BOSTON CITY LIMITS #4 : THE REAL KIDS (1/2)

Les Real Kids ont été le volcan qui explosa à la fin des seventies en laissant derrière lui une traînée de lave incandescente qui illumina longtemps la scène musicale. Malheureusement, comme pour un volcan, la lave s’arrêta avec son extinction.

L’auto-destruction du groupe commença précisément quand le groupe fut à son zénith. Ils firent certains des meilleurs shows de l’histoire du Boston rock et en même temps l’alcool, les drogues et le chaos implosif de leur vie furent la garantie qu’ils n’arriveraient jamais au succès qu’ils méritaient. C’est la trajectoire de crash en plein vol que beaucoup des meilleurs groupes de Boston se mettraient à suivre par la suite.

Les Real Kids font partie de ces groupes maudits dont la France était si friande à la fin du XXe siècle. Evidemment c’est John Felice le guitariste compositeur et leader charismatique du groupe qui en reste l’incarnation car le groupe c’est lui, c’est son histoire. Et comme le dit toujours Felice, sans les Modern Lovers, les Real Kids n’auraient jamais existé.

Comme je l’ai raconté dans Boston City Limits #2: Les Modern lovers John Felice – attention on prononce Feli-ss et pas Feli-ché à l’italienne, je me suis fait reprendre par JJ Rassler (DMZ) à ce propos – John donc avait quitté les Modern Lovers après le concert du nouvel an 72/73 où ils faisaient la première partie des New York Dolls. Les deux groupes avaient sympathisé et en particulier les deux jeunots de chaque combo, John Felice et Johnny Thunders. Ces deux là s’étaient trouvés des affinités musicales communes comme le rockabilly, les groupes de nanas style Shangri-Las, le Memphis Soul et une propension à se murger grave et à expérimenter les substances. Devant les difficultés incessantes pour décrocher un contrat avec une maison de disques John F. considère que les Modern lovers n’y arriveront jamais et jette l’éponge pour former son propre groupe, les Kids dont le line-up changera fréquemment mais on y trouvera Rick Corracio (futur DMZ et Lyres) et Kevin Glasheen. 


 

Des enregistrements post-mortem apparaîtront en 2005 chez Norton avec un EP dont trois titres sont des reprises du Velvet Underground (Foggy notion, There she goes again, Sweet Jane) complétés par Fly into mystery des Modern Lovers. Crypt records exhuma également des inédits, voir la chronique Back in the Day qui détaille le coffret en question. 

 

 

Les Kids n’arrivèrent jamais à décoller et c’est le moment où Jerry Nolan et Johnny Thunders frustrés par les choix pris par les New York Dolls décident de quitter le groupe pour former les Heartbreakers en août 75. Ils demandent à John Felice de venir à NYC passer une audition comme deuxième guitariste. Felice fut accepté sans problème mais la junky attitude assumée par les autres membres de la bande lui fila la trouille et il rentra chez lui ( “I went down, had the gig, if I wanted it, but what I witnessed down there scared me, and I knew I’d be dead in months, so I reluctantly packed up my guitar and headed home to Boston..”). 

 

 (Photos Robert Post)

Il assemble alors la formation mythique des Real Kids: Allen « Alpo » Paulino à la basse le fan suprême de Brian Jones dont il avait repris la coupe de cheveux et dont l’haleine capable de bloquer les roues d’un corbillard lui valait le surnom de Dogbreath, Billy Borgioli à la rythmique qui détonne avec ses cheveux très longs et le batteur de première classe Howie Ferguson. Tous ces musiciens venaient d’autres groupes locaux, les Nervous Eaters et the Mezz en l’occurence. Alpo et Borgioli avaient vu Howard Ferguson sur scène avec the Mezz et sont subjugués par son jeu clair et précis. Ils le débauchent pour rejoindre leur groupe encore à l'état de projet. C'est Jonathan Richman qui les mettra en relation avec John Felice qui lui aussi veut monter un groupe. Le rock à Boston était une grande famille à multiples cousins. Nous sommes en 76 et les Real Kids se hissent rapidement au-dessus du panier, ils ont de vraies chansons avec des textes et des rythmes en droite ligne de Chuck Berry ou de Buddy Holly, le vrai/real rock’n roll. Ils sont fascinés par le rockabilly et les Stooges. 



