AVIS DE RECHERCHE

Appel aux lecteurs/trices, nous recherchons des enregistrements amateurs de concerts faits en France par le genre de groupes dont nous parlons dans le blog. Le but serait d'établir une base de données de ces documents avant qu'ils ne disparaissent à jamais. Pouvez-vous svp nous aider ? Ecrivez-nous à monstres.sacres@yahoo.com, merci d'avance.

442ème RUELLE : SPECIAL BEAR FAMILY - CONNIE FRANCIS / Etta JAMES / Johnny 'Guitar' WATSON et quelques compilations


Connie FRANCIS : On the dancefloor with Connie Francis (CD, Bear Family Records)

Connie Francis est un cas d'école, un OVNI dans la scène musicale d'une décennie s'étalant du milieu des années 50 au mitan des années 60, une époque où le rock'n'roll s'acharne sur le corps tuméfié de la variété en espérant ne pas voir cette dernière se relever. Au milieu de cette mêlée, Connie Francis ne prend pas parti, trouvant le moyen de rester neutre, faisant une musique inspirée du rock'n'roll mais traitée comme de la variété. Sans tomber dans l'extrémisme du premier ni dans la mélasse de la seconde, du grand art. Connie Francis n'est pas l'Elvis Presley de la période Sun, ni même Janis Martin ou Wanda Jackson, elle n'est pas non plus Pat Boone ou Julie London. Cette neutralité se retrouve jusque dans son look, suffisamment sage pour ne pas effaroucher l'américain moyen, suffisamment "zazou" pour s'attirer les bonnes grâces de la jeune génération, établissant une corrélation entre l'étudiante en route vers l'émancipation et la ménagère dynamique de moins de trente ans entrant sans état d'âme dans les "Trente Glorieuses". Elle est quelque part ailleurs, ce qui en fait tout son charme sociétal et son intérêt musical. Connie Francis (Concetta Rosa Maria Franconero de son vrai nom) est née le 12 décembre 1937 à Newark, New Jersey, une lointaine banlieue de New York, dans une famille d'origine italienne. À l'âge de quatre ans, encouragée par son père, elle apprend à jouer de l'accordéon et commence à chanter dans des fêtes de quartier et des radio-crochets. À treize ans, en 1950, elle décroche un poste de chanteuse de démonstration. Ce qui consiste à enregistrer des chansons non encore publiées pour les faire écouter à des éditeurs, des chanteurs, des producteurs ou des maisons de disque en vue, pour les auteurs-compositeurs, de les faire enregistrer par des artistes plus ou moins confirmés, et, dans le meilleur des cas, d'en faire des succès. Inutile de dire qu'avec un tel background, la jeune chanteuse, qui a déjà américanisé son nom en Connie Francis, fait des progrès fulgurants. C'est en 1955, à dix-huit ans, qu'elle est signée par MGM Records, même si, pendant les deux ans qui suivent, elle ne connait guère de succès. Envisageant sérieusement de se diriger vers une carrière médicale, le 2 octobre 1957 elle enregistre ce qui est censé être son dernier disque pour MGM. Et, contre toute attente, c'est le jackpot. Au printemps 1958 "Who sorry now ?" se classe n° 4 aux États-Unis et n° 1 en Angleterre. La médecine y perd une praticienne, le business musical y gagne une nouvelle vedette. Au fil des années, elle va connaître d'autres réussites, "Stupid cupid", à nouveau n° 1 en Angleterre, "My happiness", n° 2 US, "Lipstick on your collar", n° 5 US, "Mama", n° 2 anglais, "Where the boys are", n° 4 US, "Everybody's somebody's fool", n° 1 US (ce qui lui permet de devenir la première artiste féminine à décrocher la première place du Hot 100 du Billboard, la référence américaine, pas rien), "Don't break the heart that loves you", n° 1 US, un parcours assez hallucinant pour une chanteuse fort oubliée aujourd'hui. Mais, comme pour beaucoup de chanteurs de sa génération, elle ne va pas résister à la British Invasion. Elle va néanmoins poursuivre sa carrière jusqu'au début des années 2010, non sans subir quelques drames personnels. Elle est ainsi victime d'un viol en 1977 au cours duquel elle manque de mourir asphyxiée, elle y perdra sa voix pendant quatre ans. En 1981, c'est l'un de ses frères qui est assassiné par un tueur de la Mafia. En semi-retraite, elle est toujours de ce monde aujourd'hui, âgée de 87 ans au moment où j'écris ces lignes. Cette compilation se penche sur ses dix premières années de carrière, chez MGM, se focalisant sur ses chansons les plus rythmées et les plus énergiques, ce qui prouve au passage que le rock'n'roll a durablement marqué le music business de son empreinte puisque, si Connie Fancis n'a jamais enregistré de rock'n'roll et qu'elle a toujours été accompagnée par de grands orchestres (celui de Ray Ellis notamment), à New York ou à Nashville (dans les studios d'Owen Bradley qui a vu passer Gene Vincent ou Buddy Holly entre ses murs), voire à Londres, ceux-ci s'arrangent pour sonner suffisamment rock pour donner le change, les guitares, saxophones ou batteries se tirant la bourre, et venant souvent supplanter les sections de cordes, ces dernières, quand elles sont présentes, n'étant jamais envahissantes. On y retrouve plusieurs de ses standards, mais pas tous, aussi bien que des trucs latino ou jazzy pour une sélection très séduisante qui hisse Connie Francis au niveau de Brenda Lee ou de Lesley Gore, en faisant l'une des rares artistes de sa génération à ne pas être encartée dans les genres country, blues ou rock'n'roll tout en étant capable de plaire aussi à ces publics spécifiques. Au point qu'on se demande pourquoi l'Histoire l'a si injustement oubliée. Elle mérite largement d'être (re)découverte.



