DAY BY DAY - DAMNED - LES ANNEES STIFF RECORDS

Si l'histoire doit retenir un groupe de farceurs du punk anglais, c'est bel et bien Damned. Damned, tout court, comme l'expression anglaise, ou The Damned, au choix. Des pitres, donc, des clowns pourtant bien sérieux, comme nous allons le voir.

The Damned naissent des cendres encore fumantes des London SS dans lesquels ont joué le guitariste Brian James ainsi que le batteur Rat Scabies et de Masters Of The Backside avec Captain Sensible, Dave Vanian, Chrissie Hynde des Pretenders, le journaliste Nick Kent ainsi que Rat Scabies, là aussi (qui a également joué dans un groupe proto-punk nommé Rot). Il se raconte que Masters Of The Backside est assemblé par le manager des Sex Pistols, Malcolm McLaren, qui rêve de s'occuper d'un groupe à mi-chemin entre les Ramones et Television qu'il a vus à New York et qui le fascinent. Conscient dès le début que les Sex Pistols sont ingérables, il recrute des musiciens ici et là, avec l'espoir d'obtenir l'équivalent des groupes US précités. Malheureusement pour lui, les membres de Masters Of The Backside se lassent très rapidement de son comportement et se séparent après quelques répétitions seulement.

Début Avril 1976, lors d'un concert des Sex Pistols au Nashville Rooms de Londres, Brian James et Rat Scabies remarquent Sid Vicious dans le public et lui proposent d'auditionner pour le poste de chanteur. Il a le look et la gueule de l'emploi, il pourra donc faire l'affaire mais quelques minutes plus tard, Scabies aperçoit Dave Vanian et indique à Brian James que c'est finalement lui qu'il faut dans le groupe, il a le bon look lui aussi et a déjà fait ses preuves dans Masters Of The Backside. Une audition est finalement proposée aux deux futurs chanteurs mais Sid Vicious ne vient pas au rendez-vous, ce qui va définitivement seller le destin de Vanian. Scabies et James contactent ensuite Captain Sensible (de son vrai nom Raymond Burns), The Damned sont nés.

Managé au départ par Andrew Czezowski (futur patron du Roxy Club de Covent Garden), le groupe répète dans un local d'Acme Attractions, le magasin de vêtements dans lequel travaille le DJ Don Letts. Courant juin a lieu l'enregistrement d'une démo trois titres au local de Warrington Crescent sur le matériel de Matt Dangerfield (The Boys). I Fall, See Her Tonite et Feel The Pain sont mis en boîte en une journée et vont servir à prospecter journaux et maisons de disques. Ces 3 titres sont aujourd'hui disponibles sur le coffret Play It At Your Sister.

Le premier concert a lieu au 100 Club de Londres le 6 Juillet 1976, en première partie des Sex Pistols. Les Damned jouent des titres des Stooges, Beatles et Who, en plus de leur propre répertoire. L'enregistrement est disponible depuis 2007 dans un coffret 3 CD avec le premier album et des extraits live en bonus. La prestation est plutôt bonne, les titres sont rapides et le groupe énergique.

Le 24 Juillet, John Ingham, du magazine Sounds, chronique un concert au Nashville Rooms, il les compare aux Stooges et écrit : « les Damned le sont (i.e. damnés), et si vous ne les aimez pas, allez vous faire foutre ».

Le 21 Août 1976 est une date très importante pour eux. Tout d'abord parce qu'ils sont le premier et le seul groupe du genre à participer au festival punk de Mont de Marsan (qui est franchement pub-rock cette année-là, il faut bien le dire) mais également parce qu'ils font la connaissance de Jake Riviera dans le bus qui les amène dans le Sud-Ouest. Riviera est l'un des fondateurs du label Stiff Records et cette rencontre est historique. The Damned livrent un set sauvage à Mont de Marsan, une véritable bombe immortalisée sur bande magnétique aujourd'hui disponible en CD. Ce document sonore est low-fi, mais il témoigne de la qualité du groupe et de sa sauvagerie sur scène. Riviera prend une claque et décide de les signer.

En Septembre, ils sont interviewés par Mark Perry du fanzine Sniffin' Glue et ont même droit à la couverture du numéro. Dave Vanian abandonne son emploi de fossoyeur pour se consacrer pleinement au groupe et le 21, les damnés reviennent au 100 Club pour les journées Punk Special en compagnie de Buzzcocks, Chris Spedding & The Vibrators et des Stinky Toys à qui ils prêtent leur matériel.

