ROCK LIBRARY - PHILIPPE THIEYRE – ÉRUDIT ROCK, DE LA LIBRAIRIE "PARALLÈLES" À "ROCK & FOLK" - 3IÈME PARTIE
Que retirez-vous de votre expérience d’organisateur du festival Rochefort en Accords ?
Pour quelqu’un qui est fan de musique, c’est une expérience formidable, immergé dans un festival original basé sur les rencontres et presque unique dans sa conception. On découvre l’envers du décor, les contacts directs avec les musiciens, la complexité de la programmation et de la mise en place avec un budget réduit. Tout en sachant qu’encore une fois, cela demande beaucoup de travail pour la préparation étalée sur un an et pendant la durée du festival (pratiquement une semaine), surtout sans rémunération. D’autre part, j’avais instauré une pratique venue de Parallèles : tous les musiciens touchaient le même cachet, qu’ils soient saxophonistes, chanteurs ou guitaristes, connus ou pas. Au final, la satisfaction d’être à l’origine de très grands concerts, parfois inoubliables, fait oublier les difficultés et les problèmes divers et multiples.
Quel est pour vous l'état de la musique rock en France et dans le monde ?
Je crois que c’est Steve Van Zandt qui a dit que le rock revenait à ses bases, une musique de la contreculture en marge des hit-parades.
Ce qui n’est pas complétement vrai, car des groupes rock vendent encore beaucoup de disques et remplissent les salles à l’instar des Rolling Stones, Deep Purple, U2, Muse, Red Hot Chili Peppers, Nick Cave & The Bad Seeds, Jack White, Tame Impala, Queens Of The Stone Age, Bruce Springsteen, Neil Young, Fontaines D.C., Paul Weller et des dizaines d’autres.
On vend moins de guitares, mais c’était déjà le cas il y a deux décennies avant que les ventes ne repartent. Tout est question de cycles. Même marginaux, il y aura toujours des musiciens de par le monde qui joueront du rock comme du blues et du jazz, un style qui est dans une situation pire que le rock.
LE ROCK PSYCHÉDÉLIQUE AMÉRICAIN EN UN TOME |
J’achète des disques, majoritairement des vinyles. Je reçois encore quelques CD en service de presse, mais malheureusement, je dois de plus en plus chroniquer les disques à partir de téléchargement avec des qualités sonores très variables voire inécoutables si je ne me branche pas sur mon ampli et mes enceintes, et encore.
Vous avez compris que la dématérialisation de la musique n’est pas mon truc.
Pour mon seul plaisir, je ne télécharge jamais rien.
Je ne me fournis jamais en ligne. Toujours chez des disquaires, qui, eux, me commandent parfois sur internet des albums mal diffusés en France, essentiellement des nouveautés. Je visite et dépense trop dans les boutiques d’occasion et de neuf lors de mes séjours à Paris, Bordeaux ou autres villes.
En tant que pigiste à R&F, je reçois des infos de la part des attachés de presse et je lis des articles et des chroniques, notamment dans Shindig ! Record Collector. Il m’arrive aussi de naviguer sur plusieurs sites, souvent pour les dernières parutions d’artistes que je connais déjà. Le nombre de sorties est tellement pléthorique que je sais que je passe à côté de plein de choses intéressantes.
Vous sentez-vous oppressé par votre collection de disques ? Pourriez-vous vous en séparer et quelles sont vos pièces maitresses ?
Le terme oppresser est un peu bizarre. Je devrais avoir peur que mes murs s’écroulent ? la réponse est non.
Extraire de mes étagères quelques galettes qui coexistent en double ou en triple, c’est sûr. M’en séparer, on ne sait jamais. Quand je serai mort, certainement ou je la donnerais peut-être à mes filles si je deviens sourd ou incapable d’atteindre l’étagère du haut.
