RÉTROVISEUR 1 - TINA TURNER
En février 1970, je rejoins Gérard Bernar et l’équipe de Best avec Alain Robillard et Alain Lemaire. Chez Pathé-Marconi, rue Lord Byron, derrière les Champs-Élysées et l’Arc de Triomphe, je sympathise avec Gérard Adamis qui gère le label Liberty pour la France. Dans le N°23 de Best de juin 1970, je signe un article sur Ike & Tina Turner. Malheureusement en janvier 1971, je ne peux pas les applaudir à l’Olympia, pour cause de service militaire. Et je me consolerai avec le double album en public du concert.
Le 9 novembre 1972, le théâtre du Châtelet reçoit un spectacle bien différent de ce qu’il propose habituellement, Ile & Tina Turner. Avec Mike Lécuyer, je les rencontre la veille chez Maxim’s. Nous les suivons à l’ORTF aux Buttes-Chaumont pour l’enregistrement de Top à… Régine pour laquelle Ike & Tina Turner sont soi-disant spécialement venus, annonce un programme de télé ! J’ai droit à un aperçu en direct de Miss Tina, déjà fantastique, dont le troisième titre enregistré, « Proud Mary » de Creedence Clearwater Revival, n’est pas diffusé dans cette émission TV.
Mais autant dire que par rapport au concert du soir, c’est de la rigolade ! La salle est archi-comble. Le public ne connaissant pas le programme de la première partie, l’accueil réservé au John Souther Band est assez froid. Et voici le clou de la soirée, Ladies & Gentlemen, The Ike & Tina Turner Review ! Les Family Vibes (deux guitares, orgue, basse, batterie et quatre cuivres) démarrent avec une pêche terrible pour introduire (!) les trois jolies Ikettes. Déjà on est sous le charme. Chacune se relaie au micro. Après « There as A Time » de James Brown, l’orchestre prend la suite pour un show tout en splendeur, autant visuel que musical.
Ike Turner entre en scène. Il branche sa guitare, et l’on sent immédiatement un fluide qui nous indique que le grand moment est là ! Les Ikettes reviennent, elles ont quitté leur ensemble pantalon pour la mini-jupe, et voici la superbe Tina, une beauté sauvage dans toute son expression, une diablesse qui vous met le feu partout. Comment la décrire, sa robe, ah… ! Voyez les photos, la censure nous guette.
Leur répertoire est basé sur beaucoup de reprises, surtout des Beatles. Comment ne pas être sensible à la voix merveilleuse de cette sensuelle chatte qu’est Tina Turner, à la cohésion des Family Vibes, aux percutantes Ikettes, qui elles non plus ne manquent pas de piment, aux chorus d’Ike, guitariste qu’il ne faut surtout pas reléguer, même s’il s’efface pour laisser le succès à sa femme. « She Came In Through The Bathroom Window » ouvre le feu. L’emprise est très forte. « River Deep Mountain High » est très différent de la production de Phil Spector. De nouveau les Fab Four avec « With A Little Help From My Friends », digne concurrent de la version de Joe Cocker, puis « Get Back », le blues « Everyday I Sing The Blues » enchaîné à un formidable « I Smell Trouble ».
Il n’est plus question d’étiquette, soul ou rhythm’n’blues, on en prend plein les oreilles et les mirettes. Le jeu de scène de Tina, sensationnel, se ressent plus qu’il ne s’explique. Elle danse et est époustouflante. Elle provoque, excite puis vient le dialogue avec son mari. Ike lui répond avec sa guitare en vous coupant littéralement le souffle ! Nos yeux et notre ouïe sont sollicités d’admirable façon. On reste bouche-bée, tellement la gifle est énorme. Il est difficile de trouver les mots pour transcrire l’impact ressenti.
Avec « Main In The Chapell », on revient aux morceaux rapides et voilà « Honky Tonk Women » des Rolling Stones. Là aussi, il faut savourer les mots délicieusement outrageants. Tina enchaîne avec leur dernier succès « Let Me Touch Your Mind » avec les chœurs des Ikettes. La voix de Tina vous file le frisson. Après d’autres titres, c’est le gigantesque « Proud Mary », lentement d’abord avec le groupe et le mélange des voix savamment dosées d’Ike, Tina et les Ikettes, avant d’attaquer une partie ravageuse où nos femelles en rut dansent et chantent comme des tigresses. Géant !
Maintenant, Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs, retenez votre respiration, Tina entame « I’ve Been Loving You Too Ling » du monumental et regretté Otis Redding. La plainte débute majestueusement puis enfle jusqu’à en arriver au duo érotique et à la fois comique d’Ike et Tina. Les Ikettes ayant quitté le plateau, ils échangent des paroles et soupirs subjectifs en diable. Il faut voir le jeu de scène pervers de Tina avec son micro, entendre ses roucoulements suivis de la voix rauque et satisfaite d’Ike. Les lumières se rallument, les Iketes reviennent et le show s’achève par une tornade avec le démoniaque « I Want To Take You Higher » de Sly & The Family Stone.
