442ème RUELLE : KING KONG BLUES / The ALLOY SIX / The BREADMAKERS / PERVITIN / HUMAN TOYS /
KING KONG BLUES : Ils cassent le monde (CD autoproduit)
Après avoir séduit Fay Wray ou Naomi Watts, on peut comprendre que King Kong ait le blues de s'être bêtement fait descendre par une paire d'escadrilles d'avions au sommet de l'Empire State Building, on serait vénère à moins. Quant au groupe bordelais lui-même, les références cinématographiques ne s'arrêtent pas là puisque, dans le morceau "Sur l'écran noir", ils parviennent même à associer le gorille géant au roi des agents secrets, James Bond, par la grâce d'une rime patronymique qui, à défaut d'être riche, est néanmoins suffisamment phonique pour faire illusion, a fortiori dans une chanson. Une fois le cinéma mis de côté, reste que King Kong Blues est un groupe de rock, au sens large du terme, et que c'est surtout ce qui nous intéresse dans ces pages. Quelques chiffres vite fait pour résumer la situation, dix ans d'existence et trois albums au compteur, celui-ci compris, King Kong Blues n'en sont donc pas à leur coup d'essai. Un groupe aguerri qui s'accroche férocement au bitume avec un boogie-blues-rock'n'roll tout droit sorti de l'auto-radio d'un pick-up rampant sur une autoroute surchauffée du Texas ou du Nouveau-Mexique, râtelier de fusils à pompe derrière les sièges, climatisation en carafe et canette de Bud dans le porte-gobelet calé le long du sélecteur de vitesse de la boîte automatique syndicale. Ah oui, j'oubliais bien sûr la chemise à carreaux graisseuse et le Stetson douteux. Pas nés du bon côté de l'Atlantique King Kong Blues, c'est évident. Quelque part, ils me rappellent un peu les Lillois de Stocks au début des années 80 - tiens, un trio eux aussi, qui chantaient en français eux aussi - avec des préoccupations un poil plus politiques bien qu'assez discrètes ("Youpi c'est la crise", "Milice"). Accessoirement, King Kong Blues reprennent leur petit Chuck Berry dans le texte et la partition, quasi obligé ("No particular place to go"), ainsi qu'un poème de Pablo Neruda, l'une des premières victimes du coup d'état de Pinochet au Chili en 1973, beaucoup moins courant. Ce nouvel album de King Kong Blues gagne à être écouté plusieurs fois, la première donnant l'impression d'un fourre-tout guère cohérent qui s'atténue avec le temps, finissant par se transformer en une sorte de road-movie le long de la frontière sud d'une Amérique déshéritée et abandonnée à elle-même ("Sans toi", il est des images subliminales qui se fixent durablement dans notre subconscient). Et ce n'est sûrement pas ce taré de Trump qui risque d'y changer grand-chose, mais là n'est pas le propos.
The ALLOY SIX : Delicate days (CD, Beluga Records)
En 2013, des cendres de deux groupes suédois, les Moving Sounds (trois albums et autant de EP entre 2001 et 2009) et les Fourtune-Tellers (trois EP entre 2007 et 2011), émerge ce nouvel équipage de Varègues en mal d'aventures psyché-garage-pop. Parmi les six membres d'Alloy Six, on retrouve quatre ex Moving Sounds, le chanteur Jonas Lindlholm, le batteur Per Wollbrand, le guitariste Staffan Flodmark et l'organiste Ola Karlsson, tandis que le bassiste Johan Ullman et le guitariste Mathias Westerlund sont issus des Fourtune-Tellers. Une fois les identités vérifiées, reste à se pencher sur ce "Delicate days", troisième album d'Alloy Six. Et délicates, les dix ritournelles qui composent le disque le sont, aucun doute à ce sujet. Des morceaux posés, souvent mid-tempo, qui font la part belle aux guitares chantournées, dont une 12 cordes, parfois agrémentées d'une fuzz discrète, et à l'orgue caressant, un Hammond, what else. Autant dire qu'Alloy Six rivalisent aisément avec les meilleurs groupes américains du milieu des années 60. Le côté folk-rock en moins, on pense parfois aux Byrds pour cette propension à trousser de diluviennes mélodies largement soutenues par des harmonies vocales dignes d'un chœur antique ou d'une congrégation de rossignols satisfaits de leur sort. Plus près de nous, les méandres psychédéliques de Plan 9 (première période) ne sont jamais très loin non plus. D'ailleurs, pour bien montrer leur appartenance à la mouvance psyché, Alloy Six n'hésitent pas étirer leurs chansons, cinq d'entre elles tournant autour des cinq minutes, ou plus (presque sept pour "Delicate days"). Il est clair que l'urgence n'est pas le sentiment qui anime le plus Alloy Six, au contraire, il se dégage de ce disque une quiétude sincère, une volonté de bien faire plutôt que de faire vite, un esprit de sérénité qui permet au groupe de développer une musique mature et homogène, sans une once de mauvaise graisse, mais avec juste ce qu'il faut de protéines pour nous offrir un menu parfaitement équilibré. Délicat quoi !
