FLASHBACK : MC5 - À L'AUBE D'UNE NOUVELLE ÈRE - CREEM - SEPTEMBRE 1969


Voici un excellent complément à l'article de Fernand Naudin sur le MC5 . Nous pouvons y découvrir leur remise en question face à l'emprisonnement de leur manager John Sinclair. C'est un document qui valait la peine d'être traduit.
Bonne lecture

L'Archiviste


MC5 À L'AUBE D'UNE NOUVELLE ÈRE
(CREEM - SEPTEMBRE 1969)


"Notre programme, à son niveau le plus élevé, est censé être uni, cohérent et compréhensible. Pour être efficace, il faut avoir ces qualités, et il ne les avait manifestement pas dans le passé, parce qu'au lieu de clarifier les choses, il les a embrouillées. Et lorsque vous vous retrouvez dans une telle situation, vous devez vous remettre en question, Jack, ou revenir en arrière". Rob Tyner du MC5, un groupe qui traverse une période d'auto-critique et de restructuration, d'évaluation et de correction qui était plus que nécessaire. Tout indique que le groupe est de nouveau en route après un premier album désastreux, une période de chaos financier et des mois de stagnation créative.

"Il faut se remettre en question, vérifier ce que l'on fait, et si l'on ne fait pas ce qu'il faut, alors on ne fait rien. Il faut donc se réorganiser, réévaluer, adopter de nouvelles stratégies, de nouvelles façons de voir les choses. Nous avons traversé une période de réévaluation de nos tactiques et de nos capacités, et nous avons découvert à la fin de cette période que notre programme du passé n'était pas toujours aussi solide que nous aurions aimé le considérer."

"Vous voyez, il y a beaucoup de groupes qui se présentent comme des groupes de rock and roll alors qu'ils jouent de la musique spirituelle, pas du tout du rock. Ce n'est pas en réunissant cinq gars et en leur donnant des amplis monstrueux que l'on devient un groupe de rock and roll. Il faut vraiment jouer du rock pour s'appeler ainsi. Et notre dernier album, malheureusement, ne contenait pas beaucoup de rock and roll. C'était de la musique psychédélique, entre guillemets, et nous nous retournons maintenant vers le rock and roll, nous en écrivons. Nous en sommes plus proches que nous ne l'avons jamais été et nous aimons vraiment ça parce qu' en jouer fait du bien. On se sent bien et les gens aussi parce qu'ils peuvent danser dessus. Je doute fort que l'on puisse danser sur le premier album. Comment danser sur Starship ?

"Ce dont nous parlons, c'est de passer du bon temps, de se défouler, d'être impliqué dans Motor City, d'être fou et de danser, mais on s'est rendu compte qu'on ne jouait pas de la musique qui permettait aux gens de danser. Ils finissaient par s'asseoir, l'écoutant avec esprit, nous pensons que le rock and roll est quelque-chose de physique. Il ne s'agit pas d'un sens métaphorique, mais d'un sens littéral. Si c'est du rock and roll, on a envie de se secouer le cul".

Il y a un an, les MC5 semblaient promis à la célébrité dans un proche avenir. L'incapacité de l'axe Angleterre/San Francisco à produire quoi que ce soit de nouveau ou d'étonnant avait laissé un vide que la musique très énergique des cinq, qui étaient alors à leur apogée et incarnaient parfaitement la résurgence du Midwest, semblait destinés à combler. Les médias sont curieux, le nom du groupe apparaît partout. Et lorsque Jac Holtzman vint à Ann Arbor, sur l'insistance de Danny Fields, pour les entendre et les signer presque immédiatement, la progression semblait inévitable. Ann Arbor, une ville que les cinq ont fait leur, que leur présence, leur musique et leur politique dominent, était fière de manière extatique et chauvine.

