RÉTROVISEUR 5 : JEFF BECK, LE VIEUX RÊVE

 

Il y a deux ans, le 10 janvier 2023, Jeff Beck, qui symbolise le mieux la gloire des Yardbirds, entre Eric Clapton et Jimmy Page, nous quittait. Pour moi, il est le guitariste de référence. Même si ses albums jazz-rock ne m’ont pas trop enthousiasmé, son hommage à Gene Vincent en 1993 avec l’album « Crazy Legs » et son génial concert à La Cigale démontrent toute son élégance.

Le 22 janvier 2025, l’ensemble de sa collection sera visible chez Christie’s à Londres avant d’être mise en vente, après que les principales pièces aient été exposées à Los Angeles du 4 au 6 décembre 2024. Mais revenons sur cette prestation qui marque le début de l’année 1973 ! 


Nous n’osions tous à peine y croire, Jeff Beck, Tim Bogert et Carmine Appice au Bataclan le mardi 20 février pour Pop 2. Coups de téléphone, confirmations, tout cela était bien vrai, le Vieux Rêve que chacun nourrissait de voir - de visu - était là, dans nos murs, prêt à nous émerveiller, ce qu’il n’allait pas manquer de faire. Et pourtant l’affaire remontait à loin, 1969. Le fantastique Jeff Beck Group avec Rod Stewart était mort, Vanilla Fudge allait être dissout, la vague des super groupes était partout à l’honneur, une nouvelle association entre Bogert, Appice, Stewart, Beck se profilait, mais un accident de voiture de ce dernier devait y mettre fin. Pour Bogert et Appice l’impatience l’emport’ et ils formèrent Cactus, pour Jeff Beck le repos était de rigueur.

Jusqu’au jour où, enfin rétabli, il constitue un nouveau combo avec lequel il enregistre deux superbes albums. Chacun mène donc une bonne carrière de son coté, Cactus et Jeff Beck, mais l’envie tenaille toujours nos trois hommes. Bientôt, elle se fait si forte que la dissolution des deux formations s’ensuit, réunissant enfin Carmine Appice, Tim Bogert et Jeff Beck, ainsi que deux anciens musiciens de son groupe qui disparaissent au bout de quelques jours seulement, laissant les trois hommes à leur affaire. Le Vieux Rêve est enfin réalisé, avec une tournée mémorable aux Etats-Unis, retour en Grande-Bretagne, début de l’enregistrement du premier album et puis, soudain… Paris. Paf ! Comme ça, une superbe surprise.


L’événement est donc de poids et les petits Français rusés ne manquent pas, comme d’habitude, d’être la tôt dans l’après-midi, afin de ne pas rater ça : B.B.A. : Beck, Bogert, Appice, le trio choc de la rock music. Tous trois sont là, sur la scène, répétant leur show, nous laissant ainsi entrevoir le fabuleux concert qu’ils nous préparent.

18 h 25. Le Bataclan est livré au public depuis une demi-heure déjà et la salle est maintenant archicomble, prête à ovationner B.B.A. qui, précisément entre en scène. Derrière eux se profilent deux drapeaux, un américain et un anglais, symbolisant leur réunion. Tous trois sont là, groupés, face au public : à gauche Tim Bogert et sa basse, à droite Jeff Beck et sa guitare, au milieu, perché sur une estrade Carmine Appice et sa double batterie. L’accord claque, puissant, des lors un déluge sonore époustouflant s’abat, nous laissant sans force, en extase devant le formidable triumvirat.

C’est parti sur « Superstition » de Stevie Wonder, envoyé de main de maître. La basse de Bogert ronfle superbement, tandis qu‘il chante. Appice assure comme un fou, laissant la guitare de Beck égrener des grappes de notes riches et savoureuses. B.B.A. est animé d’une pêche extraordinaire et si Carmine Appice n’a pas la classe remarquable de ses deux compères, il n’en est pas moins l’exceptionnelle pulsation qui leur convient si bien, faisant de son drumming une bourrasque sur laquelle, comme un vent de folie, Bogert et Beck délirent tout à leur souhait. « Superstition », dès ses premières mesures, nous convainc que Beck, Bogert et Appice font irrémédiablement partie des plus grands, si on ne le savait pas encore, et ce n’est que le début qui s’enchaîne sur « I’m So proud », extrait de leur premier simple à paraître prochainement. Ils jouent leur musique, le rock, avec une persuasion étincelante, ils vous coupent littéralement le souffle, la cohésion qu’il faut à tout trio est fortement présente chez eux. Ils ressentent, vivent leur musique à l’extrême, les breaks sont d’une précision, pas une note ne tombe à côté.