Etta JAMES : Rocks (CD, Bear Family Records)

De son vrai nom Jamesetta Hawkins, Etta James est née le 25 janvier 1938 à Los Angeles. Elle ne connaîtra jamais son père et sa mère n'a que quatorze ans à sa naissance. Une mère qui continue à courir la gueuze et ne s'occupe guère de sa fille qui est élevée de droite et de gauche par des parents ou des amis, au gré des circonstances. Niveau stabilité affective, on a connu mieux. Comme de nombreux noirs aux États-Unis, la fillette apprend à chanter à l'église. À douze ans, ayant découvert le doo-wop, elle forme un groupe vocal avec des copines de son âge, les Creolettes. À quatorze ans, elle rencontre le chef d'orchestre Johnny Otis qui fait signer le groupe avec le label Modern, les Creolettes devenant les Peaches et Jamesetta Hawkins Etta James en inversant tout simplement les deux parties de son prénom. En 1955, Etta James fait paraître son premier single, "The wallflower", nouveau titre d'une chanson baptisée à l'origine "Roll with me, Henry", une formulation trop sexuellement explicite pour une chanson en réponse au tout aussi explicite "Work with me, Annie" de Hank Ballard paru l'année précédente. Malgré, ou grâce à, ce contretemps sémantique, le single grimpe à la première place des charts rhythm'n'blues, un coup de maître qui lance définitivement la carrière de la jeune chanteuse. Elle ne s'arrêtera plus jusqu'à sa mort, le 20 janvier 2012, de leucémie, à l'âge de soixante-treize ans. Elle a sorti son dernier album l'année précédente, en 2011. Comme tous les chanteurs de sa génération, Etta James, si elle a commencé sa carrière par du pur rhythm'n'blues, passera ensuite par des hauts, de moins en moins nombreux, et des bas, de plus en plus fréquents, se vautrant, à partir des années 60, dans une musique souvent insipide tirant plus sur la variété que sur le rhythm'n'blues originel. Après avoir débuté sur Modern, on la verra enregistrer pour Kent, Argo, Cadet, Chess (dans les années 70), Warner Bros., MCA, Island, Elektra, Private Music, RCA-Victor ou Verve. Comme tous les disques de la série "Rocks" chez Bear Family, cette compilation s'intéresse à la meilleur période musicale d'Etta James, les années 50 et le début des années 60, jusqu'en 1963 précisément. Une temporalité qui ne souffre aucune doléance de la part de l'auditeur et de l'amateur de rhythm'n'blues. Etta James aligne alors les standards et les succès. Au cours de cette mini décennie, outre le n° 1 "The wallflower", elle va ainsi faire entrer onze de ses singles dans le top 10 rhythm'n'blues, Au fil des vingt-neuf plages de ce disque, on peut ainsi l'entendre dans ce qu'elle a enregistré de meilleur. De 1955 à 1957, sur Modern, on a droit à ses deux plus gros succès de l'époque, "The wallflower" et "Good rockin' daddy", ainsi qu'aux déclinaisons de ses aventures amoureuses avec son amant virtuel, Henry ("Hey ! Henry" et "Dance with me Henry"). Durant ces séances, elle est accompagnée par des pointures comme les saxophonistes Maxwell Davis et Lee Allen, le chanteur Richard Berry (par ailleurs auteur du classique "Louie Louie", mais c'est une autre histoire), le guitariste Charles "Chuck" Norris, le trompettiste Harvey Fuqua, l'arrangeur Dave Bartholomew (à l'époque comparse attitré de Fats Domino) ou le batteur Earl Palmer, un sacré casting. En 1957, elle passe sur Kent, ce qui ne change pas grand-chose puisqu'elle continue à enregistrer dans les studios Modern de Culver City, Californie. En revanche, en 1960, signée sur Argo, une filiale de Chess, elle investit les studios du label à Chicago, probablement accompagnée par les musiciens habitués des lieux, même si les archives sont aujourd'hui pour la plupart perdues, hélas. Seule une séance de septembre 1960 nous apprend qu'elle est accompagnée par le groupe vocal les Moonglows, tandis que pour une autre, en décembre 1961, elle est rejointe par le guitariste Matt "Guitar" Murphy. Ce passage chez Chess lui donne l'occasion d'enregistrer quelques classiques du label, écrits par le contrebassiste Willie Dixon, comme "I just want to make love to you", créé par Muddy Waters en 1954, et "Spoonful", créé par Howlin' Wolf cette même année 1960, ce single paraissant en duo sous la raison sociale Etta and Harvey (sous-entendu Fuqua). Les derniers enregistrements, chronologiquement parlant, datent des 27 et 28 septembre 1963, capturés live au New Era Club de Nashville, Tennessee, où, accompagnée par un groupe de Los Angeles, les Kinfolks, elle reprend "What'd I say" de Ray Charles et "Baby what you want me to do" de Jimmy Reed, deux titres extraits de son premier album live, "Etta James rocks the house", paru en décembre 1963. Cette compilation est une excellente occasion de se souvenir qu'Etta James fut une grande chanteuse de rhythm'n'blues dans sa jeunesse, avant que l'âge et le business n'édulcorent sa musique,



