STRYCHINE & KICK - INTERVIEW KICK :"... ça fait quand même un demi-siècle ces histoires !" (1/2)
S'il y a un groupe qui a influencé le rock à Bordeaux, c'est bien Strychnine et non les plus connus qui ont suivi. Ce fut une grande joie pour moi lorsque leur chanteur Kick accepta de répondre à nos questions. Voici la première partie de son interview. La deuxième sera consacrée à l'après Strychnine. Merci à toi Kick.
1981 |
Dis-nous Kick, comment était-ce pour un passionné de musique rock comme toi de vivre à Bordeaux avant la "révolution punk" ? Comment satisfaisais-tu ta soif de connaissances musicales ? Allais-tu à beaucoup de concerts, et lesquels t'ont marqué ?
Avant, c'était les années de lycée... J'allais voir pas mal de concerts, ce qu'on pouvait
voir à l'époque. Il y avait ces groupes dans le style « rock progressif » (comme on disait), tels
Magma ou Gong (qui étaient très bons sur scène) et beaucoup de chanteurs et chanteuses
« engagés » (post-soixante-huitards pour tout dire...). J'ai pu voir quand même Rory Gallagher et
aussi Hawkind (avec Lemmy à la basse). À partir de 1975, les groupes de Pub Rock anglais genre
Dr Feelgood ont commencé à débarquer en France et ça c'était vraiment cool !
À l'époque, Strychnine se déclarait fan du rock'n'roll des années 50-60 (particulièrement de Chuck Berry) et des Stooges. Je suppose que c'est grâce au Nuggets de Lenny Kaye que vous avez découvert les Seeds qui ont donné le nom à votre groupe ? N'y a-t-il pas eu une influence francaise, ne serait-ce qu'au niveau des textes ?
Le morceau « Strychnine » est un titre des Sonics, un groupe de Seattle formé en 1960.
Nous avions l'album « Here are the Sonics ». Je n'ai eu aucune influence française pour l'écriture
des textes. Ma principale influence à ce sujet est Chuck Berry.
Vous appréciez également Little Bob Story, vous l'avez souvent déclaré. À tes yeux, pourquoi n'était-il pas comparable aux autres groupes rock français de l'époque tels que Bijou, Téléphone ou Trust ?
Nous avons pu aller voir Little Bob Story (en stop) en 1976 à Bergerac. Ça puait
l'authenticité et le vrai Rock'n'roll comme on l'aimait. Il y avait ce côté "sale" qui pour nous était
un critère indispensable, et il avait une super formation à l'époque.
Qu'est-ce-qui vous a donné envie de passer à l'action et de monter votre groupe ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour le faire ? Cela ne devait pas être simple pour un groupe rock de débuter à Bordeaux pendant ces années-là ?
Je ne sais pas pourquoi on s'est mis à faire ça en fait... Autant qu'il m'en souvienne la
principale difficulté a toujours été d'arriver à trouver des endroits pour pouvoir répéter.
Paradoxalement Bordeaux était peut-être à l'époque la ville où ça bougeait le plus en France ( avec
Lyon).
1977 Au local avec Ghighi et Boubou |
Chanter en français, cela a toujours été un débat dans la musique de ce pays. Pourquoi avez-vous eu ce choix ? Bijou le faisait aussi et le magazine MOJO a déclaré que c'est la raison pour laquelle ils n'ont pas percé dans le reste du monde. Qu'en penses-tu ?
Pour moi la question ne s'est jamais posée . Il se trouve (j'ai pas choisi !) que la langue
des gens qui m'écoutent chanter est le français, et que c'est la mienne aussi. Personnellement je me
serais senti ridicule de me mettre tout à coup à échanger avec eux dans une langue étrangère. (Je ne
parle pas des reprises, bien sûr, mais des compositions originales). Et puis, même si je pratique
plutôt bien l'anglais, j'ai tendance à penser qu'écrire des textes qui tiennent la route dans une langue
qui n'est pas ta langue maternelle est mission quasi-impossible... Pour ma modeste part je n'ai pas la
prétention d'avoir cette capacité-là ! D'ailleurs je lis beaucoup et je crois savoir que très peu
d'écrivains ont réussi une telle prouesse dans l'histoire de la littérature ! (et des bien plus compétents
que nous à tous les niveaux)... Après ça, si tu connais un chanteur français qui a pondu en anglais
des textes du niveau de ceux de Chuck Berry, de Dylan ou de Lou Reed (et même de Johnny Rotten
ou de Joe Strummer), tant en ce qui concerne le fond du propos, la richesse du vocabulaire que la
musicalité de la langue, je veux bien que tu me refiles le tuyau... Pour finir, j'ai toujours
essentiellement écouté de la musique américaine et à mon goût la langue anglaise « sonne » bien
mieux quand elle est chantée par des Américains (ou des Anglais). J'ai parfois un peu de mal quand
elle est utilisée par des Français, je l'entends de suite et ça me gêne...
Ceci dit je respecte tout le monde et ce ne sont bien évidemment que mes petites idées personnelles.
D'autres ressentent les choses différemment et chacun fait comme il l'entend. Of course !
