442ème RUELLE : EDGAR SUIT / DEADLY SHAKES / 2SISTERS / The ZEMBLAS / GUTTERCATS / CHILD OF PANOPTES / BLOODSHOT BILL & Gerard VAN HERK / BADASS MOTHER FUZZERS
Vous vous rappelez certainement de la newsletter 442ème RUE. Nous en avons souvent parlé dans Les Monstres Sacrés. Léo442 (bien mystérieux ce nom) va commencer à nous en proposer les chroniques qui correspondent à ce blog. Donc, ce ne sera que la version courte de 442ème RUE à laquelle vous pouvez vous abonner (https://la442rue.com/). Bienvenu à toi Léo442 😉!
EDGAR SUIT : A few fun facts about the end of the world (CD, Dangerhouse Skylab/Bad Health Records/Hell Vice I Vicious Records/EMO Records)
Histoire banale, à défaut d'être haletante, que celle d'Edgar Suit, trio formé par trois amis de jeunesse, dont deux frères, ça aide un peu aussi, qui tombent dans la marmite rock'n'roll et qui, comme Obélix, en ressortent transformés et contaminés à vie. Au hasard de leurs pérégrinations musicales, et sans avoir à parlementer sans fin pour arriver à un consensus, ils ne sont nullement politiciens ratiocineurs, les Grenoblois finissent par élaborer un savant et savoureux mélange de power-pop et de post-punk, a priori pas l'attelage le plus évident mais, travaillé par les gaillards, ça donne une musique à la fois énergique et recherchée. Les chansons ont tendance à se déconstruire pour mieux nous surprendre tout en affirmant une certaine pérennité mélodique. Entre guitares puissamment graciles, rythmiques assurées et chant en perpétuelle recherche de la petite bête incantatoire, Edgar Suit possède la grâce féline d'un jaguar à la chasse au caïman, peut-être pas la façon la plus subtile d'arriver à ses fins, mais clairement la plus efficace pour eux. Même leur reprise de "Bubble sky" des Batmen, leurs aînés, eux aussi issus de l'antique Gratianopolis, se veut ravalée par une new wave très décomplexée. Edgar Suit, ce pourrait être la version 21e siècle des Talking Heads ou d'XTC, avec néanmoins cette touche poppy qui fait la différence au moment de s'affranchir de ses influences. "A few fun facts about the end of the world" est le deuxième album du groupe, trois ans après un "Despise all humans" un chouia plus copieux, neuf titres à l'époque contre six aujourd'hui. Mais, après tout, d'un mépris total envers l'humanité à ces petits faits insignifiants annonçant la fin du monde, Edgar Suit restent fidèles à une ligne éditoriale qui ne cherche nullement à caresser dans le bon sens un poil qui se révélera toujours assez rebelle pour ne pas se laisser toiletter sans réagir, donc à se redresser fièrement après le plus terrible des avis de tempête. Encore du boulot pour occuper quelques hommes en noir qui n'en ont pas fini avec l'inexplicable.
Deadly Shakes est un trio originaire de Mulhouse au parcours somme toute assez classique qui se forme en 2019 et qui survit au COVID, comme l'énorme majorité de l'humanité d'ailleurs, malgré les discours alarmistes des tenants de la vaccination à tout crin. Vous vous souvenez de ce ministre allemand qui avait déclaré que, après la crise, tout le monde serait vacciné, guéri ou mort ? Ben non connard, je n'ai jamais été vacciné, je n'ai jamais chopé le COVID et je ne suis jamais mort, la preuve, je suis devant mon clavier à écrire cette chronique. Qui fut le plus duplice dans cette mascarade ? Ce deuxième EP de Deadly Shakes, en six titres, propose ce que le groupe appelle du wild garage rock, formule suffisamment lapidaire pour laisser la porte ouverte à toutes les interprétations, ce qui tombe bien puisque, s'il y a du garage là-dedans, autant que du rock, ça exhale aussi un peu de punk, voir du métal vintage. Comprendre à la Black Sabbath-Deep Purple des débuts pour faire simple. Ou du velu et de l'énergique si vraiment vous préférez les assertions claires et limpides, avec de gros riffs en fusion et de bonnes rythmiques en titanium, le meilleur anti-rouille qui soit. Ce qui devrait aussi vous aider à combattre votre arthrose ou vos rhumatismes si toutefois vous êtes en âge de souffrir de ces petits désagréments. En revanche, ça ne vous garantit aucunement le retour de l'être aimé, faut quand même pas déconner, pas plus que la découverte de champs aurifères, malgré le titre du disque. Et ce malgré la très belle pochette d'inspiration maya. De toute façon, ces derniers étaient de bien piètres devins non ? Puisque, malgré ce qu'on leur a fait dire a posteriori, il n'y a pas eu de fin du monde en 2012. Pas plus qu'il n'y en aura avec Deadly Shakes, qui ont mieux à faire qu'à se lancer dans ce genre d'élucubrations, l'élaboration de leur musique fortifiante leur sied beaucoup mieux et nous agrée de meilleure manière. Le genre de disque qui ne révolutionnera peut-être pas l'humanité mais qui nous fait passer un agréable petit moment, une bonne vingtaine de minutes, voire plus si vous avez tendance à rappuyer sur le bouton "play" de votre lecteur quand vous êtes content.