 

Philippe Garnier en vadrouille sur la côte Est se retrouve à Boston à l’été 76 et découvre les Real Kids. Il fait partager son enthousiasme dans un article de Rock’n Folk de l’automne 76 après les avoir vu au Rat, le club emblématique de l’époque : 

« The Real Kids sont sans aucun doute à mes yeux le meilleur groupe de Boston. Sur scène, ce sont les Ramones moins la pose ; durs mais pas teigneux. Réels. Ils jouent une musique qui arrache, mais ils savent jouer (…). John est sur le devant de la scène, avec le bassiste Alpo qui lui colle au cul comme un siamois. Bill Borgioli à la guitare à cause de ses longs cheveux rappelle plus Ian Hunter que les groupes actuels. Le batteur Howard Ferguson est sensationnel (…). En deux semaines à New York et en six mois à San Francisco, je n’ai pas pris un flash comparable à la joie de voir les Real Kids jouer cette musique violente mais mélodique tout de même » . Garnier parvient à rencontrer le groupe et à parler avec John Felice qui lui fait écouter des bandes enregistrées par le groupe et deux titres s’imposent à lui la ballade ʺCommon at noonʺ, et ce qu’il qualifie « comme un petit truc fumant » ʺJust like Dartsʺ. Ils en viennent à discuter de la différence d’attitude entre Boston et New York qui à leur avis est plus dans la frime. « La grande différence, c’est qu’à Boston les gens dansent ; à New York, ils regardent et s’inventent des raisons d’aimer ce qu’ils voient… Mais ce qui est drôle, c’est qu’ils nous aiment bien à New York ; ça les change un peu ». Et Garnier de renchérir : «ça les change surtout de "96 Tears" ou de "In the Midnight Hour" ad nauseam ».

Jim Harold, le patron du Rat a senti qu’une nouvelle scène était en gestation et surtout a compris l’impact des albums Live at Max’s et Live at CBGB’s que ces deux clubs de New York ont fait enregistrer aux groupes sévissant sur leurs planchers. C’est une occase commerciale à la fois pour les groupes et pour les boîtes. Il fait donc enregistrer live les groupes qui passent chez lui pour sortir un double LP Live at the Rat avec deux titres par groupe. 



Le disque sort fin 76 et on y trouve du bon et du dispensable. Mais les meilleures performances sont celles des Real Kids (Who needs you et Better be good ) et de Willie Loco et son Boom Boom Band. DMZ par contre n’est pas au meilleur de sa forme. Et ce disque remplit son but, le Boston sound commence à être reconnu et des chroniques apparaissent dans les magazines de rock. Les groupes vont jouer à New York au CBGB's, il manque pourtant des disques et il se passe presque un an sans que rien ne bouge vraiment. 


Les Real Kids se sont un peu embrouillés avec Jim Harold à qui ils reprochent de ne pas avoir choisi les meilleurs titres pour l’album. Pourtant "Who needs you" est parfait et de plus c'est la réponse que fait Felice à Jonathan Richman qui l'a un peu cherché en le caricaturant en Hippy Johnny dans "I'm straight".

Ils ont changé de crèmerie en s’installant chez Cantone’s où ils sont quasiment en résidence durant les weekends. Les autres jours de la semaine, l’endroit est dévolu aux strip- teaseuses et aux combats de boxe. 

C’est le moment que choisit Garnier pour revenir à Boston et revoir les Real Kids. John Felice l’emmène dans les studios de WTBS pour écouter les démos que le groupe enregistre, Garnier trouve le résultat stupéfiant veut faire un disque et repartira avec deux titres qu’il va éditer en single sur son label Sponge Records : ʺAll kindsa girlsʺ, le joyau pop rock emblématique des Real Kids et la belle ballade ʺCommon at noonʺ, déjà mentionnée. Garnier ne tarit pas d’éloges : « De tous les groupes que j’ai vus depuis trois ans, les Real Kids sont les seuls qui m’aient laissé cette impression de jouvence et de jeunesse, cette qualité douce/amère, amour/colère, joie/cafard, et ceci d’une façon aussi durable. Quand vous les avez entendus jouer deux soirs de suite et que vous apprenez que le plus vieux d’entre eux a vingt ans, c’en est même un peu effrayant. »

 Ce que confirme notre ami Alain Feydri qui eut la chance d'assister à ces concerts, je vous renvoie à son excellente interview.