The BREADMAKERS : Lonesome sundown (CD, Soundflat Records)
Depuis un paquet d'années, les Breadmakers sont les mastodontes du garage australien, un rôle qu'ils assument complètement, un titre nullement usurpé. D'autant que le garage-rock du groupe est arrosé de larges rasades de rhythm'n'blues, autant dire que le cocktail est explosif. Leurs influences rhythm'n'blues peuvent d'ailleurs être résumées dans les deux reprises de ce nouvel album, "She's fine she's mine" de Bo Diddley (1955, soit ses débuts sur Chess, difficile de faire plus roots) et "Mojo Hannah" d'Henry Lumpkin (1962 sur Motown, un morceau co-écrit par Andre Williams). Pour le reste, on est clairement dans un garage revival énergisant et au plus près de l'os. En même temps, on n'en attend pas moins de musiciens qui ont fait leurs classes au sein de groupes déjà séminaux comme Shutdown 66 (revenu aux affaires l'an dernier après une petite sieste d'une vingtaine d'années), les Bo-Weevils (circa early 90's) ou les Puritans (même période), un rapide calcul vous permettra de constater que les wallabies ne sont plus vraiment des kangourous du printemps, ce qui les autorise à faire montre d'une expérience à toute épreuve, grâce à leur réécriture d'un british rhythm'n'blues, tendance 60's, qui s'abreuve aux meilleures sources (Rolling Stones, Them, Yardbirds, Pretty Things, que du racé avec pedigree sans faille et sans reproche). L'aventure Breadmakers dure depuis 1989, quand même, "Lonesome sundown" étant leur neuvième album, avouez que ça commence à causer. Affichant la classique formation garage, avec ses deux guitares et son chanteur qui n'hésite pas à sortir, occasionnellement, un harmonica de sa poche revolver ("Three times cursed", "Stuck in the past", "Shadow of a doubt"), les Breadmakers ne s'embarrassent pas de fanfreluches ni de dentelles superflues, ils vous alignent riffs roboratifs et rythmes trépidants comme on l'apprend dans n'importe quelle école d'officier digne de ce nom. Au fil du temps, les Breadmakers se sont construits leur petite capsule temporelle dans laquelle ils se ressourcent régulièrement, histoire de ne pas s'éparpiller en vaines contorsions musicales. Certes, on pourrait les qualifier de puristes de la chose garage, mais personnellement, je préfère cette attitude à celle qui voudrait que l'avenir appartienne à ceux qui balancent tout un tas d'ingrédients frelatés dans leur frichti musical au prétexte que c'est le seul moyen de rester au top d'une modernitude de bazar. Les vieux pots, pour faire le bouillon, paraît que c'est ce qu'il y a de mieux.