Tout d'abord, vous répétez beaucoup, quels morceaux dont il n'existe pas de trace audio avez-vous joué ? Vous repreniez les Stooges et les new York Dolls, quelles étaient vos autres reprises ? Existe-t-il encore des bandes (audio ou vidéos) inédites de cette époque, Jean-Pierre Penaguin qui vous a aidé pour le live à Brest, a-t-il creusé tous ses tiroirs ?
Au début on a fait des reprises, pour essayer d'apprendre à jouer en fait... Fort
heureusement il ne reste pas de traces audio !! Enfin je l'espère car on était vraiment mauvais !
Mais à l'époque du punk tout le monde s 'en foutait, il suffisait de jouer à 100 à l'heure et de se
rouler sur la scène et ça le faisait. Très vite on s'est mis à composer, en fait à partir du moment où je
suis passé chanteur (au tout début, j'étais bassiste). Les reprises que nous avons gardé le plus
longtemps au répertoire sont « Search and Destroy » des Stooges et « Vietnamese baby » des New
York Dolls. Ainsi que le « Strychnine » des Sonics que nous avons encore joué à notre concert
d'adieu ( on jouait bien mieux à la fin...)
Dans une mini interview de 1981, vous déclarez que ce sont les gens comme Philippe Manoeuvre et le parisianisme qui nuisent au rock en France. Cela ne vous a pas empêché d'un autre côté à passer chez Patrick Sabatier et son émission Studio 3 sur la chaine TF1 en 1980 ou aux Enfants Du Rock. Etait-ce un choix de votre part ou avez-vous été obligés de le faire ? As-tu des souvenirs de l'enregistrement de ces émissions et quelles réactions ont-elles amené ?
Je ne me souvenais plus que l'on avait fait ça (sûrement un plan à la noix de la
« maison de disques »). Et je n'ai rien contre Mr Manoeuvre et les « critiques » de Rock en général
(je ne connais pas ces gens, ils ne m'ont jamais rien fait). Il est vrai qu'à l'époque la « presse
spécialisée » était concentrée dans les milieux chics parisiens et n'en avait que pour le groupe
Téléphone, qui était pour eux la quintessence du rock français (on a vu la suite...). Ainsi que pour
une poignée de groupes parisiens ou lyonnais qui avaient leurs entrées dans la jet set. Même Little
Bob n'avait pas droit à des articles !... Mais bon ! pour être honnête je m'en fous complètement, ce
n'est pas ma planète et je ne me souviens pas d'avoir jamais ouvert un de ces journaux
« spécialisés », aussi je ne me sens pas concerné... Il faut quand même signaler la lumineuse
exception de la série d'émissions « Les Enfants du rock » de Vuillermet et Dister, tournée en format
16 mm dans de nombreuses villes (Le Havre, Brest, Rouen, Fumel, etc..) au début des années 80,
qui nous a laissé des documents d'archives qui ont de l'intérêt,... enfin je trouve.
1978 |
Le "punk Français" apparaissait également avec des groupes tels que Starshooter, Asphalt Jungle, Stinky Toys. Vous sentiez-vous proches de cette scène ou plutôt du côté des Dogs ?
Ni des uns, ni des autres. On ne fréquentait que les groupes de notre ville. Et encore
pas tous ! Uniquement ceux qui traînaient dans les mêmes bars que nous.
Comment êtes-vous arrivé à participer au deuxième festival punk de Mont-de-Marsan et pourquoi le faire gratuitement ?
Par hasard. On débutait à peine... On n'allait pas exiger d'être payés en plus !
Pas aux Clash qui avaient leur matos (ils avaient les moyens je pense, ils avaient déjà
signé chez CBS). Mais aux autres groupes du premier jour ( dont Police ! J'en ris encore !)
Non... pas en ce qui me concerne en tous cas. J'étais avec mes potes.
Je sais plus.
Je crois qu'il n'y avait eu à l'époque que quelques entrefilets dans la presse spécialisée
(et encore, même pas sûr). De toutes façons, il n'y avait pas de journalistes présents. Ces gens
n'allaient quand même pas s'abaisser à fréquenter une obscure sous-préfecture des Landes ! (Quand
on a tous les frais payés pour aller assister à des concerts à Londres ou à New-York, ça peut se
comprendre.) . Sinon je n'ai eu l'occasion de découvrir que bien des années plus tard (sur internet)
cet extrait des actualités régionales de l'époque, où l'on nous voit sur scène en arrière-plan. Avec ce
présentateur bon chic-bon genre qui fait mine d'être scandalisé...C'est kitsch.
En 78, vous sortez votre premier disque autoproduit. Comment se passer la création d'un tel disque en France ? Était-ce une chose simple ou un vrai casse-tête ?
Niveau studio d'enregistrement, c'était la préhistoire à l'époque en France.
Avec le recul, sûrement un peu des deux... Jamais entendu parler de ce Mr Polnareff.
À ma connaissance, je ne crois pas que le Mc5 soit jamais venu jusqu' à Hérouville !