Mais les délais de pressage et un cafouillage de production verra le single sortir en France seulement à la fin 77 avec des pistes écourtées. Pourtant ce single français tournera sur les radios de Boston et les Real Kids sont sur un nuage. Alpo considère qu'ils ont réussi un vrai truc. La version correcte fera l’objet d’une réédition sur Star Rythms records en 1982. Les deux titres du disque passent aussi sur les radios en France avec un certain succès et on espère voir le groupe tourner en Europe..

Pendant l’été, Marty Thau qui a créé son label, Red Star records dont la première référence est l’album de Suicide veut maintenant enregistrer un LP avec les Real Kids. John Felice le connaît pour l’avoir cotoyé à New York comme manager des New York Dolls. Les séances d’enregistrement ont lieu en novembre 77 et se déroulent dans des conditions pas terribles : les studios Ultima sont à 20 bornes au nord-est de NYC et il faut compter deux heures pour venir de Boston. Parfois les musiciens restent sur place et dorment à même le sol du studio et il fait froid. Les séances durent trois jours et douze titres sont mis en boîte et le résultat est bluffant. "All kindsa Girls"  ouvre la première face, c’est une prise moins agressive que celle du single mais John y exprime ainsi que dans le titre suivant " Solid Gold " son amour pour toutes les filles qui lui sourient et sont prêtes à danser avec lui. "Rave on" est la reprise impeccable du titre de Buddy Holly. Les Real Kids rendent hommage à ceux qui les ont inspirés et c’est explicitement chanté dans « Better be good » qui fait un panorama nostalgique des 60’s (Things wouldn’t be the same without the Remains…) avec force shalala derrière les rythmes de basse.


On retrouve la même démarche dans les reprises :  "My way " de Eddy Cochran, "Roberta" de Huey ʺpianoʺ Smith mais c’est la version des Animals qui a marqué John Felice. Pour la partie de piano, Jeff monoman Connolly (DMZ, puis Lyres) participe avec brio à l’enregistrement. Quand l’album sera réédité en 1985 par New Rose sur le sous-label Fan Club, la piste piano de Monoman  aura disparu. Ce qui n’échappa pas à la sagacité de Gildas ( Dig It!). Patrick Mathé fut contacté et n’eut pas non plus d’explications, il avait publié les bandes telles qu’on lui avait fournies. En tout cas la réédition sur Norton en 1991 fut elle conforme à l’original.

On ne peut pas rester insensible aux intros en arpèges de " Just like darts " et de " My Baby’s book " ( I’m all right in my baby’s book ‘cause she loves me..). Tous les titres sont des classiques, il n’y a rien à jeter et John sait également railler la musique des 70’s dans " Do the Boob ", (“ I don’t want to hear Disco, I want music from the past … when I watch tv guys they look like faggots and girls like Lou Reed”). Do the Boob est la manière de danser un peu empotée de Bob Colby un fan de la première heure du groupe à Boston. Et puis il y a " Reggae, reggae ", une transe digne du Velvet et des Stooges, dans laquelle Felice prend trois solos fracassants, sans rapport avec un rythme reggae et qui sera presque toujours la conclusion des sets live.

L’album (The Red Star LP) sera très bien accueilli par la critique, et disponible en janvier 78. Mais rapidement il ira rejoindre les bacs des soldeurs car il ne se vendra nulle part sauf… en France où le groupe acquiert rapidement une notoriété et un statut quasi culte. Une communauté de fans s’agrège et le fan club publie sa page dans le fanzine Nineteen.

A Boston, le groupe continue à se produire chez Cantone’s et au Rat mais la lassitude finit par gagner les musiciens qui sont un peu dézingués par l'abus de drogues et d'alcool. Borgioli est viré car lui et John ne s'entendent plus au propre comme au figuré. Le groupe se dissout. Alpo et Billy Borgioli vont rejoindre les Varmints et les Classic Ruins. John Felice et Howard Ferguson sont chauffeurs de taxis pour gagner leur croute et John va même faire le roadie pour les Ramones. En 1980, John monte un nouveau groupe les Taxi Boys avec Billy Cole à la basse, Scott Parmentar à la guitare rythmique et Bobby Mc Nabb aux drums. Deux EPs verront le jour sur Bomp records et sur le label local Star Rythm Records, les compositions sont des originaux que n’auraient pas reniés les Real Kids. 

