BILLET D'HUMEUR - DO NOT REPLAY NEW ROSE FOR ME
Nous avons reçu ce mail de Thierry, nous le précisons continuellement dans les Monstres Sacrés, ici chacun a la parole. Nous attendons vos commentaires et les prochains billets d'humeur. Laissons maintenant la parole à Thierry :
REPLAY NEW ROSE FOR ME
Quand une clique de « happy few » se fait plaisir avec un symbole de l’histoire du rock en France.
Le 25 octobre dernier, en visitant le blog Paskal Larsen (https://paskallarsen.blogspot.com/), je découvre un article mis en ligne quelques jours plus tôt. J’y apprends que des photos d’Alain Duplantier, un photographe qui a tiré le portrait de moult artistes signés par le label New Rose, sont exposées dans une galerie parisienne. L’expo se termine deux jours plus tard mais d’autres sont programmées à brève échéance.
Cette manifestation accompagne en réalité la sortie d’un livre retraçant l’histoire du magasin/label parisien entre 1980 et 1993.
Enchanté par cette information, sourire radieux sur les lèvres, je clique aussitôt sur un des liens mentionnés, lequel m’amène sur ulule.com, un site de financement participatif.
Et là, patatra, en moins de temps qu’il ne faut pour retourner un vinyle sur ma platine, je passe de l’excitation à la déception totale : la souscription est terminée depuis le 27 juin. Quatre mois, rien que ça.
Restant lucide, je prends le temps de découvrir ce qui était proposé, pour des sommes comprises au minimum entre 50 et 149 euros. Cela allait du livre numéroté accompagné d’un poster inédit des Cramps et de 2 grands sacs New Rose vintage jusqu’au package « Hardcore fan New Rose » (on ne recule devant rien, décidément ; façon « le poids des mots, le choc des euros ») comprenant les mêmes articles plus deux petits sacs vintage, trois pochettes The Cramps "Can your pussy do the dog" non commercialisées (refusée par le groupe), quatre 45T promo (The Saints (Free 1) Polyphonic Size (Free 2) + R. Stevie Moore (Free 4) + The Cramps (Free 7). Et ce n’est pas fini : une carte de vœux Tav Falco 1987, un catalogue VPC, une carte de visite New Rose, deux papiers à en-tête New Rose, cinq badges (2 Saints + Cramps + Gun Club + New Rose), une affiche Barrence Whitfield et … des surprises. Ouf ! Je vous épargne le détail des packages intermédiaires. De toute façon, tout a été raflé.
Si vous n’êtes pas sur ce blog par hasard, vous prenez sûrement conscience que vous avez raté une étape. Vous ne vous trompez pas. Voici comment, vous et moi, on en est arrivé là :
D’abord, après enquête, il s’avère que cette opération de souscription n’a fait l’objet d’aucune publicité dans la presse spécialisée (Rock&Folk, Rolling Stone …). Je n’en ai pas trouvé trace non plus sur les sites internet susceptibles d’être fréquentés par le rockeur de base. J’ai poussé mon investigation jusqu’à passer en revue les news mensuelles du label/magasin lyonnais Dangerhouse, au demeurant très fournies.
Rien non plus.
En creusant un peu plus encore pour être au plus près de la vérité mais aussi pour ne pas être taxé de partialité, j’ai tout juste pu trouver deux sites qui ont communiqué alors qu’il était encore temps, sur l’existence de cette souscription.
- http://www.premo.fr/?search_chaine=new+rose (page manifestement supprimée depuis quelques jours mais j’en ai une copie - article du 13 juin d’un certain Bertrand Hamonou).
- https://romu.rocks/2022/06/news-litteraires-replay-new-rose-for-me/ (article du 14 juin)
Ces adresses vous parlent ? A moi non plus, avant ma récente recherche.
En définitive, ils sont exactement 208 « happy few » à avoir contribué au projet. Une infime minorité si on la compare avec le nombre de fans qui, si l’on se base sur les ventes du label, devraient se compter au bas mot en plusieurs centaines (pour tenir compte du décrochage rock’n’rollien dont beaucoup sans doute ont été victimes) si ce n’est en milliers.
Je n’ai pas mis longtemps avant de me rendre à l’évidence : la seule façon que nous aurions eu d’être averti de ce projet, c’est en fréquentant assidûment Facebook. Et encore, si vous n’étiez pas « ami » avec les bonnes personnes, tant pis pour vous.
Il n’est pas difficile d’en conclure que l’info n’a circulé qu’avec les posts mis en ligne par vos « amis» ou par MP. J’ai pu vérifier à plusieurs reprises que sur des pages vantant aujourd’hui la réception ou la simple sortie du livre, on ne trouve aucun post daté de mai-juin relatif au projet.
Le fait le plus remarquable étant sans doute l’absence de posts à ce sujet sur … New Rose Records - Tribute Group, un groupe sur FB, créé en 2010. Un groupe PUBLIC je le précise, comprenant à ce jour près de 400 membres. Un comble !!!