Les revers ont suivi de près le succès. La tournée sur la côte Est a dégénéré en insultes politiques et en paranoïa, et la tournée sur la côte Ouest s'est caractérisée par un manque d'enthousiasme du rare public devant lequel ils ont réussi à jouer. L'album Elektra, enregistré au Grande Ballroom en deux nuits, n'a pas beaucoup contribué à changer l'opinion des gens sur le groupe : si vous aimiez les MC5 pour ce que vous saviez qu'ils étaient, vous chérissiez le disque comme un artefact, mais pas comme un triomphe créatif ; si vous étiez convaincu à l'avance qu'ils étaient une bande de punks de Detroit, l'album vous a ennuyé.

"Le premier album était un spectacle live", explique Wayne Kramer.
"Ce n'était pas un album, c'était juste ce que nous jouions ce soir-là. S'ils nous avaient enregistrés un autre soir, ils auraient eu un résultat bien meilleur. Nous n'avions jamais travaillé avec l'industrie du disque, nous étions intimidés par l'équipement. Pourtant, le groupe admet que la musique qu'il jouait à l'époque n'était pas adaptée à l'enregistrement. Michael Davis explique : "Nos morceaux avaient une structure très libre. Dans chaque morceau, chacun jouait ce qu'il voulait et il y avait juste une idée très générale de ce que la chanson allait être. Par conséquent, nos morceaux se sont avérés être de grands rassemblements de différentes parties et non quelque-chose de solide".

Cela ne veut pas dire qu'il est impossible d'enregistrer cette musique libre. Comme l'explique Rob : "Il faut juste que ce soit un tout. La plupart du temps, notre spectacle et notre musique n'étaient pas efficaces ensemble. Nous étions tellement plongés dans l'aspect spectaculaire que la musique elle-même ne représentait que la moitié de l'expérience. Et c'est une situation regrettable, car lorsque vous enregistrez des disques, les gens ne peuvent pas vous voir. Si vous vous secouez le cul, ça ne figure pas sur le disque. En fait, ce qu'il faut dire, c'est que musicalement, nous avons dû nous ressaisir. Quand nous ferons un autre album live, ce sera un vrai album live. Vous n'aurez pas besoin d'une cassette vidéo ou d'un tas de photos. Vous aurez toute l'histoire sous les yeux".

L'histoire du MC5

Les origines du MC5 remontent à Lincoln Park, dans la banlieue de Downriver Detroit, et à l'adolescence de Wayne Kramer et Fred Smith. Wayne commence le récit : "Fred et moi jouions ensemble quand nous étions au collège. Il avait quelques guitares à la maison parce que son père était du Sud et tous les gens du Sud ont des guitares à la maison". Ils ont fini par former chacun un groupe. "Le groupe de Fred se nommait les Vibratones et j'étais avec les célèbres Bounty Hunters. Nous étions en quelque sorte rivaux. Il y avait une scène bien développée à Lincoln Park."

"Nous jouions souvent le même genre de concerts", dit Fred. "Des petites fêtes de quartier et au collège. Quand mon groupe jouait, il venait nous voir et quand son groupe jouait, nous allions les voir. Finalement, nous nous sommes réunis et nous avons commencé à discuter. Nous avons eu l'idée de prendre les meilleurs membres de chaque groupe et d'en former un nouveau". C'était inévitable. "Le premier Super Group", commente Wayne.

Wayne a été la contribution des Bounty Hunters ainsi que la rythmique de Billy Vargo. Fred, quant à lui, y a participé avec le batteur Leo LeDuc. Vargo quitta le groupe parce qu'il ne pouvait pas s'identifier à leur folie générale, et c'est ainsi que les Bounty Hunters devinrent, selon les mots de Wayne, "le premier power trio", dépassant une fois de plus Cream, et consorts ... (c'était en 1963). "L'équipement était le plus gros problème à l'époque, et c'est à cause de l'équipement que le groupe s'est finalement séparé", se souvient Wayne. "LeDuc avait reçu cet ampli pour Noël, mais il nous a dit qu'il appartenait à son voisin mais que nous pouvions le louer. Pour une certaine somme, nous pourrions l'utiliser quand nous le voudrions, car son voisin était pianiste, mais il ne jouait pas dans un groupe, il avait juste cet ampli. 
Nous l'avons fait pendant un certain temps jusqu'à ce que nous découvrions que l'ampli était en fait le sien et qu'il nous extorquait tout cet argent". Inutile de dire que ce fut la fin pour LeDuc.