ON THE DANCEFLOOR WITH MORE FINGERSNAPS (CD, Bear Family Records - www.bear-family.com)

Faisant suite à un premier volet paru fin 2023, cette compilation poursuit l'exploration, par Bear Family, des musiques les plus aptes à vous faire claquer des doigts, taper du pied, remuer les hanches, onduler du bassin, sans que les cul-bénits ne puissent y trouver rien de franchement malpropre, y compris quand les secousses vous prennent plutôt sous la ceinture. Grosso modo, au fil des trente-et-un titres de cette sélection, on navigue entre rhythm'n'blues et rock'n'roll avec quelques détours par la country, le doo wop ou la proto pop. Au niveau temporel, on remonte à la quinzaine d'années magiques qui, entre 1948 et 1963, à vu naître le rock'n'roll et se développer le rhythm'n'blues, autant dire qu'on est en plein cœur d'un âge fondateur qui ne peut que nous complaire. L'intérêt principal de cet ouvrage étant de proposer essentiellement des chansons restées assez obscures, même dans la discographie de grands noms de la chose rock'n'roll. Les morceaux les plus connus sont "Sixteen tons" de Tennessee Ernie Ford (n° 1 pop et country en 1955), complété par la reprise des Platters en 1957, "Fever", le classique de Little Willie John et Peggy Lee, ici dans la version doo-wop de 1961 de Little Caesar and the Romans (qui décrochent au passage le prix du meilleur nom de groupe de cette compilation), le classique de la comédie musicale "Show boat" (circa 1927) "Ol' man river" dans la version rhythm'n'blues d'Eddie Barnes en 1960, ou encore "Help me", l'un des derniers succès de Sonny Boy Williamson, deuxième du nom, n° 24 rhythm'n'blues en 1963, deux avant sa mort. Côté interprètes, on reconnaîtra aisément Wynonie Harris, Sonny James et le très vaudevillesque "The cat came back" (n° 12 country and western en 1956), Dinah Washington avec une reprise du succès de Louis Jordan, "Is you is or is you ain't my baby", enregistrée en 1957, produite par Quincy Jones avec une copieuse section de treize cuivres, Elvis Presley avec "Relax", fortement inspiré de "Fever", extrait de la bande originale du film "It happened at the world's fair" ("Blondes, brunes et rousses" en français), l'un de ses nombreux nanars cinématographiques sorti en 1963, Gene Vincent et "Crazy beat" en 1963, Ruth Brown, la seule à apparaître deux fois sur ce disque, avec deux titres de 1959 dont le succès, n° 5 rhythm'n'blues, "I don't know", la très sexy (adepte de pantalons hyper moulants qui nous font sérieusement douter qu'elle portât toujours une culotte en dessous, un rien osé pour l'époque, un bel euphémisme) et énergique Jo-Ann Campbell, à l'inverse le très mièvre et poppy Fabian, l'exception anglaise au milieu de tous ces Américains, Jimmy Young, "Chain gang" en 1956, une bonne dizaine d'années avant qu'il ne devienne l'un des DJ les plus populaires de la BBC, Ike Turner et ses Kings Of Rhythm, Chuck Willis avec sa composition "Whatcha' gonna do when your baby leaves you", n° 11 rhythm'n'blues en 1956, ou encore l'aseptisé Bobby Darin. Quoi qu'on pense de tout ces interprètes, on ne peut nier qu'ils ont le don de vous faire chalouper tout au long des soixante-dix-sept minutes que dure le disque, même les plus satinés d'entre eux finissent par vous embarquer dans de lascifs flottements corporels, ce qui, comme il se doit, ne souffre aucune contrariété. Et comme toujours avec Bear Family, le disque est accompagné d'un copieux livret excellemment documenté. Bref, que du bonheur.