Tout juste, en fouinant, suis-je tombé sur un commentaire anodin posté mi-mai semble-t-il par un Japonais vivant à Paris : « I think Louis Thévenon is preparing the book of New Rose which will be out very soon”.
En revanche, depuis mai, ce ne sont pas les posts de Caroline Mathé – belle-fille de Patrick – qui manquent sur ce groupe. Mais JAMAIS concernant la préparation d’un livre. Comment peut-on imaginer qu’elle n’ait pas été au courant ?
Je ne vise pas ici les personnes à titre individuel. Chacun fait ce qu’il veut sur FB. Je veux simplement démontrer que la volonté de garder un maximum de gens à l’écart de ce projet était à l’évidence l’une des priorités. Pour être au courant de l’existence de la souscription, il fallait donc appartenir à un certain cercle. Si cela n’est pas une forme d’élitisme …!
Et je ne parle même pas de tous ceux qui n’ont pas de compte sur ce réseau social ou qui comme moi ont tout viré, leurs posts, leurs « amis », motivés par la volonté de prendre de la distance avec un environnement trop souvent nombriliste (dans le monde du rock, notamment, celui que je fréquentais). De toute façon, nous n’avions aucune chance d’être au courant lorsqu’il était encore temps.
L’importance pour une minorité était ici d’avoir « un coup d’avance ». D ‘avoir la possibilité de posséder une « pièce » comme disent les collectionneurs. Qu’il fait bon savoir que l’on possède quelque chose que les autres n’ont pas... La nature humaine est ainsi faite, même chez ceux qui prétendent aimer le rock’n’roll et donc être cool et bienveillants avec leurs prochains. « Faites ce que je dis mais pas ce que je fais. »
Ce n’est pas tout : un ami m’a assuré connaître une personne abonnée à la newsletter de Ulule et l’intéressé n’a rien vu passer concernant le projet du livre.
Le verdict est donc sans appel : le projet a d’abord été créé par des « happy few » pour des « happy few ».
A ce stade de ma réflexion, il ne faudrait pas non plus oublier une chose essentielle, qui visiblement a contribué activement à un tel déroulement. Je veux parler du choix de l’éditeur. Moonboy. Un éditeur spécialisé dans les séries limitées. Mauvais signe pour ceux qui auraient espéré un livre à large diffusion.
Au lieu de cela, les exemplaires encore disponibles seront vendus uniquement dans les galeries où sont et seront exposées les photos d’Alain Duplantier. Ou encore chez Gibert, à Paris, début décembre. Ce qui exclut de fait tous les fans habitant en province.
Je fais une parenthèse concernant le prix de vente : il a fallu m’y reprendre à TROIS reprises pour l’obtenir auprès de l’éditeur via la page « Replay New Rose for Me » créée pour l’occasion. Il est de 55 euros.
J’ai aussi remarqué que contrairement à l’habitude, l’article de Rock&Folk consacré à New Rose dans son numéro de novembre, ne mentionne pas, en fin de texte, le nom de l’éditeur. Tout juste apprend-on dans l’article que le livre est distribué par 4AD. J’ai cherché de ce côté là mais je n’ai rien trouvé. Dois-je en conclure que l’éditeur n’avait pas pensé à tout, surtout pas au fait que ce livre – au demeurant bien fait – pourrait intéresser beaucoup de monde ? Il faut être bien naïf pour croire qu’un livre sur l’histoire de New Rose ne susciterait pas un vif intérêt chez les fans de rock.
C’est là faire bien peu de cas des milliers de personnes qui sont passées dans la boutique ou ont commandé en VPC. D’ailleurs, j’ai cru déceler dans les commentaires de certains sur FB une pointe de déception quant au fait d’arriver trop tard. Cela ne trompe pas.
La bonne question : pourquoi avoir choisi un éditeur avec une telle spécificité dans l’exclusif ? Il y avait déjà les coffrets vinyles en série limitée et hors de prix, il y a désormais l’édition de livres sur le rock'n'roll, d’abord pour les collectionneurs.
Je considère – et je ne suis pas le seul j’en suis sûr - que New Rose fait partie de l’univers collectif des fans de rock. On aurait pu imaginer qu’un livre consacré à l’aventure d’un tel magasin/label aussi mythique fasse l’objet d’une approche identique à celle qu’avaient Patrick Mathé et Louis Thévenon lorsqu’ils ont ouvert la boutique, c’est à dire rendre accessible à tous des disques qu’aucun distributeur ne voulait diffuser.
Mais qui donc a décidé de cette voie éditoriale ? Je ne cherche pas un coupable, je ne veux « la tête » de personne. Si seulement ce billet pouvait faire prendre conscience à tous ces fervents passionnés du buzz créé autour d’eux, à tous ces happy few qui n’hésitent pas à foncer tête baissée, surtout quand il savent qu’ils font partie d’un cercle de privilégiés, qu’ils sont le déshonneur du rock’n’roll version accessible à tous, sans tra-la-la, sans qu’il soit besoin de créer une différence entre les gens.
