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SEX PISTOLS - MANCHESTER - LESSER FREE TRADE HALL 1976





Comme évoqué dans Factory : un échantillon d'usine, le 4 juin 1976 les Sex Pistols jouent à Manchester sur invitation de Pete Shelley et Howard Devoto, respectivement guitariste et chanteur de Buzzcocks, en panne de section rythmique. La première partie est alors assurée par Solstice, formation Rock très conventionnelle, car à l'époque, le punk n'existe pas comme l'explique Devoto : « Pete et moi avons vu les Sex Pistols ouvrir pour Screaming Lord Sutch. Le second soir, nous les avons vus jouer avec Mr Big. C'était juste les standards que vous pouviez obtenir dans le circuit universitaire. Solstice n'était pas différent. Il n'y avait tout simplement pas de groupes à mettre ensemble pour une soirée punk à ce moment-là. Ce truc au Lesser Free Trade Hall est parmi les premiers concerts punks »**. Le punk n'existe pas encore et les Sex Pistols n'aiment pas cette étiquette, de toutes façons.

Quelques semaines avant le concert, leur manager Malcolm McLaren envoie un disque acetate à Howard Devoto avec des démos produites par Chris Spedding. Il lui demande de bien vouloir en faire une copie cassette pour Tony Wilson, présentateur de l'émission musicale « So It Goes » sur Granada TV. Devoto doit également organiser le concert des Sex Pistols avec son ami Pete Shelley. Problème, il n'a aucune expérience dans le domaine et surtout aucun contact. Il démarche le Bolton Institure Of Technology où il a suivi des études de psycho, sans succès. Il se tourne alors vers le Commercial Hotel de Stalybridge, dans la banlieue de Manchester. Nouvel échec. Conscient qu'il n'y arrivera pas seul, Devoto aidé de Shelley contacte une association de musiciens locaux qui les oriente vers le Lesser Free Trade Hall, petite salle à l'étage du Free Trade Hall, seul vrai lieu de spectacle de Manchester. Le Free Trade Hall est un endroit mythique où ont joué Queen, Led Zeppelin ou encore Pink Floyd ainsi que le Hallé Orchestra depuis sa création en 1858 jusqu'à la fermeture du lieu en 1996.

Ticket du premier concert fait par Shelley et Devoto

Les deux jeunes organisateurs obtiennent finalement l'autorisation de faire jouer les Sex Pistols dans la petite salle du Lesser Free Trade Hall. McLaren se rend sur place, valide l'endroit et paye la location qui s'élève à £32 pour la soirée. De retour à Londres, il fait imprimer une quantité limitée d'affiches format A3 et les envoie à Devoto et Shelley qui les collent sur Peter Street et Oxford Road, avenues qui passent devant la salle. Une de ces affiches sert de base pour la fabrication de flyers distribués à la sortie des concerts au Free Trade Hall. Les deux amis se chargent également de faire imprimer les tickets d'entrée qu'ils ont eux-mêmes dessinés.

4 juin 1976. Image du film super 8

Devoto écrit un article dans le New Manchester Review et place une annonce dans le Manchester Evening News. De la débrouille, uniquement de la débrouille. « Do It Yourself », comme on dira ensuite. De son côté Malcolm McLaren fait passer une annonce dans le New Musical Express qui n'est malheureusement diffusée qu'à partir du 5 juin, le lendemain du concert.

Les Sex Pistols font le trajet en fourgon depuis Londres accompagnés des sonorisateurs Dave Goodman et Kim Thraves. Arrivés tard à Manchester, ils ratent une interview que leur manager avait organisée avec Picadilly Radio. Le temps que le matériel soit installé, la sono diffuse le premier album des Ramones, histoire de mettre le public dans l'ambiance. Une cinquantaine de spectateurs est là dont Jonathan Ormrod qui crée ensuite John The Postman, Mark E. Smith, futur chanteur de The Fall, Bernard Sumner, Peter Hook et Ian Curtis qui formeront Stiff Kittens, devenant Warsaw puis Joy Division. Tony Wilson de Granada TV est également présent et ce concert va le convaincre de faire passer les Sex Pistols dans son émission « So It Goes ». Enfin, le président du fan club anglais des New York Dolls, Steven Morissey. assiste à l’événement lui aussi. Morrissey que l'on retrouvera bien évidemment dans The Smiths quelques années plus tard.

Première édition du livre de D. Nolan
Après la prestation de Solstice, Howard Devoto monte sur scène pour annoncer les Sex Pistols. Johnny Rotten, le chanteur, met tout de suite les choses au clair : « si vous n'aimez pas, allez vous faire foutre ». Il est le seul à porter des vêtements déchirés, le truc qui deviendra vraiment à la mode l'année suivante. C'est du « fait maison », une vieille veste en laine jaune dont il a coupé les manches et un t-shirt noir troué ici et là. Les autres membres des Sex Pistols sont habillés de façon plus conventionnelle mais toutefois assez décalée pour l'époque. Le guitariste, Steve Jones, porte une combinaison de mécanicien et Glen Matlock, le bassiste, s'est repeint un pantalon façon Jackson Pollock, look que l'on retrouvera ensuite chez The Clash.