Ou alors j'ai raté un épisode... Pour moi, c'était surtout Marc Bolan qui a fait deux albums là-bas,
« The Slider » puis « Tanx ». Je suis fan de T.Rex depuis l'enfance.
Nous n'avons jamais joué à l'étranger, pas même en Suisse ou en Belgique.( Mais
après tout Elvis ne s'est jamais produit qu'aux Etats-Unis, alors...) Et je ne me souviens plus de tous
ces concerts, ça fait quand même un demi-siècle ces histoires ! Mis à part peut-être celui au festival
de Mont-de-Marsan , un des tous premiers, et la dernière soirée d'adieu en janvier 82 dans la salle
du Grand Parc à Bordeaux où nous n'étions plus que trois rescapés. Enfin ne me restent que
quelques images assez floues...
On tournait à l'époque avec un corbillard.
En 1982, c'est la fin du groupe, trop de drogues et de divergences en tout genre. Ne fut-ce pas frustrant de se retrouver pour le concert d'adieu en face d'autant de public alors que les salles étaient souvent vides auparavant ?
De nombreux groupes vous ont cités comme influence pour eux, certains comme Noir Désir ou Les Ablettes ont même repris vos morceaux. Ne t'es-tu pas parfois posé la question pourquoi eux ont pu avoir plus de succès que vous ? Quels ont été à tes yeux les héritiers Bordelais de Strychnine ?
En 2010 une nouvelle formation du groupe sort "Tous Les Cris", pourquoi reprendre le nom de Strychnine, ne fut-ce pas juridiquement un problème ?
Êtes-vous toujours tous en bons termes ?
Bof !... Je m'en fous
De nombreux groupes vous ont cités comme influence pour eux, certains comme Noir Désir ou Les Ablettes ont même repris vos morceaux. Ne t'es-tu pas parfois posé la question pourquoi eux ont pu avoir plus de succès que vous ? Quels ont été à tes yeux les héritiers Bordelais de Strychnine ?
Peut-être qu'ils étaient tout simplement meilleurs ou qu'ils sont arrivés un peu plus
tard ou qu'ils avaient de plus belles gueules, ou qu'ils pouvaient s'adapter au système, je ne sais pas.
Tant mieux pour eux en tous cas... Et pour moi aussi par la même occasion. Ça ne m'aurait pas plu
d'être une rock star, pas du tout le genre de vie qui me fait fantasmer. Est-ce que nous avons des
« héritiers » ?... Sûrement pas dans une ville comme le Bordeaux d'aujourd'hui en tous cas. Je n'en
sais pas plus.
Êtes-vous toujours tous en bons termes ?
J'avais arrêté la musique pendant de nombreuses années et quand j'ai retrouvé Boubou
(le batteur), on s'y est remis. J'avais beaucoup de nouvelles compos, plein de choses à dire et il me
semblait que l'on avait toujours la bonne énergie. Sinon aucune nouvelle des autres à ce jour,
j'espère qu'ils vont bien. Certains qui faisaient partie de notre équipe sont décédés. J'ai juste réussi il
y a peu à revoir Richard (le bassiste) qui vit depuis des années dans une unité psychiatrique fermée,
non loin de la ville où je vis en ce moment.
Neuf ans plus tard, vous sortez une intégrale, pourquoi n'y figurent pas l'album de 2010 et le live à Brest ?
L'idée était de ressortir les deux albums originaux dans leur jus, remasterisés à partir
des bandes originales que nous avions eu le bonheur de pouvoir récupérer
Le groupe n'est plus actif en ce qui me concerne. Je suis occupé par les morceaux et
les textes que j'écris à l'heure actuelle, c'est ce qui est important pour moi. Après rien ne dit que s'il
se présente un jour l'occasion d'une fête sympa, comme on l'a fait pour la sortie de l'Intégrale avec
plein d'invités ( d'O.T.H, de Noir Désir, Des Bérus, de Parabellum, etc...)... De toute façon les autres
peuvent toujours reformer Strychnine sans moi s'il leur en prend l'envie, ça ne me poserait pas de
problème.
Quelle image a Strychnine pour toi ? Est-ce une fierté, un regret, un voyage nostalgique dans ta jeunesse (...) ?
Je garde l'image d'une bande de (très) jeunes extrémistes complètement déjantés. Je
n'ai ni fierté spéciale ni regret. Cela dit je n'ai jamais renié ce que nous avons fait ensemble et il me
semble avec le recul que les textes et les compos étaient vraiment bons. Il y avait dans ce groupe
une authentique énergie et ça tenait la route. Une chose est sûre : on n'a pas triché ! Personne ne
pourra jamais nous reprocher ça... On était à fond !
Pour finir sur le sujet « Strychnine » je n'ai pas la moindre nostalgie de ma jeunesse et surtout pas
de cette époque-là qui fut intimement très éprouvante pour moi (et pour les autres du groupe aussi,
je n'en doute pas). Je suis connecté sur le présent et le futur proche (pour ce qu'il m'en reste à
vivre...).
Merci Kick
Vous pouvez trouver ses disques et son livre ici
Commentaires
Enregistrer un commentaire