Bien sûr que Rock&folk a publié un article de six pages à l’occasion de la sortie du livre. Mais j’ai du mal à croire que l’auteur de l’article ignorait totalement l’existence de la souscription. Il n’est sans doute pas le seul salarié des médias dans ce cas.
Une fois les « happy few » assurés de réussir leur (mauvais) coup, facile pour les médias de sortir la grosse cavalerie. Mais la ficelle est trop grosse et le fan lambda a mis au jour la manœuvre.
Vous ferez comme bon vous semble mais en ce qui me concerne je passe mon tour. Je n’irai à aucune des expositions, je n’assisterai pas à la rencontre chez Gibert avec les instigateurs de ce projet dont le déroulement va à l’encontre de ma vision. Tout logiquement, il est aussi hors de question que je file le moindre kopek à ces auteurs et que je cautionne un système dont le point de départ repose sur la notion de « collection ». Un système dont le raisonnement repose sur la sensation souvent rassurante et jouissive de faire partie d’une certaine « élite ».
Une certaine clique a manifestement programmé toute l’opération avec la seule intention de se faire plaisir.
Tout cela m’attriste. Evidemment, que je l’aurai acheté ce livre ! Mais leur façon de faire vient tout gâcher. Je suis un fan lambda, je ne demande rien mais je n’aime pas me sentir considéré comme un fan auquel on accorderait la possibilité d’accéder au reliquat des exemplaires.
Ne vous méprenez pas : ce n’est pas parce l’exemplaire que je pourrais acquérir n’est accompagné d’aucune babiole que je me tiens à l’écart, des gadgets dont je me contrefiche du reste. Ce n’est pas non plus parce que je serais soit-disant vengeur et frustré, comme me l’a écrit un groupe que j’aime bien pourtant, un groupe qui participera au concert du 25 novembre à Rouen. Il est vrai que j’ai été un poil provocateur en leur adressant un commentaire sur FB résumant mon opinion. Cela n’a pas plu ; je cherchais simplement à leur faire prendre conscience de certaines choses.
Ils n’ont d’ailleurs pas été les seuls à ne pas comprendre (ou ne pas vouloir comprendre) mes propos. Des fans de ce type de musique (« je ne vois pas où est le problème ...») jusqu’à l’éditeur lui-même – via sa page « Replay... » de laquelle j’ai été black-listé. Parce que j’ai osé répondre ceci à un commentaire d’un fan déçu :
« A ceux qui ont appris très récemment l'existence de ce livre : Ne vous en faites pas, vous n'êtes pas le seul à avoir loupé le coche. Simplement parce qu'il n'y a eu aucune "publicité" dans la presse ou les sites les plus fréquentés, concernant la souscription. C'est resté comme qui dirait en catimini. Ah, les "happy fews" doivent jubiler, ils ont leurs "pièces". Perso, je reste en dehors, je n'aime pas la façon dont ça s'est passé ! Si les fondateurs de New Rose s'étaient comportés de la même manière, le magasin/label n'aurait pas encore aujourd'hui une aussi belle respectabilité. »
Commentaire effacé ; reposté ; effacé à nouveau ; re -reposté et là, c’en est trop… la suite vous la connaissez. L’éditeur n’allait pas reconnaître ses torts. Il n’a pas cherché non plus à ce qu’on en discute. On ne discute avec un fan lambda, voyons !
S’ils avaient voulu rester fidèle à l’esprit New Rose, les auteurs auraient pu communiquer OUVERTEMENT ET DES LE DEPART en disant qu’ils sortaient A LA FOIS des packages en quantité limitée ET une édition classique.
On le sait, ils ont préféré favoriser les happy few. Vanter la sortie du livre, 4 mois plus tard, dans R&F et ailleurs ne peut qu’engendrer chez beaucoup, un vif écœurement.
Si c'est ça le rock, aujourd'hui ... Perso, je lâche l'affaire mais j'ouvre ma gu...... Ce monde là me dégoutte. Je préfère m'en tenir aux nombreux vinyles du label que j'écoute encore régulièrement. Pour conclure, je ne pense pas que P. Mathé aurait apprécié la façon dont on a utilisé New Rose pour valoriser certains égos.
Ce qui est sûr, c’est que j’ai plein de souvenirs émanant de mes très nombreux passages dans la boutique et cela me suffit amplement. Ils valent bien mieux que de cautionner cette façon de faire répugnante en leur filant 55 euros.
Je terminerai ce billet d’humeur avec une anecdote : j’ai longtemps gardé les grands sacs New Rose, ces sacs pour lesquels j’ai encore dans l’oreille le bruit du froissement lorsqu’on les manipulaient. Je les utilisaient surtout pour déménager mes disques. J’ai plusieurs fois changé de domicile et finalement, ils n’ont pas résisté au temps. Je ne leur en veux pas, ils ont fait partie de ma vie eux aussi et je les en remercient.
Thierry Fleury
PS : Dites-nous Patrick Mathé, de là où vous êtes, vous en pensez quoi, de tout ça ?
Commentaires