PERVITIN : Demons (CD, Dangerhouse Skylab/Mono-Tone Records)
Avec un tel nom, on s'attendrait presque à voir les Lyonnais déferler avec éclat du fin fond des Ardennes, en plein hiver, tels les descendants perdus d'autoproclamés loups-garous jusqu'au-boutistes. Heureusement, il n'en est rien. Les Gones ne donnent d'ailleurs même pas non plus dans le punk épileptique ou le fast-core survolté. Non, Pervitin c'est une certaine idée d'un rock'n'roll intense et tendu, entre swamp-rock poisseux et indie-rock noisy. À ce titre, il est symptomatique de les voir reprendre "The living end" de Jesus And Mary Chain, forcément extrait de l'édificateur premier album des Anglais. Remarquez, ils reprennent aussi Alan Vega, tout aussi cryptique puisque "Kunk foo cowboy" est extrait, là encore, du premier album solo, electro-punky-rockab, du New Yorkais. On ne peut pas dire que Pervitin fasse dans le mainstream. Ce qui est également vrai pour les sept originaux qui complètent leur premier album, après deux EP. Avec leurs guitares fuzz en fusion, on pense aux Scientists, ce qui, pour moi, est plus qu'un compliment, carrément du lèche-botte. Une fois entré dans leur univers psychotique, on ne peut plus se défaire de l'addiction créée par une musique aussi métamphétaminée, ce qui explique bien des choses quant à la compréhension des exploits surhumains des porteurs d'uniformes vert-de-gris il y a plus de quatre-vingts ans. Sauf que, dans leur cas, la descente fut aussi rapide et destructrice que la montée, ce qui ne semble pas être le cas de nos fils de canuts. Chez eux, si destruction il y a, c'est bien celle de nos écoutilles, externes comme internes. Même si, pour certains, dont je fais partie, le boulot a été bien entamé par d'autres gangs tout aussi bruitistes que Pervitin. Néanmoins, les délirants accords free-jazz hypnotiques, avec ce saxophone sous camisole de force, des près de sept minutes de "DOTD" restent probablement la meilleure des musicothérapies. Pas besoin d'ordonnance ni d'accord préalable de la Sécurité sociale. Pervitin est pour la simplification des formalités administratives et pour l'automédication sauvage, on ne peut qu'adhérer à la démarche, et même surdoser la posologie, ça ne peut pas faire de mal, sauf en cas de sevrage brutal, fortement déconseillé pour le coup.
HUMAN TOYS : At the poor cow (CD, Topsy Turvy Records)
Petit à petit, Human Toys tirent prétexte de l'arrivée, à la fin des années 2010, du plus américain des guitaristes parisiens, Jon Von, pour faire évoluer leur musique. D'un punk radical et féministe (normal, le duo était alors 100% féminin) à leurs débuts en 2006, ils ont lentement dérivé vers un punk un poil plus pop, ou plutôt n'roll, voire garage, sur ce nouvel album, leur quatrième, et troisième avec Jon Von. De son côté, Poupée Mecanik reste fièrement campée derrière son micro... quand elle ne se lance pas dans quelques pas de danse désarticulés et épileptiques sur scène. En studio, je ne peux jurer de rien, mais ça ne m'étonnerait pas qu'elle en fasse autant, la musique s'y prêtant largement. Sans même qu'ils aient eu à accélérer le tempo, Human Toys font toujours dans la chanson rapide, courte et intense. Sur les treize titres de "At The Poor Cow" (du nom d'un bar de Tokyo, pays où ils commencent à avoir leurs habitudes, ça change de Paris ou Los Angeles, deux de leurs camps de base au cours d'une carrière erratique), un seul dépasse les deux minutes, c'est dire si ça tourne au calvaire pour la comtoise séculaire de tante Gertrude qui aime à prendre son temps pour égrener ses heures au ralenti. Cette ballade au long cours n'est autre que la reprise de "I'm sick of you", l'un des morceaux les plus vénéneux d'Iggy and the Stooges (1973, époque "Raw power"). Deux autres reprises pointent également le bout de leurs mélodies, "When you find out" des Nerves (de leur unique EP en 1976) et "Lost in the jungle" de Bob Center (1957, celle-là, il fallait la trouver, le pionnier texan étant aujourd'hui bien oublié). Au final, ces jouets humains restent hyper sexy derrière leurs atours de Ramones robotico-replicants.
