RÉTROVISEUR 7 - WINTERTHUR 1972 - PROCOL HARUM & STEPPENWOLF


Les 30 septembre et 1er octobre 1972, pour la venue exceptionnelle en Europe continentale de Procol Harum et Steppenwolf, les organisateurs suisses de Good News ne font pas les choses à moitié avec un livret en allemand et en français. En entrant dans la salle de Winterthur, ville proche de Zurich, vous avez droit à un coussin en mousse pour vous asseoir. L’ambiance est cool pour faire de ces deux journées des événements privilégiés, bien que l’acoustique soit passable dans cette sorte de gymnase.
 
Procol Harum - Gary Brooker - 30 septembre 1972

Ce samedi 30 septembre 1972, Procol Harum est accompagné par un orchestre symphonique suisse. Gary Brooker, en veste militaire s’installe au piano. Nick Grabham (guitare, ex-Cochise) remplace Dave Ball parti fonder un groupe de blues. Sa six cordes n’est pas prépondérante face au duo Gary Brooker (piano, chant) et Chris Copping (orgue) qui crée la sonorité caractéristique de Procol Harum. Sans oublier le parolier Keith Reid. Les compositions sont planantes, servies par le grand orchestre. Elles sont également violentes comme dans « Simple Sister » avec ses reprises fantastiques de B.J. Wilson à la batterie et Alan Cartwright à la basse. B.J. suit et exhorte Gary Brooker à se surpasser. Ils collaborent depuis si longtemps ensemble que les relances, après les passages lents, démarrent avec une formidable homogénéité. Il faut quelques secondes après chaque morceau pour que le charme qui enveloppe la formation déclenche les acclamations du public. Il y a une vraie fusion entre Procol Harum et l’orchestre, même si parfois on relève des décrochages dans le jeu des musiciens classiques. Car, contrairement à l’orchestre canadien de leur album « Live In Concert With The Edmonton Orchestra », c’est la première fois qu’ils interprètent le répertoire de Procol Harum. Mais les jeunes violonistes et choristes ressentent les vibrations en cadence lorsque le tempo s’accélère.

Procol Harum in Winterhur
Tous les standards de Procol Harum défilent de « A Salty Dog » à « Conquistador » en passant par « Grand Hotel », titre de leur prochain 33 tours à paraître en janvier 1973, à l’immense slow « A Whiter Shade Of Pale › de l’été 1967 qu’ils jouent à la demande du public, en troisième rappel. Leurs thèmes n’ont pas pris une ride, servis par la voix bourrée de feeling de Gary Brooker. Leur musique est hors du temps et des modes, ce qui lui confère un impact éternel. Leur triomphe est indéniable et Procol Harum revient sans l’orchestre symphonique pour deux classiques du rock’n’roll, « Great Balls Of Fire » de Jerry Lee Lewis et « Good Golly Miss Molly » de Little Richard, à la fougue percutante. Souvenirs d’une époque où ils évoluaient dans le style des Rolling Stones-Animals sous le nom des Paramounts. Tout à l’heure si posés, ils se démènent comme des diables sous une pluie de coussins en mettant le feu avec ces standards !

Ce dimanche 1er octobre, John Kay, sans et avec Steppenwolf, n’a pas voulu faire un détour par la France lors de sa tournée européenne, c’est donc nous qui l’avons fait, autant dire que Mike Lécuyer et moi ne le regrettons pas. John Kay entre en scène, tout vêtu de daim. Il branche sa guitare, à tour de rôle électrique (transparente) ou acoustique. Le coup d’envoi est donné. Il chante. Un frisson parcourt l’assistance qui vibre sous son emprise, et se délecte avec un plaisir non dissimulé de son rock. Comme l’indique les affiches, c’est le John Kay Band qui officie durant cette première partie avec Kent Henry (guitare, qui succède à Larry Byron), George Biondo (basse) Hugh Sullivan (orgue) et Patti « Whitey » Glan (batterie). Ces deux nouveaux seront remplacés respectivement pour la deuxième partie par Goldy McJohn et Jerry Edmonton, compagnons de Sparrow, qui feront revivre Steppenwolf.