Le seul point sur lequel on peut leur adresser un reproche est la partie vocale qu’ils se partagent tous trois à tour de rôle ou ensemble. Mais c’est facultatif face à ce qu’ils sortent chacun de leur instrument respectif, le chant n’étant qu’un prétexte, car tout se passe dans le feeling qu’ils expriment en jouant. Et que ce soit dans leurs compositions ou dans les reprises, ils sont tout aussi à leur aise, ce qui est déjà un grand moment, qui en promet d’autres que l’on n’ose à peine imaginer. Bien sûr Carmine Appice nous assène le traditionnel solo de batterie, laissant se reposer les deux autres, avec une frappe de métronome à l’impact évident. Et tous sont tellement heureux d’être là, musiciens et public.

On a droit au bon vieux « Morning Dew» de Tim Rose qui figurait sur le fameux LP « Truth » du Jeff Beck Groupe abec le Rod Stewart, où Carmine Appice est plus à l’aise pour chanter, plus sûr que Tim Bogert, plus puissant, se défonçant comme une bête. Jeff Beck aussi se singularise pour un morceau, au chant, en leader, sur « Black Cat Moan », qui figure sur le 45 tours, un titre qui va faire des ravages et des tas d’adeptes. Mais revenons à Tim Bogert qui nous offre lui aussi un solo de basse, construisant des figures à en laisser pantois plus d’un, surtout avec quatre cordes, balançant des sons énormes, grondants, vrombissants, avec de la distorsion. Jamais d’effets gratuits, une suite structurée et délirante, le révélant comme un exceptionnel bassiste, pour ne pas dire le meilleur du monde a l’image du guitariste Jeff Beck.


Si tous trois jouent très fort, le son est toujours concis. Mais il est temps d’aborder le morceau de choix, ce pour quoi tout le monde salive et qui a trouvé le groupe idéal pour s’exprimer : j’ai nommé Jeff Beck. Encore une fois, s’il vous plaît, Jeff Beck ! Le public n’en peut plus. Il est en extase. Ses doigts courent sur le manche, aussi à l’aise dans les graves que les aigus où il se permet des effets des plus percutants. Tandis que 
Tim Bogert l’épaule et que Carmine Appice lui répond, son pied appuie, travaille la pédale wah-wah sans en abuser, à bon escient. Il discourt avec une facilité déconcertante. Ses chorus sont d’un équilibre flagrant. Jeff Beck se permet des figures risquées qui ne le mettent nullement en défaut, vous faisant ressentir un frisson le long de l’épine dorsale, des plus agréables. Sa version de « Jeff’s Boogie » du temps des Yardbirds est renversante. L’on pourrait écrire à loisir sur sa démonstrative et sensitive manière de jouer, mais à quoi bon, le feeling ne se retransmet pas sur le papier, il faut l’écouter et le ressentir. Magnifiquement épaulé par Bogert & Appice, Jeff Beck explosera-t-il enfin au firmament de la gloire qu’il mérite ? J’espère pouvoir dire : OUI. Car en ce mardi 20 février 1973, c’est avec une fougueuse fébrilité que le public massé dans le Bataclan a rappelé avec force applaudissements le trio B.B.A. pour un premier puis un second rappel s’achevant sur un tempo fulgurant, prolongeant le show d’une demi-heure. Au total Beck, Bogert, Appice venaient de nous offrir près d’une heure et demie de leur exceptionnelle musique. Ce Vieux Rêve de rock music de se concrétiser devant nous, et nous étions tous là, Jeff Beck, Tim Bogert,

Carmine Appice et la salle, heureux comme des mômes un jour de Noël !

Le 14 juin 1973, B.B.A. revient enflammer l’Olympia. L’aventure ne dépasse pas 1974, mais quelle apothéose.

Jacques LEBLANC

Juke Box Magazine


Ce Rétroviseur 5 est dédié à la mémoire de Jacques Barsamian.

En 1960, en Angleterre, il avait assisté au concert de Gene Vincent et Eddie Cochran, quelques jours avant la mort de ce dernier dans un accident de voiture, le 17 avril.

Le dimanche 1er décembre 2024, Jacques Barsamian s’est installé au Paradis des Rockers auprès d’Eddie Cochran et Johnny Hallyday où il repose en paix.

Jacques Barsamian et Gérard Bernar (de Disco Revue) au centre avec Chris Dreja, Jim McCarty, Keith Relf, Jeff Beck et Paul Samwell-Smith boulevard Saint-Germain à Paris en 1965.




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