Johnny 'Guitar' WATSON : Rocks (CD, Bear Family Records)

John Watson Jr est né le 3 février 1935 à Houston, Texas. Son père, pianiste, lui apprend à jouer de cet instrument dès son plus jeune âge. Mais c'est la guitare qui attire le jeune adolescent, et plus spécifiquement la guitare électrique qu'il découvre grâce aux disques de T. Bone Walker et Clarence "Gatemouth" Brown, deux bluesmen qui vont beaucoup l'influencer. Intérêt pour la guitare renforcé par le fait que son grand-père, prêcheur, est lui-même guitariste, instrument dont il s'accompagne quand il chante à l'église. C'est d'ailleurs ce grand-père qui lui offre sa première guitare, à l'âge de onze ans, à la condition expresse que le jeune garçon ne joue jamais de musique profane. L'adolescent promet tout ce qu'on veut, et s'empresse d'oublier ce serment dès qu'il obtient l'instrument, ne jurant plus que par le blues. Musicien prodige, il n'a pas encore quinze ans qu'il accompagne déjà des bluesmen chevronnés comme Albert Collins ou Johnny Copeland, Texans comme lui, quand ceux-ci jouent à Houston. En 1950, ses parents divorcent et John suit sa mère qui part s'installer à Los Angeles. Là, John gagne de nombreux concours pour jeunes talents, ce qui lui vaut d'être engagé par des groupes de jump-blues comme les Mellotones de Chuck Higgins ou l'orchestre du pianiste Amos Milburn. Il est aussi bien chanteur que pianiste ou guitariste. En 1952, à dix-sept ans, il enregistre ses premiers disques pour le label Federal sous le nom de Young John Watson. C'est en 1954, après avoir vu le western de Nicholas Ray "Johnny Guitar", avec Joan Crawford et Sterling Hayden, qu'il décide de prendre le pseudonyme de Johnny 'Guitar' Watson. Son style se durcit et devient agressif et exubérant. Ainsi, son single de 1954 "Space guitar" est-il gonflé de larsen et de réverbération. En 1957, il signe avec le label Keen sur lequel il sort, entre autres, le single "Gangster of love". Au milieu des années 60, il rencontre Larry Williams avec qui il noue une solide relation. Les deux hommes vont enregistrer plusieurs disques ensemble, dont les albums "The Larry Williams show" en 1965, en Angleterre, avec le groupe anglais the Stormsville Shakers, et "Two for the price of one" en 1967, sur le label Okeh. En tant que musicien de studio, Johnny 'Guitar' Watson joue avec Little Richard, Don & Dewey, les Olympics, Johnny Otis ou David Axelrod. En 1975, on peut même l'entendre sur l'album de Frank Zappa "One size fits all". Dans les années 70, il délaisse le blues pour se tourner vers le funk, connaissant quelques succès, les albums "Ain't that a bitch" et "Real mother for ya" ou les singles "Superman lover" et "I need it", même si ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux. En 1978, il réenregistre "Gangster of love", chanson qu'il avait créée en 1957, et connaît un énorme succès avec cette nouvelle version. En 1980, il se lance dans le rap avec "Telephone bill". Autant dire que ça vire au fiasco et qu'on touche le fond. 1980 est l'année de la mort de Larry Williams et Watson, qui fréquente lui aussi la pègre de Los Angeles, prend ses distances avec la musique. Désormais, on ne l'entendra plus qu'en de rares occasions, comme en 1996 quand Bo Diddley l'invite sur son album "A man amongst men". Pareil pour la scène, ses concerts se font de plus en plus rares. Ce qui ne l'empêche