Après avoir été les premiers punks anglais à jouer en France, les Damned devancent tous les autres groupes d'outre Manche en sortant leur single New Rose/Help le 22 Octobre 76.

Premier single : New Rose / Help 

En Novembre ont lieu quelques dates en première partie des Flamin' Groovies et des Troggs. Le 30, ils enregistrent leur première Peel session à la BBC, 5 titres sont mis en boîte et diffusés le 10 Décembre. Vient ensuite l'Anarchy inthe UK Tour organisé par le manager des Sex Pistols, Malcolm McLaren, qui a invité Damned, The Clash et Johnny Thunders & The Heartbreakers. Les choses s'annoncent difficiles suite à l'interview chaotique des Sex Pistols à la télévision. La plupart des salles ferment leurs portes et seulement 3 dates sur 19 sont maintenues. Premier concert à Leeds le 6 Décembre... Les Damned n'iront pas plus loin. A Derby, l'attaché de presse de Stiff, Rick Rogers, informe Bernie Rhodes (manager de Clash) et McLaren que le groupe se produira, comme demandé, devant le conseil municipal avant le concert du soir. Les deux managers voient rouge et les Damned sont virés de la tournée. Sensible est dégoûté, il affirme qu'il n'aurait jamais accepté de jouer devant un jury d'élus, il est déboussolé, ne comprend pas bien ce qui s'est passé. Brian James le regrette également, affirmant qu'il s'entend plutôt bien avec Mick Jones (The Clash) et Johnny Rotten (Sex Pistols) et qu'ils sont là pour jouer, s'amuser, prendre du bon temps, mais pas pour subir les pressions d'une mairie. 

De retour à Londres, ils jouent au Hope & Anchor avec le groupe Eater. L'équipe de Stiff filme le concert pour la réalisation de la vidéo du single New Rose.

Janvier 77, l'enregistrement du premier LP débute au Pathway Studios de Londres. En 10 jours, 13 titres sont prêts pour Damned Damned Damned qui sort le 18 février. Encore une fois, les Damned devancent tout le monde puisqu'il s'agit du premier album punk anglais. La pochette vaut le détour, on y voit les quatre larrons le visage couvert de crème (il s'agit en fait de mousse à raser), Scabies fait mine de lécher es cheveux de Sensible tandis que Vanian semble s'évanouir et James reste stoïque. Du grand art, mais les Damned dérangent... Le star système et quelques frustrés de la radio et de la presse voient leur progression d'un mauvais œil et vont tenter de flinguer le groupe comme ils le font pour les Pistols car déjà à cette époque, il se raconte que leur single Anarchy in the UK a été enregistré par des musiciens de studio tellement ils sont incompétents. Pour les Damned, c'est la même chose, une légende veut que le groupe, tellement mauvais, a été incapable d'enregistrer ses titres à la bonne vitesse et que les parties instrumentales ont été volontairement accélérées par la production avant que Vanian y colle sa voix... Le problème qui se pose pour les détracteurs des Damned, ce sont les bandes live. Le concert de Mont de Marsan, par exemple, ou encore la BBC session de Novembre prouvent au contraire que le groupe est tout à fait capable de jouer vite et bien.

Damned Damned Damned 1er LP

Et fort heureusement, il n'y a pas que des esprits chagrins qui s'intéressent aux Damned. Le numéro 4 de Sniffin' Glue fait l'éloge de l'album, au même titre que Giovanni Dadomo, dans Sounds, et les concerts s'enchaînent. Les quatre pitres ont le vent en poupe et vont finalement de succès en succès.

Le 25 février, Stiff sort le deuxième single Neat Neat Neat, avec une pochette vraiment dans l'esprit du groupe, chacun ayant un sac papier sur la tête, troué au niveau des yeux, façon Elephant Man. Une tournée est organisée avec T-Rex, pour le plus grand plaisir de Captain Sensible, fan de Bolan & co. Elle débute le 11 Mars au Manchester Apollo et dure une quinzaine de jours. S'ensuit un passage TV à l'émission Supersonic où le groupe joue Neat Neat Neat.

