand Buck est décédé, on a décidé de poursuivre le label avec Philippe. Puis on s'est dit que sans Buck, l'âme de Spliff n'y était plus, donc on a monté un mini-festival pour dilapider le peu de trésorerie que nous avions. Je connais les Feydri depuis longtemps. Quand le chanteur des Scuba Drivers a arrêté, sur les conseils de Buck, j'ai fait des essais. J'étais alors chanteur des Waterguns. J'allais répéter à Périgueux. Je n'avais pas le niveau, c'était trop difficile. Mais depuis, on est devenus très proches avec les Feydri. J'ai longtemps hébergé Philippe chez moi quand il est arrivé de Périgueux pour intégrer les Real Cool Killers. Parmi la fratrie, il n'y a qu'une seule fille pour cinq frères, on est très proches avec Alain, Philippe et Didier. Philippe a été pour moi, dans les années 80 et 90, probablement un des meilleurs compositeurs qu'on ait eu en France. J'ai joué avec lui, je sais de quoi il est capable. C'est un des rares qui soit capable de ne pas jouer une note pour laisser sonner l'harmonie. Philippe est économe, il déteste surcharger, il préfère laisser vivre les harmonies, il compose avec les mélodies du silence, et vraiment peu de savent faire ça. Il y avait aussi Benoit Demaria des Chameleon's Day qui pratiquait comme ça.

Deuxième partie


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