ONE RUSTY BAND : Line after line (CD autoproduit - www.onerustyband.com)
Le blues est une musique routière, voire autoroutière si l'on est dans son pays d'origine, les États-Unis, le mot anglais "highway" étant plus parlant que l'idiome français, mais on ne va pas chipoter. Le blues, c'est la musique de One Rusty Band, un duo français qui s'est formé il y a une petite dizaine d'années et qui sort son troisième album. Et si le disque s'intitule "Line after line", ce n'est pas par hasard, tant les lignes blanches qui délimitent les routes, toujours elles, sont présentes dans leur vie, qu'ils passent justement en vrais saltimbanques qu'ils sont, à aller de ville en ville proposer leur petit spectacle ambulant. En effet, plus que parler de concert, même si la musique reste leur fond de commerce, on peut assimiler leurs prestations à des performances multi-artistiques de par l'originalité de leur formation. Si Greg Garghentini, l'élément chromosomique XY, est bel et bien musicien, version one man band (guitare, batterie minimale, harmonica), Léa Barbier, l'élément XX, vient du cirque, dont on ne peut pas dire qu'il soit le principal pourvoyeur de musiciens en général, même si les clowns, par exemple, sont souvent des instrumentistes accomplis. Ainsi, One Rusty Band ressemble-t-il à une sorte d'union de la carpe et du lapin. Greg, avec sa voix de rogomme, qui sied si bien au blues et au rock'n'roll bouseux et poussiéreux, est celui qui avoine ses riffs avec pugnacité et conviction, comme s'il avait passé son enfance avec son grand-père à faire chauffer l'alambic familial de contrebande pour alimenter en eau de feu une communauté autarcique en lutte avec l'autorité, quelle qu'elle soit. On l'aurait aussi très bien vu être élevé parmi les loups s'il y en avait encore eu alentour durant ses jeunes années. De son côté, Léa donne plus dans le visuel et le spectaculaire, ponctuant ses acrobaties circassiennes de claquettes et de grattage de washboard, instrument pourtant fort peu expansif habituellement, mais quand on remplace l'école de la rue par celle du chapiteau, c'est atavique, tout devient exhibition plus ou moins outrancière, il faut que les yeux brillent autour de la piste, même si, pour One Rusty Band, celle-ci soit le plus souvent une scène plus traditionnellement rectangulaire et frontale. Je n'ai jamais vu le groupe live, mais j'imagine bien Léa exulter en se lançant dans ses voltigeuses pirouettes (cacahuète ?). Sur cet album, pour la première fois, elle pousse même la chansonnette sur quelques titres, histoire d'ajouter une corde (vocale) à son arc déjà pourtant bien pourvu en projectiles de toute sorte. Ce disque aligne douze chansons, entre blues chafouin, rock'n'roll débridé ("I wanna kill you"), boogie entraînant ("Anger bone"), swamp-rock poisseux ("Across the country" rappelle furieusement les belles heures de Creedence Clearwater Revival). De la Louisiane à la Californie, c'est tout un kaléidoscope de paysages qui défilent derrière les vitres cradingues d'une Chevrolet déglinguée, le cliquetis des claquettes n'étant pas sans évoquer ceux d'un moteur à bout de souffle prêt à rendre l'âme mais qui nous traînera bien encore quelques miles de plus, jusqu'au prochain motel délabré, jusqu'à la prochaine station aux pompes à la limite de la rupture de stock, jusqu'au prochain bar de bikers enfumé au sol imprégné de bibine bon marché. Quant à savoir quand on reverra son douillet petit chez soi, il va falloir s'armer de patience et de fatalisme.