C'est alors qu'entre en scène Rob Tyner, qui avait l'habitude de trainer à Gregory Park avec Wayne où il dessinait sur des sweatshirts. "J'avais ce boulot, je cassais des barricades, mais je voulais faire partie d'un groupe, c'est tout ce à quoi je pensais. Je connaissais Wayne depuis longtemps, et un jour, il est arrivé sur sa moto, c'était un mec vraiment cool, très impliqué dans la scène underground. C'était une Yamaha... si vous aviez une Yamaha à Lincoln Park, vous étiez un Hell's Angels. Quoi qu'il en soit, j'avais joué de l'harmonica que j'avais avec moi et Wayne est arrivé. On s'est assis, j'étais complètement bourré et Wayne m'a dit : "Wow, je ne savais pas que tu jouais de l'harmonica. Pourquoi ne pas se rencontrer demain ? On va jouer ensemble et voir ce qui se passe."

Wayne se souvient : "Je voulais ressembler à Booker T. et aux M.G.'s. Je voulais avoir un groupe avec une guitare, un orgue, une basse et une batterie, parce que je pensais que ce serait le plus simple. Nous pourrions jouer dans des bars, des bowlings, n'importe où. Rob a décidé de faire une répétition et il a dit : "C'est géant, toi et Fred, vous pouvez vraiment bien jouer ensemble". Au départ, Rob devait gérer le groupe, mais il a ensuite été décidé qu'il serait le bassiste. Leo LeDuc est remplacé par Bob Gasper et ils commencent à s'appeler les Motor City 5, même s'ils ne sont que quatre. C'est beaucoup plus sympa que MC4.

Rob quitte le groupe pendant un certain temps, pour être remplacé à la basse (apparemment, en tant que bassiste, il était assez facile à remplacer) par Pat Burrows. Lorsqu'il réintègre le groupe à la fin de l'année 1964, c'est exclusivement en tant que chanteur. "J'ai enfin trouvé un moyen de me mettre au travail".

Vers la fin de l'année 1964, Pat Burrows quitte le groupe, incapable de s'identifier à la musique que Wayne, Fred et Rob voulaient jouer ; ils appelaient cela de l'avant-rock, mais pour Burrows, ce n'était pas du tout de la musique et il n'arrivait pas à l'assimiler. Rob Tyner : Lorsque Pat Burrows a quitté le groupe, nous nous sommes associés à Michael Davis ou, à l'époque, Mick Davies. Michael traînait dans le tristement célèbre quartier de Warren-Forest bien avant qu'il ne soit tristement célèbre. Michael était à l'époque un jeune chanteur rebelle ; il jouait de la guitare acoustique et chantait du Bob Dylan, et je savais que s'il aimait ça, c'était qu'il était un vrai dur. Nous avons fait entrer Mike dans le groupe et nous avons continué nos étranges jams. Bob Gasper était toujours le batteur.

"Bob Gasper... il y a un truc qui se passe dans Black to Comm, c'est que Fred joue le son de base de la mélodie et la batterie n'intervient pas avant un bon moment. Dennis attend et laisse la musique se développer. Cela vient du fait que Bob Gasper ne voulait pas jouer la chanson, point final. Parfois, le morceau durait dix minutes sans batterie. Il restait là, assis, et devenait de plus en plus furieux parce qu'il le détestait tellement et qu'il ne pouvait pas s'y identifier du tout. Nous étions tous en train de flipper, de crier dans le micro, et finalement il devenait fou et évacuait toutes ses frustrations en entrant très fort, en maintenant le truc à un niveau d'énergie très élevé. Nous l'avons toujours manœuvré pour qu'il se retrouve dans cette situation. Il y a donc le "Bob Gasper Memorial Wait" au début de Black to Comm.

Emil Bacilla "Nous avons eu beaucoup de problèmes parce que Gasper ne voulait pas jouer ce genre de musique parce qu'il ne pensait pas qu'elle n'était intéressante. Pour lui, c'était juste une explosion d'énergie et de bruit, et d'une certaine manière, c'était exactement ce que c'était.