2Sisters affichent un penchant certain pour les monstres. En 2018, sur la pochette de leur album "Run, baby ! run !", ils avaient utilisé une photo de promotion du film "Dr. Jekyll and Mr. Hyde" de Rouben Mamoulian en 1931 avec Fredric March, ici, c'est Boris Karloff en créature de Frankenstein qui boit une tasse de thé durant un tournage. Que ces jeunes gens ont donc bon goût. Un autre preuve se trouve dans le titre d'un des morceaux de ce nouvel album, "Hammer", référence au légendaire studio anglais spécialisé dans le film d'horreur, notamment grâce à la série de films consacrés à Dracula avec Christopher Lee. Mais la "442ème Rue" n'étant pas spécialisée dans la critique cinématographique, revenons au deuxième album du groupe parisien 2Sisters. Un disque qui propose toujours le même mix de rock'n'roll teigneux, de punk incisif, de garage abrupt, avec guitares fuzz d'usage et tempi d'une vélocité digne des rotations héliportées américaines dans les rizières vietnamiennes. En onze titres de moins de trois, voire deux, minutes, le groupe délivre de petits poèmes trash qui vous racontent de délicates historiettes surréalistico-fantastiques à caler quelque part entre Edgar Poe, Thomas Owen et Robert Howard, en juste un peu plus modernes dans les thèmes ("Frunk bop a lula") et plus crues dans le propos ("She's one hell of a lover"). En moins d'une demi-heure au total (morceau bonus compris, si, si), 2Sisters acheminent leurs riffs incendiaires et leurs rodomontades foudroyantes jusqu'à votre petit bulbe rachidien avec l'efficacité sidérante d'une connexion à très haut débit. La pochette de cet album est couleur sépia, thématique photographique oblige, mais elle aurait pu être rouge sang, ça l'aurait fait aussi au niveau symbolique, car à jouer si vite, si fort, si brutalement, on imagine que la pulpe de leurs petits doigts agiles doit sérieusement morfler, même au bout de dix ans d'une activité aussi soutenue que leur musique, malgré une discographie plutôt squelettique, bien que les deux albums aient été précédés par deux EP. Une fois ce constat dressé, on peut néanmoins se consoler en se disant que la qualité parcimonieuse vaut toujours mieux que la quantité bas de gamme. De ce côté-là (la qualité je veux dire), 2Sisters sont plutôt à ranger parmi l'élite, façon "horde sauvage", sans équivoque.