En 2013, des cendres de deux groupes suédois, les Moving Sounds (trois albums et autant de EP entre 2001 et 2009) et les Fourtune-Tellers (trois EP entre 2007 et 2011), émerge ce nouvel équipage de Varègues en mal d'aventures psyché-garage-pop. Parmi les six membres d'Alloy Six, on retrouve quatre ex Moving Sounds, le chanteur Jonas Lindlholm, le batteur Per Wollbrand, le guitariste Staffan Flodmark et l'organiste Ola Karlsson, tandis que le bassiste Johan Ullman et le guitariste Mathias Westerlund sont issus des Fourtune-Tellers. Une fois les identités vérifiées, reste à se pencher sur ce "Delicate days", troisième album d'Alloy Six. Et délicates, les dix ritournelles qui composent le disque le sont, aucun doute à ce sujet. Des morceaux posés, souvent mid-tempo, qui font la part belle aux guitares chantournées, dont une 12 cordes, parfois agrémentées d'une fuzz discrète, et à l'orgue caressant, un Hammond, what else. Autant dire qu'Alloy Six rivalisent aisément avec les meilleurs groupes américains du milieu des années 60. Le côté folk-rock en moins, on pense parfois aux Byrds pour cette propension à trousser de diluviennes mélodies largement soutenues par des harmonies vocales dignes d'un chœur antique ou d'une congrégation de rossignols satisfaits de leur sort. Plus près de nous, les méandres psychédéliques de Plan 9 (première période) ne sont jamais très loin non plus. D'ailleurs, pour bien montrer leur appartenance à la mouvance psyché, Alloy Six n'hésitent pas étirer leurs chansons, cinq d'entre elles tournant autour des cinq minutes, ou plus (presque sept pour "Delicate days"). Il est clair que l'urgence n'est pas le sentiment qui anime le plus Alloy Six, au contraire, il se dégage de ce disque une quiétude sincère, une volonté de bien faire plutôt que de faire vite, un esprit de sérénité qui permet au groupe de développer une musique mature et homogène, sans une once de mauvaise graisse, mais avec juste ce qu'il faut de protéines pour nous offrir un menu parfaitement équilibré. Délicat quoi !
The BREADMAKERS : Lonesome sundown (CD, Soundflat Records)
Depuis un paquet d'années, les Breadmakers sont les mastodontes du garage australien, un rôle qu'ils assument complètement, un titre nullement usurpé. D'autant que le garage-rock du groupe est arrosé de larges rasades de rhythm'n'blues, autant dire que le cocktail est explosif. Leurs influences rhythm'n'blues peuvent d'ailleurs être résumées dans les deux reprises de ce nouvel album, "She's fine she's mine" de Bo Diddley (1955, soit ses débuts sur Chess, difficile de faire plus roots) et "Mojo Hannah" d'Henry Lumpkin (1962 sur Motown, un morceau co-écrit par Andre Williams). Pour le reste, on est clairement dans un garage revival énergisant et au plus près de l'os. En même temps, on n'en attend pas moins de musiciens qui ont fait leurs classes au sein de groupes déjà séminaux comme Shutdown 66 (revenu aux affaires l'an dernier après une petite sieste d'une vingtaine d'années), les Bo-Weevils (circa early 90's) ou les Puritans (même période), un rapide calcul vous permettra de constater que les wallabies ne sont plus vraiment des kangourous du printemps, ce qui les autorise à faire montre d'une expérience à toute épreuve, grâce à leur réécriture d'un british rhythm'n'blues, tendance 60's, qui s'abreuve aux meilleures sources (Rolling Stones, Them, Yardbirds, Pretty Things, que du racé avec pedigree sans faille et sans reproche). L'aventure Breadmakers dure depuis 1989, quand même, "Lonesome sundown" étant leur neuvième album, avouez que ça commence à causer. Affichant la classique formation garage, avec ses deux guitares et son chanteur qui n'hésite pas à sortir, occasionnellement, un harmonica de sa poche revolver ("Three times cursed", "Stuck in the past", "Shadow of a doubt"), les Breadmakers ne s'embarrassent pas de fanfreluches ni de dentelles superflues, ils vous alignent riffs roboratifs et rythmes trépidants comme on l'apprend dans n'importe quelle école d'officier digne de ce nom. Au fil du temps, les Breadmakers se sont construits leur petite capsule temporelle dans laquelle ils se ressourcent régulièrement, histoire de ne pas s'éparpiller en vaines contorsions musicales. Certes, on pourrait les qualifier de puristes de la chose garage, mais personnellement, je préfère cette attitude à celle qui voudrait que l'avenir appartienne à ceux qui balancent tout un tas d'ingrédients frelatés dans leur frichti musical au prétexte que c'est le seul moyen de rester au top d'une modernitude de bazar. Les vieux pots, pour faire le bouillon, paraît que c'est ce qu'il y a de mieux.