"Nous avons donc trouvé un emploi au Crystal Bar, aujourd'hui disparu, et nous l'avons utilisé afin de rassembler nos idées. C'était un endroit où nous pouvions jouer. Il n'y avait jamais personne, juste un vieux Polonais assis dans un coin, mangeant une saucisse. Nous avons donc obtenu ce travail et Bob Gasper a craqué. Il avait une nouvelle voiture qu'il essayait de payer. Il a trouvé un emploi dans une banque. L'incroyable travail au Crystal Bar ne lui rapportait rien, ne contribuait pas à sa réussite financière, alors il a dit "vous êtes dans la merde" et il s'est barré. Cela nous a laissés sans batteur.

"Dans le passé, nous avions eu des problèmes avec Gasper. Nous n'avons pas pu faire un concert une ou deux fois et nous avons utilisé le jeune batteur des Bounty Hunters, le fameux groupe de rock High Power (Dennis Thompson, qui avait quitté les Bounty Hunters au début pour jouer dans des mariages et des Bar Mitzvahs avec Jeff Wardy et les Paramounts, car "à l'époque, on ne pouvait pas gagner de l'argent dans le rock and roll"). On avait eu deux ou trois batteurs et on utilisait Dennis en dernier recours parce que, eh bien, je le détestais. C'était un très mauvais batteur et en plus, c'était un connard.

"Dennis a joué avec nous plusieurs soirs au Crystal Bar et on a réussi à le motiver à mieux jouer en le faisant travailler dur. Un soir on a fait une petite cérémonie impromptue sur la scène, vu qu'il n'y avait qu'une personne évanouie dans le bar. Nous avons annoncé à sa forme inanimée que nous allions demander à Dennis, de manière impromptue, de rejoindre le groupe parce que nous avions besoin de lui. Alors on a fait une petite cérémonie et on a demandé à Dennis s'il voulait rejoindre le groupe, publiquement, tu vois, et il a dit 'aw shucks, yeah, alors on lui a finalement fait le rituel cérémonielle avec la ventouse des toilettes dans la loge et voilà, on était les MC5".

Assaut sur la culture

C'est à cette époque que les références culturelles et spirituelles du groupe commencent à changer, en se rapprochant du quartier Warren-Forest de Detroit et de la scène freak florissante qui domine le quartier autour de l'université Wayne State. 
Wayne Kramer décrit "le plan directeur". Il n'a jamais été raconté. Nous avions tous des problèmes avec nos parents à la maison, nous ne voulions plus vivre avec eux. Il fallait juste trouver un travail ou déménager, c'est tout. Rob vivait déjà au centre-ville et il s' y passait quelque chose, il y avait des gens avec qui on pouvait s'entendre. Alors on a tous commencé à déménager au centre-ville. 
Après avoir discuté de la situation générale du rock and roll, on s'est rendu compte que les hippies et les beatniks, enfin, les préhippies en fait, allaient être le prochain truc. Parce que tout ce qu'ils faisaient était bien. C'était la dernière sensation. Alors on s'est dit qu'il fallait faire en sorte que tous les beatniks nous aiment. Si tous les beatniks nous aimaient, alors tous les jeunes nous aimeraient, parce que tous les types aimeront ce que les beatniks aiment, alors il s'est avéré que qui était le chef des beatniks ? John Sinclair, mec, alors on savait qu'il fallait trouver Sinclair. S'il nous aimait, tous les beatniks nous aimeraient".

Rob poursuit : "Nous avons donc commencé à nous approcher du jeune Sinclair en jouant au joyeux festival qui s'est tenue le jour où il est revenu de sa première incarcération. À la toute fin de l'affiche, il y avait les étranges MC5. Nous avons attendu tout l'après-midi sous un soleil de plomb pour jouer pour lui, et il devait être une heure du matin quand tout s'est terminé et qu'il n'y avait plus que quelques personnes présentes. Quoi qu'il en soit, John est malheureusement monté à l'étage peu après le début de notre troisième chanson, une improvisation standard, et Leni Sinclair est descendue et a débranché la prise. Cela ne nous était jamais arrivé auparavant. Nous n'avions jamais été censurés de la sorte. Nous étions là, censurés par une bande de beatniks. C'était bizarre, on se démennait afin de plaire.

