PHILIPPE GARNIER Neuf Mois - Editions de l'Olivier 2024
Il s’agit de savoir s’attrister pour passer au-delà du chagrin.
Voilà un livre qui peut faire pleurer tellement la perte de l’être aimé perfuse et suinte de ces pages. Philippe Garnier raconte dans ce court récit la vie au moment de la mort de sa femme et avant. Il revient sur leur trajectoire commune.
Ce livre écrit 14 ans après la mort d’Elizabeth Stromme commence par relater les neuf derniers mois. Neuf mois qui d’habitude sont liés à une naissance mais qui ici se concluent par un décès programmé. Neuf étant aussi le chiffre symbole de la mort. Il a fallu 14 ans à Garnier pour devenir « Neuf moi » ou moi-neuf, veuf mais aussi neuf.
Sans pathos inutile, Garnier nous fait découvrir ce qu’il
avait compris d’Elizabeth Stromme pendant les trente années de leur vie commune.
Il semblerait qu’il y a des points qu’il n’avait pas entrevus, pendant qu’elle
lui disait "qu’elle n’a jamais été aussi malheureuse que depuis qu’elle l’aime."
On discerne la vénération qu’il lui porte. Car Elizabeth est un authentique personnage de roman, forte en gueule et n’ayant pas peur de grand-chose, une libertaire assumée qui n'hésite pas à remettre Bukowski à sa place quand le vieux dégueulasse attige un peu trop.
Garnier retrace leurs itinéraires respectifs depuis le moment où ils s’étaient rencontrés, elle avec un profil de vraie routarde des 70’s en partance pour l’Afghanistan et l’Inde et lui un journaliste en devenir qui cherche encore sa voie entre magasins de disques et admiration pour les westerns. Il n’a aucune complaisance pour lui-même et se présente tantôt balourd au début de leur relation, tantôt paumé dans l’univers américain. C’est elle qui lui fait découvrir l'Amérique profonde et n’hésite pas à l’entraîner dans des bars mal famés qu’il découvre avec ravissement car la musique et l’ambiance sont raccords avec ce qu’ils apprécient tous deux. La famille d’Elizabeth, plutôt upper-class, quand ils rencontrent la première fois Garnier, le regardent un peu navrés," ils auraient sans doute accueilli un gitan sorti de taule avec le même empressement".
Mais ils ne sont pas mécontents de caser leur fille néo-hippie un peu encombrante. Elle le prend vraiment en charge et par exemple lui apprend à conduire dans la Cadillac de sa mère.
On revient sur leurs itinéraires improbables à travers les US. Lui pour retrouver des lieux emblématiques de romans qui l’ont passionné ou des sites de tournage de films oubliés de tout le monde sauf de lui. En Arizona, à Monument Valley dont la route d'entrée a servi dans Easy Rider →
et où John Ford s'installa quasi à demeure pour sept de ses westerns Garnier identifie des rondins à demi calcinés provenant du tournage de la Prisonnière du Désert.
Le "John Ford Point" où le cinéaste posait ses caméras pour filmer
Elizabeth elle veut visiter et rencontrer les responsables de jardins remarquables. Car les plantes et les jardins sont devenus sa vraie passion. Elle parviendra à interviewer les dirigeants d'endroits prestigieux depuis Pasadena jusqu'à Londres (Kew Gardens) ainsi que les gros bonnets de l'agrobusiness. Elle se battra sans relâche pour dénoncer le système vicieux des entreprises agro-alimentaires et phytosanitaires connexes en écrivant des articles dans des revues d’horticulture et de jardinage réputées qu’elle avait réussi à infiltrer grâce à sa personnalité irrépressible et frondeuse. Comment les intérêts économiques génèrent le poison au sens littéral et figuré.
Elle en tirera deux romans noirs que Garnier avoue n’avoir pas beaucoup aidé à faire paraître. Il lui offre un disque de Jimmy Durante, I’m a vulture for horticulture, que lui avait fait découvrir Captain Beefheart sur le parking d’un supermarché.
Car Philippe Garnier, rock critic émérite ne parle pas beaucoup de musique dans ce livre sauf certains titres indissociables d’Elizabeth comme ce vautour d’horticulture qu’elle est devenue ou bien cet autre titre qui a inlassablement rythmé les neuf derniers mois dans leur thébaïde de Guerneville au milieu des sequoias, une petite merveille de finesse qui figure en faceB d’un single des Webs, It’s so hard to break a habit.
(…) It's so
hard To break a habit
Girl I miss calling you on the phone
I miss holding you my darling in my arms
Ohhhh what do I do? What do I do?
I'm lost without you
And girl it's so hard to break a habit.
Now that you're gone (…)
Ce livre est un hommage à la femme aimée qui a surpris Philippe Garnier jusqu’au bout.
Jacques_b
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