PERVITIN : Demons (CD, Dangerhouse Skylab/Mono-Tone Records)
Avec un tel nom, on s'attendrait presque à voir les Lyonnais déferler avec éclat du fin fond des Ardennes, en plein hiver, tels les descendants perdus d'autoproclamés loups-garous jusqu'au-boutistes. Heureusement, il n'en est rien. Les Gones ne donnent d'ailleurs même pas non plus dans le punk épileptique ou le fast-core survolté. Non, Pervitin c'est une certaine idée d'un rock'n'roll intense et tendu, entre swamp-rock poisseux et indie-rock noisy. À ce titre, il est symptomatique de les voir reprendre "The living end" de Jesus And Mary Chain, forcément extrait de l'édificateur premier album des Anglais. Remarquez, ils reprennent aussi Alan Vega, tout aussi cryptique puisque "Kunk foo cowboy" est extrait, là encore, du premier album solo, electro-punky-rockab, du New Yorkais. On ne peut pas dire que Pervitin fasse dans le mainstream. Ce qui est également vrai pour les sept originaux qui complètent leur premier album, après deux EP. Avec leurs guitares fuzz en fusion, on pense aux Scientists, ce qui, pour moi, est plus qu'un compliment, carrément du lèche-botte. Une fois entré dans leur univers psychotique, on ne peut plus se défaire de l'addiction créée par une musique aussi métamphétaminée, ce qui explique bien des choses quant à la compréhension des exploits surhumains des porteurs d'uniformes vert-de-gris il y a plus de quatre-vingts ans. Sauf que, dans leur cas, la descente fut aussi rapide et destructrice que la montée, ce qui ne semble pas être le cas de nos fils de canuts. Chez eux, si destruction il y a, c'est bien celle de nos écoutilles, externes comme internes. Même si, pour certains, dont je fais partie, le boulot a été bien entamé par d'autres gangs tout aussi bruitistes que Pervitin. Néanmoins, les délirants accords free-jazz hypnotiques, avec ce saxophone sous camisole de force, des près de sept minutes de "DOTD" restent probablement la meilleure des musicothérapies. Pas besoin d'ordonnance ni d'accord préalable de la Sécurité sociale. Pervitin est pour la simplification des formalités administratives et pour l'automédication sauvage, on ne peut qu'adhérer à la démarche, et même surdoser la posologie, ça ne peut pas faire de mal, sauf en cas de sevrage brutal, fortement déconseillé pour le coup.
HUMAN TOYS : At the poor cow (CD, Topsy Turvy Records)
Petit à petit, Human Toys tirent prétexte de l'arrivée, à la fin des années 2010, du plus américain des guitaristes parisiens, Jon Von, pour faire évoluer leur musique. D'un punk radical et féministe (normal, le duo était alors 100% féminin) à leurs débuts en 2006, ils ont lentement dérivé vers un punk un poil plus pop, ou plutôt n'roll, voire garage, sur ce nouvel album, leur quatrième, et troisième avec Jon Von. De son côté, Poupée Mecanik reste fièrement campée derrière son micro... quand elle ne se lance pas dans quelques pas de danse désarticulés et épileptiques sur scène. En studio, je ne peux jurer de rien, mais ça ne m'étonnerait pas qu'elle en fasse autant, la musique s'y prêtant largement. Sans même qu'ils aient eu à accélérer le tempo, Human Toys font toujours dans la chanson rapide, courte et intense. Sur les treize titres de "At The Poor Cow" (du nom d'un bar de Tokyo, pays où ils commencent à avoir leurs habitudes, ça change de Paris ou Los Angeles, deux de leurs camps de base au cours d'une carrière erratique), un seul dépasse les deux minutes, c'est dire si ça tourne au calvaire pour la comtoise séculaire de tante Gertrude qui aime à prendre son temps pour égrener ses heures au ralenti. Cette ballade au long cours n'est autre que la reprise de "I'm sick of you", l'un des morceaux les plus vénéneux d'Iggy and the Stooges (1973, époque "Raw power"). Deux autres reprises pointent également le bout de leurs mélodies, "When you find out" des Nerves (de leur unique EP en 1976) et "Lost in the jungle" de Bob Center (1957, celle-là, il fallait la trouver, le pionnier texan étant aujourd'hui bien oublié). Au final, ces jouets humains restent hyper sexy derrière leurs atours de Ramones robotico-replicants.