"En même temps. J'admirais ce type, parce que je l'avais vu à l'ancien Artists' Workshop, en bas de Forest, je crois. J'y suis allé plusieurs fois et j'ai été littéralement renversé. Les fondements mêmes de tout ce que je comprenais ont été ébranlés par l'intensité de John Sinclair en chair et en os et par les gens qu'il fréquentait.

Les cinq avaient commencé à répéter à l'Artists' Workshop lorsque Russ Gibb, récemment revenu de Californie et envisageant la possibilité d'ouvrir une salle de concert psychédélique à Détroit, passa par là. Après avoir écouté le groupe pendant un moment, il leur a demandé s'ils voulaient bien jouer une composition originale. Ils en ont fait un, "probably Looking at You", se souvient Rob, et "ensuite nous avons joué du rock and roll pour lui et il a adoré, vous savez, et c'est ainsi que nous avons commencé notre longue carrière en tant que groupe maison au Grande Ballroom". On a ouvert le Grande avec les Chosen Few, qui comprenaient maintenant en grande partie les Scott Richard Case, les fameux SRC, et aussi les Stooges, parce que Ron Asheton est l'ancien bassiste des Few.

"Après le début de notre association avec le Grande Ballroom, John est venu voir ce qui se passait et s'est intéressé de près au groupe, nous avons commencé à travailler en étroite collaboration. Ce que j'ai fait pour établir une relation avec John, pour établir la communication... il écrivait dans sa rubrique du Fifth Estate toutes ces news sur le rock and roll et j'écrivais ces lettres, indigné par ce groupe que nous avions et qu'il devait absolument découvrir. Il écrivait sur le jazz et toutes ces choses et nous écrivions sur le rock and roll. Nous avons discuté ensemble et il est devenu notre manager.

Shit and Fan

Avec John Sinclair en prison, l'organisation du groupe a été bouleversée et ils cherchent de nouvelles solutions aux problèmes non musicaux auxquels ils sont confrontés. Rob Tyner : "Pour l'instant, il n'y a pas de relation formelle entre nous et Trans-Love. Il n'y a personne de Trans-Love qui travaille exclusivement avec le groupe, pour le groupe, sur les affaires du groupe. Ils ne nous représentent pas et il s'agit d'une relation informelle entre deux entités distinctes. A partir de maintenant, du fait que John est maintenant en prison et que personne de l'organisation Trans-Love ne travaille exclusivement avec le MC5, nous nous occupons nous même de nos affaires.

Nous avons réalisé qu'il y avait toutes ces choses à faire tout de suite, parce que l'absence de John ne va pas arrêter notre évolution. Nous voulons continuer au même rythme, continuer à transmettre la musique et l'information aux gens."

Wayne Kramer : "Notre principale responsabilité est envers nous-mêmes, dans la mesure où, hypothétiquement, si Trans-Love n'est pas assez uni pour faire tout ce que fait une société de production et de gestion, cela ne nous arrête pas ; nous devons toujours faire ce que nous avons à faire. Et c'est ce que nous faisons. Nous avons un nouveau manager, Danny Fields, un nouveau directeur commercial, David Newman, et nous continuons ce que nous faisons. 

Dans la confusion et la détresse qui ont suivi l'incarcération de John, les rumeurs ont circulé librement. Un différend initial entre le groupe et Leni, la femme de John, sur la répartition des 20 % des revenus du groupe qui revenaient à John par contrat, a donné lieu à des accusations au sein de la communauté Trans-Love selon lesquelles les Cinq avaient refusé d'aider John, tourné le dos à la Trans-Love et abandonné la révolution. Les vieilles rumeurs selon lesquelles le groupe n'était pas satisfait de la gestion de John prirent un nouvel essor. Il y eut même des rumeurs selon lesquelles les Cinq avaient été "purgés" du Parti des White Panther.