                                                                        The Taxi Boys


En France, en 1980 un groupe de Bordeaux, Les Stilletos, sort un single avec en face B une adaptation française de “All kindsa girls” sous le titre de ʺToutes les fillesʺ.

Et le groupe se reforme avec un nouveau line-up, John Felice retrouve Alpo à la basse, Billy Cole prend la rythmique et Bobby ʺMoroccoʺ Morin tient les drums. Rapidement un nouvel album est mis en chantier avec Andy Paley à la production. Le groupe cherche un label. Nous sommes en 1982. Willie Loco Alexander qui a rejoint l’écurie New Rose emmène avec lui à Paris les bandes des Real Kids qu’il fait écouter à Patrick Mathé. L’album sortira aux USA sur le label local de Boston Star Rythm Records et en Europe sur New Rose.


Ce disque, Outta Place, est la suite attendue du LP Red Star.
Les titres sont toujours nerveux ( “Can’t talk to that girl”, “ Everyday is a Saturday”,”No place fast”). La version New Rose comprend une chanson supplémentaire, une reprise de Mitch Ryder, I’d rather go to jail”.

Les concerts reprennent à Boston et il est maintenant question de faire une tournée en France pour promouvoir l’album et éventuellement en enregistrer un nouveau. Le groupe débarque à Paris début 83 pour une tournée à travers l’hexagone. Et le premier concert au Bataclan a lieu le 2 février, c’est une claque magistrale, le groupe galvanisé par un public en délire fait une grande performance. Les Real Kids ont trouvé leur meilleur public. Un animateur d’une radio libre de l’époque, Jérôme Rey, fait une interview à chaud après le gig de John Felice. On peut y entendre le leader du groupe dire tout le bien qu’il pense de la France et de ses fans, et son amertume à l'égard de Marty Thau à qui il reproche son manque d'implication à l'égard du groupe. Il s'en prend aussi verbalement aux vigiles du Bataclan qui empêchent les filles de rentrer backstage. All kindsa’ girls indeed !           (On peut charger l’interview ici).

La tournée en France sera triomphale partout du Havre à Bordeaux et Villeurbanne entre autres pour s’achever à Paris au Gibus. Le concert du 2 février au Bataclan a été enregistré pour faire un disque live qui sortira la même année. 




Il s’agit de All Kindsa Jerks Live. Je connais pas mal de gens qui étaient à ce show et qui ont tenté et parfois réussi à se retrouver sur la photo de la pochette de l’album. Le groupe aligne des morceaux des deux albums, reprend un morceau peu connu des Kinks, ʺShe’s got everythingʺ et termine sur “All kindsa girls/ Toutes les fillesʺ.

En mars 83 le groupe prend la direction de Bruxelles pour enregistrer un nouvel album aux studios RKM avec toujours Andy Paley à la production. Ce disque sortira en octobre de la même année mais uniquement en Europe, les fans américains devront l’importer pour entendre les nouvelles chansons du groupe. 



Ce disque Hit you hard est composé de chansons originales sauf une reprise du ʺTake it slowʺ de Jimmy Reed. John Felice a toujours le talent pour composer des joyaux rock comme ʺShe ‘s a messʺ ou ʺHit you hardʺ, mais ce disque sera le moins accompli des Real Kids surtout que leurs prestations live sont enthousiasmantes. 

New Rose publie une cassette vidéo du concert du Bataclan plus des interviews des membres du groupe en balade à Paris, on peut aussi voir les Snipers qui assuraient la première partie du concert. 

                                                            Bon de commande de la Video

La cassette éditée à 500 exemplaires sera en rupture de stock au bout d’un an. On peut charger la video ici. Le groupe quitte l’Europe au début de l’été et quand on demande à Patrick Mathé quand il pense les faire revenir, il ne répond pas et son regard semble désabusé. Les relations ont évolué entre le groupe et son label français et le comportement des musiciens hors concerts n’a pas toujours été gérable. 


Dans la boutique New Rose de la rue Pierre Sarrazin à Paris, ils avaient pris l’habitude de se servir dans les réserves de disques, plutôt comme des voyous que des gentlemen. De fait il faudra attendre 2016, soit 33 ans plus tard, pour revoir une incarnation du groupe en France. (à suivre)

                                          Jacques_B

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