pas de mourir pratiquement sur scène, le 17 mai 1996, à Yokohama, Japon, victime d'un infarctus, à l'âge de 61 ans. Cette compilation dans la série "Rocks" de Bear Family s'intéresse, on s'en doute, à une petit trentaine de ses titres les plus énergiques, couvrant une bonne décennie, entre 1953 et 1964, alors qu'il papillonne entre les labels Combo, Federal, RPM, Keen, Class, Goth, Arvee, Escort, King ou Highland. À l'époque, on n'était pas trop regardant sur la fidélité discographique. Le plus ancien de ces morceaux, "Motor head baby", enregistré en 1952, est même crédité à Chuck Higgins and his Mellotones, Chuck Higgins étant le leader et saxophoniste du groupe, même si Johnny Watson en est le chanteur et pianiste. Musicien accompli, Johnny 'Guitar' Watson écrit l'énorme majorité des chansons présentes dans cette sélection, au premier rang desquelles celle qui reste probablement son plus gros succès pour cette période, "Gangster of love", enregistrée en 1957 avec l'orchestre de Robert "Bumps" Blackwell, celui qui a alors déjà produit les premiers succès de Little Richard. Pour l'anecdote, dans cette chanson, Johnny 'Guitar' Watson se met lui-même en scène, se citant nommément et parlant de lui à la troisième personne, comme ça se faisait beaucoup dans le blues, un gimmick dont Bo Diddley, entre autres, a lui aussi largement usé. N'enregistrant à cette époque qu'en Californie, Los Angeles et Culver City, et pas dans le sud ou à Chicago, Johnny 'Guitar' Watson ne bénéficie pas de l'appui des grands noms du blues et du rock'n'roll officiant sur l'axe Chicago-Memphis-New Orleans. Nonobstant, au crédit de telle ou telle chanson, on peut voir émerger les noms du guitariste René Hall (Marketts, Routers, Larry Williams, tiens tiens, Sam Cooke, Ritchie Valens), du saxophoniste Plas Johnson (un who's who à lui tout seul, Charles Brown, Peggy Lee, Nat "King" Cole, Frank Sinatra, Ricky Nelson, Bobby Vee, Larry Williams, encore lui, Beach Boys, Marketts, c'est aussi à lui que l'on doit la fantastique partie de saxophone du thème de "La panthère rose" composé par Henry Mancini, c'est dire), ou encore du guitariste Charles "Chuck" Norris (Percy Mayfield, Floyd Dixon, Johnny Otis, Amos Milburn, Dinah Washington, Little Richard). Aujourd'hui, Johnny 'Guitar' Watson est malheureusement bien oublié, cette compilation est l'occasion de vous rattraper, le bonhomme n'ayant pas connu le succès qu'il aurait mérité. Comme beaucoup d'autres.




THAT'LL FLAT... GIT IT ! Vol. 48 (Starday) (CD, Bear Family Records)

THAT'LL FLAT... GIT IT ! Vol. 49 (Columbia & Epic) (CD, Bear Family Records)

Initiée en 1992, la série de compilations "That'll flat... Git it !" ne faiblit pas avec une moyenne, purement mathématique, d'un CD et demi par an. Il faut dire que le sujet traité par cette collection est quasiment inépuisable, faire (re)découvrir les trésors rockabilly et rock'n'roll (à l'exclusion de tout autre style) des années 50, voire, à l'extrême limite, du début des années 60, chaque volume étant consacré à un seul et même label. L'intérêt de la chose est de remettre en lumière quelques disques et artistes ayant déjà une certaine notoriété tout en déterrant son lot de trucs plus obscurs, les premiers servant ainsi de locomotives aux seconds. Ces deux nouveaux volumes sont sortis quasiment coup sur coup, d'où cette chronique commune.