Quant à l'accusation selon laquelle le groupe était en train de se débarrasser de John Sinclair, Rob Tyner déclare : "Danny Fields travaillait avec nous en étroite collaboration avec John. Depuis que l'affaire juridique de John est devenue si embrouillée et si horriblement urgente et chronophage, Danny s'est chargé d'une grande partie des tâches qu'un manager aurait dû accomplir. Et Danny travaille maintenant comme notre manager, à titre d'essai".

La question de l'argent. Wayne Kramer explique que Trans-Love était contrarié parce que le groupe avait précisé que l'argent devait être versé dans un fonds spécial, qui ne devait pas être à la disposition de l'organisation : "C'était notre position initiale, car nous avions décidé que notre engagement, en dehors de notre responsabilité envers nous-mêmes, était notre responsabilité envers John. Mais nous avons ensuite réalisé que ce n'était pas la meilleure chose à faire. La meilleure chose à faire est de donner l'argent au John Sinclair Defense Fund et de le laisser le gérer comme il l'entend. Parce que c'est l'argent de John et que c'est à lui de décider ce qu'il veut en faire, donc c'est ce qui va se passer. Tous les pourcentages de John pour lesquels il a travaillé et qu'il mérite à juste titre aujourd'hui et à l'avenir iront au Fonds de défense de John Sinclair."

"Il y a beaucoup de gens qui sont dans ce qu'on appelle dans la révolution l'aventurisme romantique" dit Rob. "L'idéal, s'identifier à l'idéal, Che, et ceci et cela, faire des déclarations irréfléchies qui ne peuvent être étayées. Nous ne nous livrons pas à de tels passe-temps. Nous essayons de faire quelque chose de concret. Nous essayons d'atteindre le plus grand nombre de personnes possible avec notre programme. Nous essayons d'avoir un impact réel non seulement sur une zone localisée, mais aussi d'élever et d'intensifier notre programme pour atteindre une zone plus large. La révolution, telle qu'elle se présente actuellement, est marquée par une grande confusion, une grande désorganisation et un grand nombre de personnes impliquées dans des activités qui, bien qu'elles puissent être appliquées, ne sont pas efficaces. Ces programmes n'ont pas d'impact réel sur la communauté ou sur la nation. La seule chose qui se passe actuellement, c'est qu'ils attirent le feu des facistes. Et lorsque vous devez passer tout votre temps à vous défendre, vous n'avez pas le temps de mener un programme cohérent et cohésif.

"Nous essayons de nous élever à un niveau tel que notre programme passe en premier, de même que l'information et la musique. Car nous nous rendons compte qu'il se passe quelque chose avec le rock and roll sur ce continent. Je veux dire qu'il y a plus de gens qui écoutent du rock and roll aujourd'hui qu'il n'y en a jamais eu pour les Beatles ou les Stones à leurs époques respectives.
Et nous savons qu'étant donné qu'il y a tant de gens qui s'y intéressent, notre responsabilité en tant que groupe de rock, parce que c'est ce que nous sommes, est d'aller voir ces gens tout de suite afin d'y participer. Essayer de se rassembler dans une atmosphère conviviale et musicale pour que le changement puisse avoir lieu.

"Dans un sens, vivre tout ce temps à Trans-Love était vraiment mauvais pour nous parce que tout le monde nous disait toujours à quel point nous étions bons. Durant l'année où nous avons vécu à Trans-Love, je pense que nous n'avons écrit que quatre morceaux. La situation n'était pas propice à la production de musique. C'était vraiment une noble expérience. Théoriquement, ça aurait dû marcher, mais cela ne l'a pas fait. Ça nous a permis de quitter Détroit, vous savez. Je veux dire, nous avions besoin d'un endroit où déménager et à tous les niveaux, ce n'était qu'une chose temporaire jusqu'à ce que nous puissions avoir un endroit à nous.

Trans-Love a commencé par être une société de promotion musicale et de production. Et comme John en était l'inspiration et la motivation, elle s'est profondément impliquée dans les activités politiques de John. Bien sûr, le MC5 et le White Panther Party ont des objectifs communs et nous faisons un travail parallèle tout en étant séparés. on fait ce que l'on peut faire séparément et là où on peut se joindre, nous travaillons ensemble.