Trop long de vous citer quelques centaines de disques si on parle en termes de qualité. Dans le livre Haute Fidélité de Nick Hornby, avec son collègue, le héros, un disquaire anglais, dresse sans arrêt des listes, des Top 5 des chanteurs, des chansons, des styles…, qui changent quasi quotidiennement. Nous sommes tous un peu pareil à concocter nos propres listes selon l’humeur du jour. Cette semaine, ce sera : Topaz d’Israel Nash, Ghosteen de Nick Cave & The Bad Seeds, Here, My Dear de Marvin Gaye, Painted Ruins de Grizzly Bear, Drinking Songs de Matt Elliott parce que j’ai assisté à son concert samedi dernier et, un sixième pour la route, White Lies White Beats de King Size, du bon garage rock bien rugueux, teinté par moments de psyché, parce que le bassiste tient un super magasin de disques, The Rev, à Tulle, capitale de la Corrèze.
Quel est le rapport de vos enfants avec vos goûts musicaux, les avez-vous plus ou moins influencés ?
Ma fille aînée est, disons, moyennement intéressée. La seconde, qui a participé au festival de Rochefort et a suivi des études en médiation culturelle, est non seulement influencée par ma collection de disque, mais peut aussi me donner des conseils sur des nouveaux groupes encore peu connus. Elle a un large spectre musical.
Êtes-vous nostalgique ?
Est-ce que tout le monde ne l’est pas à un moment ou à un autre, d’une manière ou d’une autre ? J’ai plutôt un côté mélancolique, « Love From Room 109 At The Islander (On Pacific Coast Highway) », « Those Who Love », « River Man », « Autumn Lullaby », « Hollywood ».
Que pensez-vous des reformations de groupes ?
C’est leur métier d’être musicien. Ils font leur métier quelles que soient les motivations. Après, c’est à nous de juger si cela en valait la peine ou pas. Au moins, les Rolling Stones n’ont pas eu besoin de reformation.
Quand le Chocolate Watch Band se reforme, ce n’est à l’évidence pas pour l’argent, mais, sans doute, parce que les musiciens ont été touchés par l’émergence de nouveaux fans. D’ailleurs, This Is My Voice en 2019 est bon album.
Est-ce-que vous aimez le punk, garage 60’s, le pub rock ? Pouvez-vous nous dire la différence entre le rock garage et le rock psyché ?
Tout dépend des formations, mais globalement oui. J’ai beaucoup écouté le pub rock qui a précédé le punk. Un grand nombre de disques, albums et singles, pub rock figurent dans ma collection. Pas mal de 45-tours punk aussi comme des 33-tours sur lesquels le logo punk a été un peu abusivement ajouté.
Les groupes garage ont été découverts grâce à de multiples compilations telles que les Pebbles, Highs In The Midsixties et garage psyché par le Nuggets de Lenny Kaye.
Globalement, le garage rock est né dans les années 1963/64 lorsque des jeunes américains, formés aux blues, surf et rock’n’roll, ont été impressionnés, subjugués par les concerts de la British Invasion (le British Beat), en premier ceux des Beatles et surtout des Rolling Stones, l’influence majeure du garage. Nombre d’entre eux décident de créer un groupe et organisent des répétitions dans les garages des parents. L’idée est d’associer les sonorités brutes, agressives des guitares, mais aussi de l’orgue Farfisa, à l’énergie sauvage du chant, des accords basiques, des textes directs, sans fioritures, et une section rythmique puissante, fuzzbox et distorsion étant de plus en plus utilisés.
Au fil du temps et de l’usage des hallucinogènes, les effets sonores se multiplient et les morceaux s’étirent créant le garage rock psychédélique, une transition vers le psychédélisme. Le garage est une des racines du psychédélisme, ce mouvement protéiforme aux multiples variations.