Cette performance vaut à Tina la couverture du N°13 de Maxipop du 22 novembre 1972, et la double page centrale. Je conclus mon article par cette formulation audacieuse : « Plus aucun doute n’est permis, ce n’est pas le pied, c’est l’orgasme ! »
Je reverrai Ike & Tina Turner deux ans plus tard, le 22 novembre 1974, à Strasbourg, avec toujours le même enthousiasme. Peut-être que je vous raconterai une autre fois ces retrouvailles. En attendant, Tina Turner nous a quittés, le 24 mai 2023, et elle méritait largement cet hommage du souvenir.
Jacques LEBLANC
Juke Box Magazine
Top à Régine |
Top à Régine |
Le 9 novembre 1972, le théâtre du Châtelet reçoit un spectacle bien différent de ce qu’il propose habituellement, Ile & Tina Turner. Avec Mike Lécuyer, je les rencontre la veille chez Maxim’s. Nous les suivons à l’ORTF aux Buttes-Chaumont pour l’enregistrement de Top à… Régine pour laquelle Ike & Tina Turner sont soi-disant spécialement venus, annonce un programme de télé ! J’ai droit à un aperçu en direct de Miss Tina, déjà fantastique, dont le troisième titre enregistré, « Proud Mary » de Creedence Clearwater Revival, n’est pas diffusé dans cette émission TV.
Mais autant dire que par rapport au concert du soir, c’est de la rigolade ! La salle est archi-comble. Le public ne connaissant pas le programme de la première partie, l’accueil réservé au John Souther Band est assez froid. Et voici le clou de la soirée, Ladies & Gentlemen, The Ike & Tina Turner Review ! Les Family Vibes (deux guitares, orgue, basse, batterie et quatre cuivres) démarrent avec une pêche terrible pour introduire (!) les trois jolies Ikettes. Déjà on est sous le charme. Chacune se relaie au micro. Après « There as A Time » de James Brown, l’orchestre prend la suite pour un show tout en splendeur, autant visuel que musical.
Ike Turner entre en scène. Il branche sa guitare, et l’on sent immédiatement un fluide qui nous indique que le grand moment est là ! Les Ikettes reviennent, elles ont quitté leur ensemble pantalon pour la mini-jupe, et voici la superbe Tina, une beauté sauvage dans toute son expression, une diablesse qui vous met le feu partout. Comment la décrire, sa robe, ah… ! Voyez les photos, la censure nous guette.
Châtelet - 1972 |
Il n’est plus question d’étiquette, soul ou rhythm’n’blues, on en prend plein les oreilles et les mirettes. Le jeu de scène de Tina, sensationnel, se ressent plus qu’il ne s’explique. Elle danse et est époustouflante. Elle provoque, excite puis vient le dialogue avec son mari. Ike lui répond avec sa guitare en vous coupant littéralement le souffle ! Nos yeux et notre ouïe sont sollicités d’admirable façon. On reste bouche-bée, tellement la gifle est énorme. Il est difficile de trouver les mots pour transcrire l’impact ressenti.
Avec « Main In The Chapell », on revient aux morceaux rapides et voilà « Honky Tonk Women » des Rolling Stones. Là aussi, il faut savourer les mots délicieusement outrageants. Tina enchaîne avec leur dernier succès « Let Me Touch Your Mind » avec les chœurs des Ikettes. La voix de Tina vous file le frisson. Après d’autres titres, c’est le gigantesque « Proud Mary », lentement d’abord avec le groupe et le mélange des voix savamment dosées d’Ike, Tina et les Ikettes, avant d’attaquer une partie ravageuse où nos femelles en rut dansent et chantent comme des tigresses. Géant !
Maintenant, Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs, retenez votre respiration, Tina entame « I’ve Been Loving You Too Ling » du monumental et regretté Otis Redding. La plainte débute majestueusement puis enfle jusqu’à en arriver au duo érotique et à la fois comique d’Ike et Tina. Les Ikettes ayant quitté le plateau, ils échangent des paroles et soupirs subjectifs en diable. Il faut voir le jeu de scène pervers de Tina avec son micro, entendre ses roucoulements suivis de la voix rauque et satisfaite d’Ike. Les lumières se rallument, les Iketes reviennent et le show s’achève par une tornade avec le démoniaque « I Want To Take You Higher » de Sly & The Family Stone.
Cette performance vaut à Tina la couverture du N°13 de Maxipop du 22 novembre 1972, et la double page centrale. Je conclus mon article par cette formulation audacieuse : « Plus aucun doute n’est permis, ce n’est pas le pied, c’est l’orgasme ! »
Je reverrai Ike & Tina Turner deux ans plus tard, le 22 novembre 1974, à Strasbourg, avec toujours le même enthousiasme. Peut-être que je vous raconterai une autre fois ces retrouvailles. En attendant, Tina Turner nous a quittés, le 24 mai 2023, et elle méritait largement cet hommage du souvenir.
Jacques LEBLANC
Juke Box Magazine
Commentaires