Neat Neat Neat, second single

Après avoir été les premiers punks anglais à jouer en France, les premiers à sortir un single, les premiers à sortir un album, les Damned ne lâchent rien et deviennent les premiers punks anglais à jouer aux USA. Le 8 avril, ils débutent une série de concerts au CBGB's de New York avec les Dead Boys. Il est prévu qu'ils partagent l'affiche avec Television au Whiskey A Gogo de Los Angeles, mais Tom Verlaine décline au dernier moment. D'après Vanian, Verlaine a peur que les Damned, extrêmement bien reçus aux USA, lui volent la vedette. De cette histoire naît une nouvelle chanson, « Idiot Box ».

Retour en Angleterre et enregistrement de la seconde Peel session le 10 Mai, la veille du début d'une nouvelle tournée, cette fois en compagnie des Adverts. L'affiche commune aux deux groupes est on ne peut plus punk : « les Damned peuvent maintenant jouer trois accords, les Adverts peuvent en jouer un, écoutez les tous les quatre » (+ dates des concerts). La tournée s'étale sur 30 dates, jusqu'à fin Juin. Infatigables, les Damned trouvent une journée en cours de route, le 17 Mai, pour enregistrer deux titres en studio, « Stretcher Case Baby » et « Sick Of Being Sick » avec Shel Talmy, producteur des Kinks et des Who. Ces deux titres sortent en édition limitée à 5000 exemplaires début Juillet. Ils ne sont disponibles qu'en cadeau pour les fans qui viennent voir le groupe au Marquee.

Malheureusement, une embrouille entre le management du groupe et les responsables de la salle ampute les dates prévues, seulement deux concerts ont lieu. Le reste des copies du single est offert aux fans qui participent à un concours via le NME. Inutile de préciser que le disque devient collector très rapidement.

Début Août 77, Brian James suggère de recruter un second guitariste pour qu'il puisse travailler ses plans lead, façon MC5, dont il est fan. Robert « Lu » Edmonds est engagé et assure le premier concert à cinq à Mont de Marsan, le 5 Août. Le show est sauvage, et la compétition est rude. Cette fois-ci, il s'agit bien d'un festival punk (surtout le premier soir) aux côtés de The Clash, Maniacs et Police. The Jam sont là mais ne jouent malheureusement pas.

Stiff Records met la pression sur le groupe pour qu'il enregistre un second album tant que le « mouvement punk est encore chaud » (sic). Mi-Août, les Damned entrent aux Britania Row Studios, propriété de Pink Floyd. Ils ont prévu d'enregistrer avec Syd Barrett mais c'est le batteur Nick Mason qui les attend. James et Sensible sont très déçus. Ils témoignent que Mason ne leur semble pas être l'homme de la situation, il passe des heures à parler de ses motos, de ses courses de voitures, mais leur musique ne l'intéresse pas, et d'ailleurs, il ne la comprend pas.

Le groupe fait un break et revient finir le travail courant septembre. L'album s'intitule Music For Pleasure, un titre qui se moque du catalogue à petit prix de la maison de disques EMI.

Début Octobre, les Damned sont en France, mais Rat Scabies est fatigué, il en a assez de tourner, il réunit le groupe et explique qu'il arrête, même si chacun lui demande de tenter le tout pour le tout. Il est remplacé par Jeff Berk, batteur de Johnny Moped avec qui il a partagé un temps son appartement. Berk connaît bien le répertoire et peut donc prendre la suite sans difficultés. Le 28 Octobre, Stiff sort un nouveau single, Problem Child/ You Take My Money.

Le 11 Novembre débute une tournée Anglaise avec les Dead Boys qui s'étale sur 24 dates. Le 11 Décembre, Stiff sort un dernier single Don't Cry Wolf/One Way Love en édition limitée vinyl rose. Le même jour, le contrat est rompu, l'histoire avec les Damned s'arrête là. Dave Vanian reproche à Jake Riviera d'avoir toujours eu de belles idées et de belles paroles pour la promo du groupe, mais rien n'a jamais été fait. Stiff de son côté sent que le vent tourne, le punk s'essouffle, les ventes du second album ne sont pas satisfaisantes.

Les pauvres Damned débutent l'année 78 dans la déprime. Scabies ne fait plus partie de groupe et en février, Brian James annonce qu'il veut partir. Le 8 avril a lieu leur concert d'adieu au Rainbow de Londres...  avant la reformation et une nouvelle signature chez Chiswick. 

A suivre...

Fernand Naudin (merci pour vos commentaires)