Un des meilleurs exemples de ce passage vers une forme musicale inédite est le 13th Floor Elevators. Le morceau « You’re Gonna Miss Me » est un pur morceau garage rock interprété en août 1965 par les Spades de Roky Erickson. En janvier 1966, avec le 13th Floor Elevators, il devient un hymne du garage rock psychédélique par l’apport, ntre autres, de la cruche électrifiée et d’une utilisation plus poussée de la réverbération. En ouverture de l’album The Psychedelic Sounds Of…, il est suivi par « Roller Coaster », un titre cette fois-ci totalement immergé dans le psychédélisme, un véritable manifeste.
Que pensez-vous du prix prohibitif de vos premiers livres sur internet. Certains atteignent 300 à 400€ pour un exemplaire du rock psychédélique Américain. Avez-vous l’intention de les rééditer, ou peut-être de les proposer en PDF ?
Les deux éditions du Rock psychédélique américain sont épuisées depuis longtemps, aussi il est normal que si la demande est forte, les prix enflent. La loi de l’offre et de la demande. Cela veut également dire que mes écrits intéressent un nombre conséquent d’amateurs. De mon côté, je n’ai aucune influence sur ce marché. Je suis beaucoup plus choqué par les gens qui piratent des œuvres alors que souvent ils ont des revenus bien supérieurs à ceux des auteurs ou qui s’enrichissent en les revendant sur un marché parallèle.
Votre question est un peu naïve. Je n’ai pas les moyens de rééditer Le Rock psychédélique américain (en un seul volume) tel que je le voudrais (voir plus haut). Tout réécrire, modifier la structure et tout en couleurs. Gros travail pour lequel il faut trouver un éditeur avec une bonne diffusion pour un tirage minimum de 2500 exemplaires afin que le prix de vente ne dépasse pas les 40/50 euros. Pas sûr qu’il y ait suffisamment d’acheteurs potentiels pour amortir le projet.
Je suis absolument contre un PDF. Comme je l’ai indiqué précédemment, je n’ai pas de dossiers dans un coin de mon ordi, mais, quelque part, des feuilles quadrillées dans un vieux carton. Il faudrait donc photocopier les pages d’un livre pour un résultat pourri en qualité. Donc, encore une fois non.
Avez-vous eu l’idée de réaliser des documentaires sur la musique ?
En 2008, quarante ans après mai 1968, avec Philippe Manœuvre et Gérard Pont de Morgane productions, nous avions présenté un projet sur le rock français en 1968 et après. Je devais faire les interviews. Aucune chaîne de télé n’a été intéressée par le projet, Arte le jugeant pas assez commercial. Finalement, les entretiens ont bien eu lieu avec les musiciens qui ont créé un véritable rock français original, parfois chez eux en province, et sont parus dans un hors-série R&F, L’impossible révolution.
Nous vous remercions Philippe pour vos réponses instructives et complètes. N’hésitez pas à nous laisser des commentaires sur toute erreur ou remarque concernant nos futurs articles.
Nous aimerions vous garder comme « Joker » pour les questions musicales qui restent pour nous sans réponse. Au plaisir donc de communiquer avec vous à nouveau !
BIBLIOGRAPHIE
DE PHILIPPE THIEYRE :
1991 –
« Le Rock psychédélique », 2 tomes, Editions Parallèles, 1991.
Réédité en un seul tome en 2000.
2003 –
« Zappa In France 1968/1988 » - Christian Rose, Philippe Thieyre, Editions
Parallèles
2006 –
« ROCK'N'RECORDS: Des révélations sur le monde du rock » avec LUZ,
Editions Alternatives
2007 –
"Psychédélisme, des USA à l'Europe" aux Editions des Accords
2009_
« Robert Wyatt » – Jean-François Drean, Philippe Thieyre aux Editions
des Accords
2010 –
« Psychedelic Vinyls 1965-1973 » aux Editions Stéphane Bachès
2011 –
« Parcours blues en 150 albums » (chez Le Mot et le Reste).
2014 –
« Les années psychédéliques » avec goodies ((chez Desinge / Hugo))
2018 –
"Blues en 150 figures", éditions du Layeur
2021 –
« Le Rock psychédélique en 150 figures «, éditions du Layeur
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