Je ne sais pas vous, mais moi, quand j'étais môme et que je m'ébattais, avec mon frangin, dans le parc de la maison de maître où bossait ma mère, j'avais sérieusement tendance à jouer, par dérogation, à l'"homme de la jungle" dans le bosquet d'arbustes sauvages qui entourait un petit ruisseau qui traversait la propriété. En l'occurrence, j'avais plusieurs modèles, Tarzan bien sûr; via les films avec Johnny Weissmuller, mais aussi une paire d'ersatz européens dont je lisais les aventures dans des comics en petit format, le "Français" Zembla, brun aux cheveux longs, et l'"Italien" Akim, brun aussi, mais aux cheveux courts, comme Tarzan/Weissmuller. L'avantage, c'est que moi je ne me coltinais pas des lions ou des crocodiles, juste, éventuellement, quelques moustiques ou des orties, déjà bien assez douloureux pour mon tendre épiderme enfantin. Je suppose que les Zemblas avaient les mêmes lectures que moi pour avoir choisi ce nom. Le groupe est originaire de Nice, et c'est même un supergroupe local puisque ses membres viennent d'autres tribus éminemment actives comme les Groovers, les Playboys, les Bratchmen, Dino Farfisa & the Fuzz ou les Dum Dum Boys, parmi d'autres. Les Zemblas existent depuis 2005 et si "Do the mondo jerk" n'est que leur quatrième album, on comprendra aisément pourquoi eu égard aux autres activités de tout ce petit monde. Avec un tel background de groupe parallèle et la musique choisie, à la louche une savante mixture de soul, de rhythm'n'blues et de garage, on pourrait penser que les Zemblas auraient plutôt tendance à taper dans la reprise millésimée, il n'en est rien, cet album ne proposant que des originaux, c'est dire si ces modernes tarzanides sont prolifiques puisque, dans le même temps, les auteurs-compositeurs du gang occupent aussi les mêmes fonctions dans leurs autres formations. Tellement prolifiques qu'ils nous casent quinze titres sur ce nouvel album, mieux que les albums anglais des sixties qui tournaient, en général, à quatorze (cf les premiers Beatles). Si Zembla nage plus vite qu'un requin et court plus vite qu'un rhinocéros, les Zemblas écrivent plus vite qu'une dactylo sous amphétamines, ce qui aboutit à cet empilement de chansons capable de vous murer votre salon sans que vous n'y puissiez rien. Entre les sautillants accords de guitares (avec parfois un chouille de fuzz feutrée, comme dans "What you saw"), les chaudes mélodies soul, le chant suave et épicé de Didier Bozzi, vous glissez de délicates touches d'orgue et vous avez la carte d'identité à peu près complète des Zemblas, où, à la rubrique "nationalité", on pourrait à coup sûr mentionner "dance" ou "groovy", quelque chose de très international, logique pour un groupe qui chante en anglais.
Quelques accords de guitare en glissendo qui nous renvoient du côté de l'ouest, le vrai, comme disaient les nostalgiques de la conquête qui rêvaient encore d'un temps comme suspendu, voilà comment s'ouvre le nouvel album des Guttercats. Si l'on rapproche ces arpèges mélancoliques du titre du disque, on voit que le groupe parisien ne va pas spécialement nous faire danser le quadrille ou le can-can, quand bien même nous serions coincés au saloon, ce que la connotation globale très mid-tempo et les interventions d'orgue (François Matuszenski, ex Chihuahua, ça ne nous rajeunit pas, ou Indochine, euh...) et de violon alto (la multi diplômée Mathilde Rouaud) ne font que confirmer. En même temps, les Guttercats n'ont jamais prétendu faire du rock'n'roll enlevé et enjoué, préférant les sonorités acoustiques et les atmosphères feutrées, même si des titres comme "Beautiful curse" - notons que ce titre était aussi celui de leur troisième album en 2015, à l'heure du recyclage institutionnalisé il est toujours opportun de ne pas laisser perdre une bonne idée, et cet oxymore en est définitivement une -, par exemple, aiment à durcir un peu le tempo et accélérer le métronome, ne laissant guère à la poussière le temps de s'accumuler. Même si leur inspiration générale est plutôt américaine ("If you love me"), tendance sixites ou seventies, le Gun Club d'après les premiers émois punk n'est jamais très loin, les Guttercats aiment à se glisser dans les pas de quelques Anglais qui ont eux-mêmes beaucoup tourné leurs regards de l'autre côté de l'Atlantique, on pense ainsi parfois aux Jacobites, et donc à Dave Kusworth ou Nikki Sudden, ou d'Australiens tout aussi imprégnés de culture étasunienne, comme Rowland S. Howard ou Nick Cave, en moins sombre que ce dernier cependant. Pour autant, même aussi référencée qu'elle puisse être, la musique des Guttercats n'est ni passéiste ni simplement imitatrice, déclinant à sa façon une certaine idée du romantisme parisien du XIXe siècle, surtout dans les textes ("Lament in the night", "Everything I touch slides through my hands", "Out of style", "When you lose your dearest friend"). Depuis près de vingt ans, et avec une régularité qui frise l'obsessionnel en sortant un album tous les trois ans (l'espérance de vie d'un hamster, sans qu'il y ait une quelconque relation de cause à effet, du moins je ne pense pas), le noyau dur du groupe - le chanteur-guitariste Guts Guttercat, le guitariste Chris Waldo et le bassiste Lick Lickens - ne se départit nullement de cette sérénité qui lui permet, par petites touches, de poser ses vignettes musicales, un peu crayeuses, un peu moites, un peu patinées, sur une table de gargotte bancale comme on le ferait d'un demi ou d'un ballon de rouge quelque part entre Montmartre et Montparnasse. Toujours cette dualité américano-européenne, finalement la même civilisation, qu'elle soit encore ascensionnelle ou déjà déclinante, selon le point de vue que l'on adopte pour la jauger. Les Guttercats, eux, ont préféré prendre de la hauteur, proprement sidérale si l'on se réfère à la pochette de ce disque, pour soutenir leur thèse à ce sujet.