Le premier est consacré au label Starday, fondé en 1953 à Beaumont, Texas, par Jack Starnes Jr. qui gère alors les intérêts du chanteur country Lefty Frizzell. Ce dernier étant sous contrat avec Columbia, il n'enregistrera jamais pour Starday, bien que le label, au départ, soit essentiellement consacré à la country. L'associé de Jack Starnes dans l'affaire est un distributeur de Houston, Texas, Harold "Pappy" Daily. Le nom même de Starday étant composé par les premières syllabes respectives de leurs noms. En activité jusqu'en 1968, Starday va mettre le pied à l'étrier de quelques futures stars de la country comme George Jones et Willie Nelson. À partir de 1955, avec l'émergence du rockabilly et du rock'n'roll, le label va aussi s'intéresser à ce nouveau genre prometteur. En trente-quatre titres, cette compilation parcourt donc la discographie rock'n'roll de Starday, même si la country n'est parfois jamais bien loin, comme le prouve "True blue" de Frankie Miller par exemple, ce dernier connaissant d'ailleurs un brelan de succès country pour le label en 1959 et 1960, dont deux top 10. Parmi les morceaux marquants de cette sélection, citons les deux titres de Link Davis, pourtant déjà quadragénaire au moment d'enregistrer "Grasshopper rock" et "Trucker from Tennessee" en 1956, ayant commencé sa carrière en 1937 comme violoniste dans un groupe western swing, la double contribution du chanteur country Leon Payne (auteur du classique "I love you because" en 1949, repris notamment par Elvis Presley ou Johnny Cash), sous son nom et sous le pseudonyme Rock Rogers, la tierce de Sonny Fisher - qui connaîtra la notoriété dans les années 80 après avoir été redécouvert par les défricheurs européens du rockabilly revival -, dont son succès tardif "Rockin' daddy", Rudy 'Tutti' Grayzell et son éloquent "Let's get wild", Rudy Gaddis, auteur d'un "Uranium fever" qui n'est pas sans rappeler les influences amérindiennes de "Kaw-Liga", le classique posthume de Hank Williams - quatorze semaines n° 1 des charts country, privilège que ne connaîtra pas Gaddis malgré un morceau qui a tout d'un rostre de galère en titanium, capable de harponner le plus revêche des mutants -, "All alone", le tout premier single de Sleepy LaBeff, qui ne connaîtra cependant la consécration qu'à partir des années 70. Starday, s'il n'est pas le plus réputé des labels rock'n'roll et rockabilly, n'en est pas moins une expérience attachante pour une étiquette plutôt country.