Le set commence par Did You No Wrong, chanson composée avant que Rotten intègre les Sex Pistols mais dont il a modifié les paroles pour les rendre plus agressives. Suivent d'autres compositions et des reprises, certaines gardées intactes comme No Fun des Stooges, d'autres revues et corrigées par la plume du chanteur, comme Whatcha Gonna Do About It ? des Small Faces qui prend le contre-pied de l'original : « pourquoi ne vois-tu pas que je te hais, baby / pourquoi ne vois-tu pas que je m'en fous ? ». Même si les Sex Pistols jouent très souvent la carte du second degré, leur message est clair, ras-le-bol des groupes de frimeurs, ras-le-bol du flower-power, ras-le-bol de cette époque conservatrice où tout le monde se ressemble. Lazy Sod, Submission, No Feelings, Problems, les chansons ne parlent pas de romance, d'amour et de relations fleur bleue. Rotten exprime toutes ses colères tandis que le groupe balance un rock brut que l'on appellera punk. Les chœurs sont parfois mal assurés, un peu bancals, mais l'essentiel est là, l'énergie brute et la puissance des chansons. Les Sex Pistols n'ont que onze mois d'expérience avec ce line-up et bien qu'ils aient déjà beaucoup évolué depuis leurs débuts, ils doivent encore gagner en assurance, ce qui va se faire durant l'été. Les concerts d'août et septembre 76 en sont la preuve, il suffit de se procurer le box Live '76 pour s'en convaincre. 


4 juin 1976


Dans la salle, deux spectateurs ont eu l'idée géniale de porter leurs magnétophones. L'un est scotché au sol avec son micro, entre les rangées de chaises, l'autre reste dans les mains de son propriétaire. Ainsi, le concert est enregistré dans son intégralité par deux sources différentes. Une partie est également filmée avec une caméra Super 8.

Le set se termine par deux rappels. Le groupe, les organisateurs et le manager sont agréablement surpris par l'enthousiasme du public. Les Sex Pistols reviennent donc une première fois pour jouer Problems et comme tout le monde en redemande, ils remontent à nouveau sur scène pour la reprise des Stooges, No Fun, qui a déjà été jouée ce soir.

Le lendemain Peter Hook s'achète une basse pour £35 chez Mazel, un magasin d'instruments d'occasion et commence à répéter avec Bernard Sumner. Il raconte : « nous n'avions pas d'ampli. Bernard a câblé le gramophone de sa grand-mère avec quatre fils reliant ma basse et sa guitare au gramophone... Et nous avons joué avec ça. Elle est devenue folle en rentrant à la maison, nous avions ruiné son gramophone. Elle est devenue folle »** . Quelques jours après, Steven Morrissey, enthousiaste, prend sa plume et écrit aux journaux SOUNDS et NME pour témoigner. Un de ses courriers se termine ainsi: « ceux qui les ont vus sur scène (NdB : les Sex Pistols) seront d'accord, leur présence fut une vraie réjouissance. Enfin du Rock N'Roll ! ».

Affiche du second concert faite par Shelley et Devoto

Le second concert a lieu le 20 juillet. Slaughter & The Dogs et Buzzcocks assurent la première partie. Le public est plus nombreux, une bonne centaine d'entrées payantes et quelques invitations, soit environ 120 personnes présentes. McLaren a convaincu Caroline Coon du Melody Maker et John Ingham de Sounds de faire le déplacement jusqu'à Manchester.

Slaughter & the Dogs "Cranked Up Really High"


Un mois et demi seulement sépare les deux concerts, et si le public était très ordinaire en juin, ce soir, c'est différent. Buzzcocks joue punk, Slaughter & The Dogs est encore Glam. Mark E. Smith : « Il y avait une grosse cassure dans le public ce deuxième soir, entre les punks – avant que ce soit punk, bien entendu – et le lot des glam-rockers. Nous étions vraiment anti-Glam Rock. Pour nous, c'était le truc régulier... reprises de Bowie... juste de la merde. Tu trouves ces trucs sérieux quand t'es ado, ok ? »** Tony Wilson : « la raison pour laquelle Slaughter & The Dogs ne semblait pas punk c'était ce truc Glam. Il y avait très probablement trop de Bowie et trop de Mick Ronson, mais néanmoins, ils étaient bons. Rendons ici hommage à feu Martin Hannett, « Cranked Up Really High » (NdB : produit par M Hannett) est un grand disque punk, vraiment. « Cranked Up Really High » est fantastique »**.