ONE RUSTY BAND : Line after line (CD autoproduit - www.onerustyband.com)
Le blues est une musique routière, voire autoroutière si l'on est dans son pays d'origine, les États-Unis, le mot anglais "highway" étant plus parlant que l'idiome français, mais on ne va pas chipoter. Le blues, c'est la musique de One Rusty Band, un duo français qui s'est formé il y a une petite dizaine d'années et qui sort son troisième album. Et si le disque s'intitule "Line after line", ce n'est pas par hasard, tant les lignes blanches qui délimitent les routes, toujours elles, sont présentes dans leur vie, qu'ils passent justement en vrais saltimbanques qu'ils sont, à aller de ville en ville proposer leur petit spectacle ambulant. En effet, plus que parler de concert, même si la musique reste leur fond de commerce, on peut assimiler leurs prestations à des performances multi-artistiques de par l'originalité de leur formation. Si Greg Garghentini, l'élément chromosomique XY, est bel et bien musicien, version one man band (guitare, batterie minimale, harmonica), Léa Barbier, l'élément XX, vient du cirque, dont on ne peut pas dire qu'il soit le principal pourvoyeur de musiciens en général, même si les clowns, par exemple, sont souvent des instrumentistes accomplis. Ainsi, One Rusty Band ressemble-t-il à une sorte d'union de la carpe et du lapin. Greg, avec sa voix de rogomme, qui sied si bien au blues et au rock'n'roll bouseux et poussiéreux, est celui qui avoine ses riffs avec pugnacité et conviction, comme s'il avait passé son enfance avec son grand-père à faire chauffer l'alambic familial de contrebande pour alimenter en eau de feu une communauté autarcique en lutte avec l'autorité, quelle qu'elle soit. On l'aurait aussi très bien vu être élevé parmi les loups s'il y en avait encore eu alentour durant ses jeunes années. De son côté, Léa donne plus dans le visuel et le spectaculaire, ponctuant ses acrobaties circassiennes de claquettes et de grattage de washboard, instrument pourtant fort peu expansif habituellement, mais quand on remplace l'école de la rue par celle du chapiteau, c'est atavique, tout devient exhibition plus ou moins outrancière, il faut que les yeux brillent autour de la piste, même si, pour One Rusty Band, celle-ci soit le plus souvent une scène plus traditionnellement rectangulaire et frontale. Je n'ai jamais vu le groupe live, mais j'imagine bien Léa exulter en se lançant dans ses voltigeuses pirouettes (cacahuète ?). Sur cet album, pour la première fois, elle pousse même la chansonnette sur quelques titres, histoire d'ajouter une corde (vocale) à son arc déjà pourtant bien pourvu en projectiles de toute sorte. Ce disque aligne douze chansons, entre blues chafouin, rock'n'roll débridé ("I wanna kill you"), boogie entraînant ("Anger bone"), swamp-rock poisseux ("Across the country" rappelle furieusement les belles heures de Creedence Clearwater Revival). De la Louisiane à la Californie, c'est tout un kaléidoscope de paysages qui défilent derrière les vitres cradingues d'une Chevrolet déglinguée, le cliquetis des claquettes n'étant pas sans évoquer ceux d'un moteur à bout de souffle prêt à rendre l'âme mais qui nous traînera bien encore quelques miles de plus, jusqu'au prochain motel délabré, jusqu'à la prochaine station aux pompes à la limite de la rupture de stock, jusqu'au prochain bar de bikers enfumé au sol imprégné de bibine bon marché. Quant à savoir quand on reverra son douillet petit chez soi, il va falloir s'armer de patience et de fatalisme.
Léo442
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