La seconde référence se penche sur une marque nettement plus prestigieuse et beaucoup plus versatile puisque Columbia, et sa filiale Epic, vont produire des disques dans quasiment tous les styles musicaux existants, ce qui est un peu normal pour ce qu'on peut considérer comme une major, de surcroît l'une des plus vieilles maisons de disque au monde. Elle est en effet fondée en 1888 à Washington DC par Edward Easton. C'est une boutique qui vend les premiers phonographes fabriqués par Edison ainsi que les premiers supports pour la musique enregistrée, supports ayant alors la forme de cylindres. Columbia tient son nom du District de Columbia où est située la ville de Washington. Columbia se met rapidement à enregistrer et fabriquer ses propres cylindres. Un catalogue de la firme datant de 1891 contient la bagatelle de 10 pages de références, il s'agit alors de musique classique. En 1894, Columbia perd son contrat de distribution des phonographes Edison, conduisant Edward Easton à se lancer dans la fabrication de ses propres appareils. En 1901, en concurrence avec Edison et Victor Talking Machine Company, future RCA-Victor, Columbia commercialise les premiers disques qui vont peu à peu remplacer les cylindres. À partir des années 20, Columbia diversifie son catalogue, s'ouvrant au jazz, au blues, à la country et à la variété. Dans les années 50, Columbia est la maison de disques qui vend le plus de disques en dehors du marché du rock'n'roll. Le label s'intéresse au rock'n'roll au moment de son émergence, en 1955, mais n'en fait pas son cheval de bataille, ce qui explique que son catalogue ne soit pas aussi fourni qu'on pourrait le croire. En l'occurrence, son fer de lance est l'une des vedettes du label Sun de Memphis, Carl Perkins, qui arrive dans l'écurie en 1958, en même temps que son compère Johnny Cash, lui aussi ex Sun, mais ce dernier a déjà abandonné le rock'n'roll pour se consacrer à la country, ce qui explique qu'il n'apparaisse pas ici, à l'inverse de Carl Perkins qu'on retrouve avec deux titres, "Jive after jive" et "Pop, let me have the car". Malheureusement, Carl Perkins ne connaîtra plus jamais le même succès que sur Sun avec notamment son impérissable "Blue suede shoes, Il finira d'ailleurs par rejoindre le groupe de Johnny Cash comme guitariste tout en enregistrant encore ses propres disques dans une indifférence quasi générale, une pitié. Autre transfuge de poids pour Columbia en 1956, Johnny Horton, qui a déjà obtenu quelques succès country depuis 1952. C'est cependant sur Columbia qu'il va exploser, toujours dans la country, notamment avec le standard "Honky-tonk man". Ce qui n'empêche par Johnny Horton d'enregistrer aussi un peu de rockabilly. Deux de ces plages sont présentées ici, "I don't like I did" en 1956 et "Ole slew-foot" en 1961. Si les artistes purement rock'n'roll ne sont pas légion sur Columbia durant les années 50, quelques-uns vont néanmoins se faire un nom, plus ou moins underground pour certains, mais quand même. C'est le cas de Billy "Crash" Craddock ("Lulu Lee", enregistré en 1958 avec, entre autres, le pianiste Floyd Cramer et le contrebassiste Lightnin' Chance), des Collins Kids, le frère et la sœur, Larry, né en 1944 (jouant sur une Mosrite double manche !), et Lorrie, née en 1942, de vraies piles électriques ("The cuckoo rock", enregistré en 1955, faites le calcul pour avoir leur [très jeune] âge, avec les guitaristes [ce qui faisait quatre guitares en comptant celles du duo fraternel] Joe Maphis et Johnny Bond), Rose Maddox, en solo, sans ses frères ("Hey little dreamboat", 1956, avec le guitariste country Merle Travis), Ronnie Self, auteur du classique "Bop-a-lena" en 1958 (ici avec "Flame in love" en 1956), Link Wray and the Wraymen - groupe composé des deux frères de Link, Vernon et Doug, et de leur cousin Shorty Horton -, guitariste fabuleux, auteur de nombreux classiques du rock'n'roll instrumental, à commencer par "Rumble" en 1958 sur Cadence, qui signe avec Epic/Columbia en 1959 ("Mary Ann", reprise de Ray Charles, parait en 1960, c'est l'un des rares morceaux chantés de Link Wray à cette époque), Johnny Bond, star country pour Columbia depuis la fin des années 40, qui s'est brièvement essayé au rockabilly ("All I can do is cry", 1957, enregistré avec le guitariste Grady Martin, le contrebassiste Bob Moore et l'harmoniciste Jimmie Riddle, un groupe 4 étoiles). Si la quantité n'est pas l'apanage de Columbia, cette compilation ne contient "que" vingt-six titres, la qualité est clairement au rendez-vous sur ce disque. Encore deux très bons jets pour cette collection.



ON THE PROWL WITH THE WOLF (CD, Bear Family Records)

