FACTORY : UN ECHANTILLON D'USINE



12 février 1976, Eddie & The Hod Rods jouent en tête d'affiche au Marquee Club de Londres. Ils remplacent les américains Stars et en première partie, un petit groupe totalement inconnu à ce moment-là va faire parler de lui: Sex Pistols. Leur set est sauvage, les chansons aussi. Le chanteur descend dans le public, s'assoie parmi les spectateurs puis se relève en jetant sa chaise au sol. Neil Spencer, journaliste au New Musical Express, vient d'arriver avec son collègue Tony Tyler et ils hallucinent face l'audace de ces amateurs qui reprennent Stooges et Who en version survitaminée.

De retour chez lui, Spencer écrit un article uniquement consacré à ce jeune gang de première partie : «Don't Look Over Your Shoulder, But The Sex Pistols Are Coming » (« ne vous retournez pas, mais les Sex Pistols arrivent »). Pas un seul mot sur Eddie & The Hot Rods qui ne décoléreront jamais. Le NME publie l'article dans son numéro du 21 février, deux étudiants de Manchester le lisent et décident d'aller voir tout ça de près. Arrivés à Londres, ils font la connaissance du manager des Sex Pistols, Malcolm McLaren, qui n'en croit pas ses yeux : deux adolescents ont fait le trajet pour voir le groupe dont il commence à s'occuper. Pour lui, c'est à peine croyable.

Les deux Mancuniens Howard Trafford et Peter McNeish sont tellement subjugués par ce qu'ils voient sur scène qu'ils proposent à McLaren de faire jouer les Sex Pistols chez eux, quand ils le pourront. De retour à la maison, ils montent un groupe dans la même veine, Buzzcocks, et se rebaptisent Howard Devoto et Pete Shelley.

Le premier concert a lieu le 4 juin 1976 dans la petite salle du Lesser Free Trade Hall. On ne s'y bouscule pas, les Sex Pistols ne sont pas connus et la première partie qui devait être assurée par Buzzcocks est finalement offerte à Solstice, groupe local également inconnu. Une cinquantaine de personnes est là, les avis sont plutôt favorables et beaucoup reviennent le 20 Juillet accompagnées de quelques amis pour assister au second concert. Après ces deux soirées, Marc E. Smith, Ian Curtis, Peter Hook et Bernard Sumner comprennent que tout est possible, le premier forme The Fall, les trois suivants Warsaw qui devient Joy Division. Dans la salle également, Morissey, futur The Smiths, et Tony Wilson, présentateur à Granada TV, qui fait passer les Sex Pistols dans son émission « So It Goes » en août 1976. Il crée ensuite la Factory en 78 avec son associé Alan Erasmus. Cette salle de concert également connue sous le nom du Russel Club voit passer Joy Division, The Durutti Column et Cabaret Voltaire, tous les trois présents sur le premier disque de Factory Records, « a Factory sample ». Ce label est fondé par Wilson et Erasmus, associés au producteur Martin Hannet, au designer Peter Saville et au manager Bob Gretton qui s'occupe de Joy Division.

Les débuts de Factory Records se font à la débrouille, les bureaux se trouvent chez Alan Erasmus et le disque « a Factory sample » sort en janvier 79 pressé d'abord à 1000 copies suivis de repressages deux ou trois mois plus tard. La pochette, assez « do it yoursef », annonce une nouvelle ère, celle de l'industrie, de l'usine. Imprimée en noir et argent sur du papier de riz grand format, elle permet une fois repliée d'insérer deux disques 33 tours au format 45 (le poète John Dowie est également présent). Au recto, un homme porte un casque de chantier et des protections auditives, au verso un autre conseille l'utilisation de ces protections auditives. Industriel.


Joy Division est le premier groupe à sortir un album sur Factory Records. « Unknown Pleasures » voit le jour le 15 juin 1979 et il est représentatif de l'ambiance du moment. Froid comme un hiver à Manchester, c'est aujourd'hui une référence Post-Punk. Si Magazine et Public Image Limited ont montré la direction en 1978, Joy Division plante définitivement le décor avec des titres comme Day Of The Lords, Candidate et avec cette voix sombre, celle de Ian Curtis, chanteur malade et torturé qui met fin à ses jours l'année suivante, juste avant le sortie de « Closer » deuxième album du groupe. Les trois autres membres fondent alors New Order et restent fidèles à leur label.