Au milieu de tous ces changements, Jesse (J.C.) Crawford, l'Oracle Ramos, celui qui chauffait les salles et sixième membre du MC5 a quitté le groupe, et les spéculations allaient bon train sur le fait qu'il avait été licencié. "Virer J.C. ? Comment pourrions-nous virer J.C. ?", répond Fred Smith, "C'est des conneries. Il est l'un des nôtres. Néanmoins, le fait est que le groupe était prêt à le voir partir. Depuis un certain temps, le groupe et lui s'étaient éloignés, non pas sur le plan de l'amitié, mais en tant que membres d'une équipe.

Sa harangue préétablie ressemblait de plus en plus à un reliquat d'un spectacle qui avait fait son temps et qui avait grand besoin d'être revu de fond en comble.

Si J.C. devait remplir une fonction valable au sein du groupe, ce ne pouvait être qu'en tant que road manager, un travail qui implique une multitude de tâches subalternes mais nécessaires. Et au fond, Jesse est un musicien, un batteur qui a joué avec les vénérables Prime Movers et qui a maintenant rejoint le Tate Blues Band. S'il avait voulu être roady, il aurait pu l'être, mais ses capacités et ses aspirations dépassaient de loin ce rôle. La séparation était inévitable. Rob commente : "Il s'agissait simplement de savoir quelle était la solution la plus réaliste dans cette situation".

Le nouveau programme

Confrontés à un nombre démoralisant de problèmes techniques et créatifs, les cinq ont fait venir de l'Est 
Jon Landau, un catalysateur musical à l'allure improbable, qui écrivait pour Crawdaddy ! (à l'époque où il était encore lisible), et qui n'avait jamais produit de disque auparavant. "Landau est le meilleur catalyseur de tous les temps", déclare Wayne. "C'est la première personne que nous ayons rencontrée qui avait une connaissance pratique de la musique rock and roll et qui pouvait nous en parler. Il connaissait l'harmonie, le jeu de guitare, il pouvait nous dire des choses et nous le respections. C'est la première personne que nous avons rencontrée qui pouvait parler en connaissance de cause des choses qui nous préoccupaient.

"Le fait est qu'avant que Landau ne vienne ici, 
sans vouloir insulter les gens, nous étions un groupe amateur. Quoi qu'il en soit, il écoute la musique, et il est le producteur, ce qui signifie qu'il est impliqué dans la musique et qu'il peut vous dire des choses que personne d'autre ne peut vous dire. C'est pour cela que vous le payez, c'est son travail".

Pour Rob, "Landau est arrivé dans cette situation et a défini beaucoup de choses dont nous devrions être conscients". Mais malgré toute l'influence qu'il a eue sur le groupe, celui-ci a clairement conservé sa marque dans sa conscience ; l'inflexion et la rhétorique familières de Zenta, originaire de Davison, Michigan, ont été accouplées à un accent new-yorkais classique...

Jusqu'à présent, le travail de Landau avec le groupe s'est concentré sur l'album à venir pour Atlantic, Back In The USA, dont Landau parle : "Je dirais que nous avons terminé les 2/3 ou les 3/4 de l'album. L'album est séparé en deux faces. L'une s'intitule Teenage Lust, et la plupart des chansons qui y figurent se rapportent à ce thème général. Les chansons comprennent Call Me Animal, Tonight, une composition de Fred Smith qui sera utilisée pour le single, Teenage Lust et Tutti Frutti. Tutti Frutti ouvrira cette face (et sera jouée au piano par Lyman Woodard).

Sur la face B, le côté American Ruse, qui traite évidemment de la plus infâme des ruses, vous avez Back in the USA, High School, The Human Being Lawmower (chop chop chop). American Ruse, et une nouvelle chanson écrite par Fred Smith intitulée Shakin' Street. Dix chansons. Il est possible qu'il y en ait onze : une petite surprise n'est pas à exclure. Conformément à l'approche du rock and roll contemporain, la chanson la plus longue de l'album dure un peu plus de trois minutes. Il est peu probable qu'une chanson de l'album dure ne serait-ce que trois minutes et demie.