Dernière née d'une épastrouillante série de compilations thématiques, celle-ci nous enrôle "à l'affût avec le loup", un loup pris dans sa classique incarnation animale comme dans ses métamorphoses surnaturelles ou dans ses distrayantes évolutions animées, bref le loup tel qu'il apparaît dans le large éventail de la culture populaire, entre les frères Grimm et Tex Avery - le premier cartoon de ce dernier pour la MGM, "Blitz wolf" en 1942, mettait déjà en scène un loup hitlérien afin de soutenir la récente décision américaine d'entrer en guerre - , entre La Fontaine et Charles Perrault, la palette est riche. En trente-deux titres, le loup est donc à la fête dans cette anthologie (ce qui n'est pas toujours le cas dans la vraie vie), Bear Family en exhumant les traces dans la discographie rock'n'roll, blues et rhythm'n'blues de deux décennies s'étalant de 1945 à 1966. À tout seigneur, tout honneur, une compilation traitant du loup ne pouvait passer sous silence l'un des plus grands bluesmen (dans tous les sens du terme, physique comme artistique) de tous les temps, Howlin' Wolf, qui, en 1952, sur Chess, se fendait d'un "The wolf is at your door" menaçant. Cette menace latente et multiséculaire qui pèse, encore aujourd'hui, on le voit avec la réintroduction, naturelle, de la bestiole dans nos contrées, sur nos mentalités occidentales constitue d'ailleurs l'ossature de ce disque, de nombreux titres y faisant référence, comme "Big bad wolf" (nom anglais que lui donne Tex Avery dans certains de ses dessins animés) de Clifton O'Neal & the Country Drifters ou "Lil' Red Riding Hood" (notre si classique Petit Chaperon Rouge) de Sam the Sham & the Pharaohs. Une menace également à forte connotation sexuelle, là encore Tex Avery ou le Petit Chaperon Rouge en sont de parfaits exemples, illustrée, entre autres, par "The big bad wolf" des pourtant très innocents Freddie Bell and the Bell Boys - ceux-là mêmes qui avaient émasculé le "Hound dog" autrement plus salace de Big Mama Thornton, on n'est pas si loin du thème ici aussi -, "Stop whistlin' wolf" des Maddox Brothers and Rose (énième référence à Tex Avery), "Red Ridin' Hood and the Wolf" (on n'en sort pas) de Bunker Hill ou "Big bad wolf" (morceau différent de celui cité précédemment) de Brian Diamond and the Cutters, seul groupe anglais de cette sélection. Un pouvoir sexuel qui ne s'éteint pas forcément avec l'âge, comme en témoignent "I'm an old wolf" de Tennessee Slim, "Wolf call" de Mark Anthony - le vrai nom de ce chanteur méconnu qui n'en rappelle pas moins celui du général romain Marc-Antoine, lui même queutard invétéré toujours à la recherche de chair fraîche -, "Wolf call" d'Elvis Presley, extrait, ça ne s'invente pas, de la bande originale du film au titre très machiste de "Girl happy" en 1965, "The prowler" des Idols ou "The wolf pack" (sur le modèle du Rat Pack de Sinatra et compagnie ?) de Kid Thomas. La menace sous-jacente du loup est encore exacerbée par la lycanthropie dont seraient victimes certains humains qui, dès lors, se transforment en loups-garous dont il est encore plus difficile de se débarrasser. Vraie malédiction physique ou maladie mentale ? Difficile à dire, et ce ne sont pas les quelques titres qui évoquent ici le phénomène qui risque d'y changer grand-chose, que ce soit "I'm the Wolf Man" de Round Robin ou "Wolf gal" de Skipper Ryle. Au final, puisque, selon l'adage de Plaute, décliné moult fois par la suite (Rabelais, Montaigne, Thomas Hobbes, parmi d'autres), "l'homme est un loup pour l'homme", ne faudrait-il pas plutôt se méfier de nos contemporains, voire de nous-mêmes ? Un comble au demeurant, mais néanmoins une réalité, l'homme étant largement plus dangereux pour ses contemporains que n'importe quel animal, loup compris. C'est ce que s'attachent à démontrer des titres comme le très cérébral "You bring out the wolf in me" de Piney Brown, "Wolf on the river" d'Amos Milburn, "Wolf bait" d'Henry Thome ou "Baby, you're the wolf" d'Ace Harris and his Orchestra. Ce qui ne nous affranchit pas de représenter le loup de manière symbolique dans notre culture, au sens large du terme, comme dans "Weerdo the wolf" de Frankie Stein and his Ghouls (what a name indeed !), "I'm a lone wolf" de Leon Payne, "Hillbilly wolf" de Billy Strickland ou "The wolf song" de Harry "The Hipster" Gibson. Au final, il est significatif de constater que le compilateur n'a retenu qu'une seule chanson célébrant le loup dans toute son animalité naturelle, donc beaucoup moins sauvage qu'on pourrait le penser, "Lonely wolf" de Ray Harris, preuve que l'image, métaphorique et allégorique, que l'homme s'est faite du loup depuis des millénaires a largement surpassé sa simple fonction biologique au sein du vivant. Il n'est pas le seul, l'ours, notamment, souffre lui aussi de cette désastreuse perception humaine qui veut que tout concurrent de notre espèce, que nous pensons "supérieure", soit forcément nuisible et doit donc être détruit. Ultime conseil avant d'écouter cette compilation, si la simple audition d'un hurlement de loup vous fait entrer en catatonie, mieux vaudrait vous essayer à un recueil de berceuses ou de musique zen, car la plupart des chansons entendues ici sont parsemées de ces vocalises lupines. Normal.


Léo442

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