« The Return Of The Durutti Column » sort en janvier 1980. C'est le premier LP de ce « groupe » et le deuxième de l'écurie Factory qui en fabrique environ 3000 exemplaires dans un premier temps. Ils sont emballés dans du papier de verre avec un 45 tours flexi en bonus qui contient deux instrumentaux de Martin Hannett. La pochette varie selon les copies, le titre de l'album ou le numéro catalogue FACT 14 est tagué à la peinture noire ou blanche sur le recto. Les rééditions, en revanche, sont toutes commercialisées en pochette standard et sans flexi-disc. Ici aussi, les choses se font de façon très artisanale. Les membres de Joy Division et A Certain Ratio aident Wilson & co à peindre les pochettes et à emballer les disques.
Même s'il a été formé par Wilson et Erasmus avec Vini Reilly, The Durutti Column n'est pas vraiment un groupe mais un concept instrumental de Reilly parfois accompagné, sur ce premier album, par Martin Hannett (claviers) et Toby Toman (batteur qui a joué avec Nico, entre autres). Le titre de l'album vient du journal situationniste de 1966, « Le Retour Des Colonnes Durutti » et le nom du groupe emprunté aux « Colonnes Durutti » de la guerre d'Espagne. Musicalement, c'est froid, comme Manchester. Une sorte de Post-Jazz Industriel ?


Un mois après la sortie de cet album, c'est une cassette de A Certain Ratio que Factory met sur le marché. Intitulée « The Graveyard and the Ballroom », elle contient 7 titres en studio et 7 en concert. Là encore, le label joue la carte de l'originalité et fait le bonheur des collectionneurs. La cassette et son livret sont emballés dans un sachet plastique de couleur différente selon les exemplaires, orange, rouge, vert, bleu ou gris. A Certain Ration se situe entre le Post-Punk de Public Image Ltd et Joy Division (« Flight », «
Crippled Child ») et un funk très froid (« Do The Du », « The Fox »), vraiment très froid !


« Still », album posthume de Joy Division, arrive dans les bacs le 8 octobre 1981. C'est un double LP emballé dans un carton épais au design dépouillé, on y trouve des inédits enregistrés en studio ainsi que des titres live, pour certains inédits également, tel que la reprise de Sister Ray (Velvet Underground) et surtout Ceremony, repris par New Order pour un de ses premiers singles. Encore une fois, les premiers exemplaires se distinguent de ce qui se fera ensuite. La pochette est grise, emballée dans une couverture en toile de jute, l'ensemble relié par un ruban blanc.


Les quatre groupes précédemment cités ainsi que Section 25 et Cabaret Voltaire constituent désormais le catalogue du label Factory jusqu'au milieu des années 80.

En mai 1982, New Order inaugurent un nouveau nightclub, La Haçienda, installé dans une usine désaffectée. Tony Wilson et Bob Gretton en ont fait l'acquisition, avec l'aide des ventes de New Order. À partir du milieu des années 80, ce club devient le haut lieu de la fête, sur fond de House et de Rave, le mouvement Madchester est né.

Rob Gretton fait entrer Happy Mondays dans l'écurie Factory en 1984. L'année suivante, ils sortent leur premier EP, « Forty Five » puis «Squirrel And G-Man Twenty Four Hour Party People Plastic Face Carnt Smile (White Out) » en 1987. Si le titre est un brin indigeste, l'album se révèle être au contraire un bijou Indie Rock qui passe très bien. Produit par John Cale, il est tout d'abord commercialisé dans une pochette en PVC sur laquelle sont imprimés les titres et le nom du groupe. Comme pour The Durutti Column, Factory en sort peu d'exemplaires sous cette forme, les suivants disposeront d'une pochette standard.

La fin des années 80 approche, les ennuis avec. Malgré le succès de New Order et Happy Mondays, Factory Rds perd de l'argent, La Haçienda aussi. Le label cesse toute activité en 1992 et le nightclub ferme définitivement ses portes cinq ans plus tard.

Fernand Naudin (Merci d'avance pour vos commentaires !)




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