Le set des Sex Pistols est sensiblement le même que le soir du 4 juin à la différence qu'ils jouent un nouveau titre: Anarchy in the UK. Mick Rossi (Slaughter & the Dogs): «nous avions fait notre soundcheck et il était bon. Nous étions tous satisfaits. Et soudain, les Pistols ont fait le leur et Steve Jones a joué les premiers accords d'Anarchy. Je me suis dit que c'était carrément grandiose, putain ! »** Glen Matlock : « je les aimais bien Slaughter & The Dogs, je les voyais comme un bon groupe, assez amusant. Je ne les voyais pas vraiment comme un groupe punk bien qu'ils aient été embarqués là-dedans car c'était le truc du moment »**

Sounds du 31 juillet 1976
Le second concert est aujourd'hui moins légendaire que le premier, mais c'est un succès. Les groupes assurent et McLaren obtient un peu de presse. Le 31 juillet, Devoto et Shelley jubilent, le Sounds, journal musical à tirage national, titre « Anarchy in the UK » dans sa rubrique « on the road ». John Ingham a vraiment apprécié l'événement et consacre une pleine page aux Sex Pistols, Buzzcocks et Slaughter & the Dogs. On peut y lire: «le batteur John Maher est solide, il maintient un rythme rapide et précis. Le bassiste Steve Diggle, qui rappelle un peu Johnny Ramone, est également très fort (...) à part les concerts la seule chose qui manque à Buzzcocks c'est plus de volume sonore » puis « la meilleure chose à propos des Pistols est qu'ils s'améliorent rapidement d'un concert à l'autre ».

L'un des spectateurs qui avait enregistré la soirée du 4 juin est revenu avec son magnétophone. Malheureusement, l'enregistrement est rendu inaudible par des spectateurs bruyants à proximité de l'appareil, la cassette est ensuite effacée. En revanche, 9 minutes du concert sont filmées en super 8 mm par la même personne que la première fois. 
20 juillet 1976


Une fête est organisée après le concert, pour les 20 ans de Paul Cook, batteur des Sex Pistols. McLaren annonce qu'il vient de créer sa société de management, Glitterbest Limited.

L'album "No Fun" et sa pochette blanche
Été 77, alors que les Pistols tournent en Scandinavie, un disque arrive en douce sous les comptoirs des disquaires. Certains exemplaires sont emballés dans une pochette blanche d'autres dans une pochette imprimée en noir et blanc avec au recto, le batteur du groupe punk mancunien The Worst sur un terrain de golf et au verso, des infos sur le groupe et le titre The Good Time Music Of The Sex Pistols. Il s'agit du premier bootleg* du groupe qui contient une partie du concert du 4 juin. Le label de Manchester PFP qui est derrière cet album a aussi commercialisé Take It Or Leave It, bootleg de The Clash sur la pochette duquel se trouve la copine du batteur de The Worst, vêtue de cuir, en train de jouer au tennis. A partir de là, certaines personnes se demandent si le couple ne serait pas à l'origine de PFP et de ces deux bootlegs qui sont les deux seules réalisations du label. 
Au mois d'août, Charles Shaar Murray chronique l'album No Fun dans le NME et le décrit comme un disque « grade Z mono ». Le Melody Maker indique qu'on ne différencie pas la basse de la batterie et que la guitare se confond parfois avec la voix du chanteur. L'enregistrement est Low-Fi, c'est certain, mais l'ensemble est tout à fait écoutable. Les journalistes de l'époque avaient certainement les oreilles un peu trop sensibles... 

Recto de No Fun avec "Odgie" des Worst
Au fil du temps, No Fun va faire des petits. Tout d'abord au début des années 80, un nouveau LP voit le jour avec une pochette légèrement différente mais le même enregistrement à quelques détails près. Dix ans plus tard, un CD arrive sur le marché, intitulé Aggression Thru Repression du nom d'un article du journaliste Paul Morley au sujet du concert. Il contient la quasi totalité du set (manque un rappel) et la qualité audio est bien meilleure que celle des disques précédents. Enfin, dans les années 2000, des bootleggers mettent la main sur les bandes complètes et sortent un LP, les rappels en single et un CD qui regroupe le tout. LP et CD s'intitulent I Swear I Was There (« je jure que j'étais là ») et le 45 tours I Swear I Stayed For The Encores (« je jure que je suis resté pour les rappels ») titres un peu moqueurs car le nombre de personnes qui prétendent avoir assisté à ce concert pourraient aujourd'hui remplir le Parc des Princes. Enfin, en 2016, Universal décide d'officialiser la chose en sortant une version malheureusement incomplète dans le box Live '76.
"Aggression Thru Repression" CD de 1992

Les passages des Sex Pistols au Lesser Free Trade Hall peuvent sembler anecdotiques vus d'ici, mais en Angleterre, et surtout à Manchester, les deux concerts ont eu énormément d'impact. Par la suite, les Pistols font leur première télé à l'émission de Tony Wilson, « So It Goes », des groupes se forment, The Fall, Joy Division, d'autres revoient leur style. Rockslide devient The Drones et abandonne le pub-rock pour jouer punk, même chose pour Slaughter & The Dogs, formation glam qui vire également punk. 

Howard Devoto et Pete Shelley avaient vu juste, les Sex Pistols devaient jouer à Manchester pour changer les choses. 

*Bootleg : disque de contre-bande qui contient des enregistrement hors commerce de concerts ou de studio.

** (« I Swear I Was There » de David Nolan. Livre disponible aux éditions Milo Books, Independent Music Press et Music Press Books)


Fernand Naudin (Merci d'avance pour vos commentaires !)


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