"L'album sera un album de rock and roll, mais ce ne sera pas un de ces albums qui prétendent pouvoir avoir été enregistrés il y a 20 ans. Nous essayons d'en conserver l'esprit, mais en transposant ou en rendant plus contemporaine la notion de rock and roll. Nous la transformons en rock and roll 1969, 1970, de sorte que lorsque nous le nommons l'album Tutti Frutti, il ne s'agit pas d'une tentative de faire revivre ou d'émuler de quelque manière que ce soit la magnificence de Tutti Frutti de Little Richard, l'un des disques les plus remarquables de l'histoire du monde, mais plutôt d'une tentative de prendre la chanson et d'en conserver l'énergie et certaines dimensions, tout en la plaçant dans un contexte contemporain. Il s'agit de cinq jeunes garçons de Lincoln Park, pleins d'énergie, de vitalité juvénile et ainsi de suite, et ils font les choses différemment. C'est tout simplement différent.

"Je m'identifie au rock and roll bien plus qu'à la politique en tant que telle. Je pense que le rock and roll est, à bien des égards, plus important que cela. Et je pense que l'album est vraiment une tentative d'obtenir cette qualité essentielle absolue du rock and roll. C'est une tentative de dépasser tous les artefacts et toutes les prétentions et juste une tentative de générer et de créer un sentiment de rock and roll à sa base la plus élémentaire.

Pendant qu'ils travaillaient sur l'album, le groupe a essayé de donner le moins de concerts possible, mais leur show est en train d'être réorganisé, et ils sont impatients de recommencer à jouer live afin de mettre en place cet aspect de leur programme. Le nouveau spectacle sera basé sur de nouveaux morceaux et de nouveaux arrangements d'anciens morceaux. Wayne Kramer : "Sur le plan musical, nous avons procédé à un examen intensif et nous avons tout remis à jour. Nous avons gardé certains morceaux du premier album et nous en avons fait des arrangements entièrement nouveaux, en éliminant tous les excès et les éléments qui ne contribuaient pas à la musique - en les réduisant, en les modelant, en les vidant de leur substance. Nous gardons environ cinq morceaux du premier album, et le reste sera composé de nouvelles compositions et de classiques du rock and roll.

"Nous sommes toujours impliqués à créer de la musique, mais nous voulons le faire ensemble. Que tout soit là et que ça marche à chaque fois. Et cela implique une certaine quantité de préparation ce qui n'est pas toujours une mauvaise chose."

"Tu vois", dit Rob, poursuivant sa réflexion, "dans le passé, on allait sur scène et on émanait autant d'énergie brute que possible, mais parfois cette énergie n'était pas utilisée, c'était comme une explosion. Nous voulons exploiter une partie de cette puissance. Je veux dire que vous pouvez lâcher la bombe, mais vous pouvez aussi utiliser l'énergie atomique dans un contexte où elle est essentiellement productive. Donner quelque chose que l'on peut utiliser, quelque chose sur lequel on peut danser, quelque chose que l'on peut ressentir, parce que c'est exactement ce que nous voulons faire aux gens, nous voulons juste que les gens se sentent bien".

D'un point de vue visuel, le spectacle live, selon Wayne, "sera à peu près le même, avec les habits et le reste, mais tout ce qui sera fait viendra de la musique. Ce sera un spectacle plus agréable. Il y aura moins de conneries, plus rapide entre les chansons. Et nous travaillons toujours sur des surprises. Nous avons beaucoup de choses à faire en dehors de la musique, ce qu'on appelle du théâtre de guérilla, de petites présentations au-delà des chansons que nous essayons de présenter de temps en temps.

"Tout ira mieux. Vous savez, notre programme est totalement remanié. Nous allons développer tout ce qui était bon et éliminer tout ce qui était mauvais. Ce sera certainement très énergique, il y aura certainement tous les meilleurs aspects de l'ancien MC5."

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