Les Montepelliérains de Child Of Panoptes poursuivent leur œuvre de vulgarisation du psyché rock estampillé 60's-70's avec leur deuxième single. Comme à l'accoutumée, ils ont lancé une paire d'invitations auxquelles ont répondu le bassiste des Playboys, de Nice, Frank Durban, sur la face A, "I'm down", et quelques membres du groupe perpignanais Le Chiffre Organ-Ization sur la face B, "Magic mirror". Il n'a certainement pas fallu trop contraindre tous ces jeunes gens pour participer à cette petite galette fort ragoûtante et sans prétention, pleine de fuzz, d'orgue Hammond et de coolitude. On sent bien qu'on est dans le sud, le dilettantisme n'empêchant nullement de prendre l'affaire très au sérieux. Il y va de la crédibilité de chacun. Contrat rempli.
Le Canada est dans la place avec cette association improbable, d'un côté le one man band Bloodshot Bill, de l'autre Gerard Van Herk, l'ex chanteur et guitariste du groupe garage-punk Deja Voodoo, capables, à eux deux, de foudroyer à l'improviste un grizzly en plein rut d'un seul accord de guitare cryptique, à grands coups de réminiscences crampsiennes, d'arrière-goût linkwrayen, de stigmates doo-wop déglingués, de résurgences country-rockab ploucs. C'est trash, c'est cash, c'est flash et ça crache dans tous les coins, autant dire que c'est essentiel, pour ne pas dire nécessaire, voire primordial à toute bonne épistémê de marigot, même si les bottes ne sont pas fournies pour patauger dans toute cette gadoue un rien odorante. Et ce n'est pas parce que, sur la pochette de ce EP, les deux lascars portent leur costume du dimanche que ça les affranchit de crachouiller leurs badineries dévoyées et branlottantes, comme celles qu'on peut tenir après une bonne biture à la gnôle de contrebande.
Les Toulousains de Badass Mother Fuzzers en sont à leur troisième album, en neuf ans d'existence, et ne semblent pas flancher. La guitare fuzz de "Not gonna miss you", le titre d'ouverture, en sus de justifier le troisième élément de leur blase, est là pour le prouver, tout comme le rythme trépidant de "Go to hell" - ça c'est pour leur argutie "badass" - avant de revenir à la fuzz pour "Sorry for you. En trois morceaux, Badass Mother Fuzzers ratatinent la concurrence, si toutefois il y en a jamais eu une, et démontrent qu'on peut encore faire du rock'n'roll à la hussarde dans un environnement variétoche tel qu'on le subit en France et au milieu d'une bien pensance politiquement nauséabonde telle qu'on veut nous l'imposer à grand renfort de commémorations et d'hommages mégalomaniaques dans la cour des Invalides ou sur le parvis du Panthéon. Tout au long des douze titres de cet album, Badass Mother Fuzzers se font les champions d'un rock'n'roll qui ne laisse prise ni à la calomnie pop ni à la prétentaine progressive boursouflée - "Back against the wall" remettrait Pink Floyd à sa vraie place si le groupe en avait quelque chose à faire, ce qui, j'imagine, est sûrement le cadet de leurs soucis. Écouter un disque des Badass Mother Fuzzers c'est se cogner un tour du monde qui passerait par la Suède, et ses hivers électriques, l'Australie, et ses étés incendiaires, et Detroit, et ses friches industrielles, que du paysage haut de gamme apte à vous renfrogner le plus grincheux des amants de Blanche-Neige. Hein ? Quoi ? Comment ? Vous croyez vraiment que la donzelle a pu vivre avec eux uniquement d'une pomme et d'eau fraîche ? Que vous êtes naïfs ! Notez que si c'était les Badass Mother Fuzzers qui chantaient en rentrant du boulot hache sur l'épaule, il n'y aurait guère d'ambiguïté. D'autant que la hache, ils savent salement la manier, ils s'en servent de médiator, c'est vous dire. Sinon, quoi d'autre ? Ah si, de ci de là, ils se permettent de matraquer un piano répétitif et hargneux ("Do it right"), sûrement pour faire comme des Radio Birdman enragés ou des Stooges forcenés, dont ils sont les dignes héritiers. Heavy power garage punk'n'roll, ça me paraît être une bonne définition de leur musique. Adopté !
Léo442
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