En attendant, de passer à la vitesse supérieure, John Kay nous convie à déguster son dernier album, mélange de folk, de blues et de rock moins sauvage que celui du Loup des Steppes. Selon ses différentes inspirations, John Kay se partage entre une démarcation rock assez puissante, se concentrant alors sur le chant, puis revenant à la guitare. John Kay se démultiplie avec bonheur. Il balance des plans avec classe, provoquant même, surtout avec Steppenwolf, mais sans jamais donner dans le genre frime. Il aborde le folk et la country, comme il l’avait déjà fait avec « Corina, Corina ». Ses compositions ne dépareraient en rien le répertoire de Steppenwolf, il suffirait de remplacer l’organiste et le batteur pour accéder au palier au-dessus et que Loup hurle de nouveau. A ce sujet, contrairement à ce que j’avais écrit dans le précédent numéro de Maxipop, c’est bien Steppenwolf qui joue en seconde période dans la formation d’avant sa dissolution. Alors si c’est la dernière fois qu’ils sont ensemble sur scène, pas de remords à avoir John Kay Band est là pour prendre le relais. Et l’écoute de « I’m Moving On » m’en convainc pleinement. Sur un dernier accord, leur prestation s’achève.

L’entracte permet d’échanger quelques commentaires avec les confrères et de répondre à Claude Nobs, organisateur et maître de cérémonie de Montreux, qu’il n’y a pas que des effluves de Camel dans la salle, bien que cette marque patronne le spectacle !

John Kay in Winterhur
Déjà John Kay revient, en pantalon de cuir, et rugit « Sookie Sookie ». Steppenwolf donne immédiatement le ton. Kent Henry et George Biondo sont toujours là tandis que Jerry Edmonton cogne sec sur ses caisses. Goldy McJohn arrache à ses touches des notes vibrantes sur lesquels John Kay s’enflamme. Le son lourd, épais et puissant de Steppenwolf se répand dans la salle. Du pied, on marque le rythme, les mains claquent, la pulsation se fait plus forte, plus dense. Les morceaux se suivent et s’enchevêtrent. On reçoit un grand choc, le public exulte. Avec maîtrise, John Kay évolue sur scène en grand showman. De la guitare au micro, il tient tout-le monde en haleine. Les premières mesures de « The Pusher », sous l’effet de la guitare torturée de Kent Henry, plonge l’assistance dans la joie. Les applaudissements crépitent. Tous les classiques y passent. Avec « Monster » c’est le délire. John Kay, dans cette Suisse allemande, se sent comme chez lui. Il retrouve son enfance et, avec elle, sa virulence. Lorsque sonne l’intro du fantastique « Born To Be Wild », on est aux anges. John Kay, brandissant le pied du micro en l’air, envoûte le public.

Ceux qui croyaient, comme moi, que les Suisses boudaient quelque peu Steppenwolf, salle moins remplie que pour Procol Harum, voient la situation basculer de façon foudroyante en un triomphe. Toute le monde est debout et en redemande. C’est sous une formidable envolée d’acclamations que se terminent « Born To Be Wild › et Steppenwolf quitte la scène. A peine ont-ils eu le temps de descendre les quatre-cinq marches qui séparent celle-ci du sol qu’ils doivent faire marche arrière, tellement le public les rappelle.

John Kay in Winterhur

Vous en voulez encore, et voilà « Magic Carpet Ride ». L’orgue de Goldy Mc John grogne, la guitare de Kent Henry s’envole. John Kay nous arrache nos dernières forces tandis que Jerry Edmonton et George Biondo assurent comme des fous. Cette fois-ci, ils quittent le plateau mais les spectateurs ne l’entendent pas ainsi et le nom de « John Kay, John Kay » résonne en étant scandé avec force. De nouveau nos cinq compères sont là. John Kay dédie ce dernier medley au pionnier du rock’n’roll et part sur une impro, axé sur les standards de Chuck Berry « Roll Over Beethoven », « Johnny B. Good ›, etc. Mémorable. Cette fois-ci, c’est bien terminé, le speaker l’annonce au micro. Ils ne reviendront plus, mais rien à faire, l’assistance n’en démord pas et en veut encore, moi aussi d’ailleurs. Il faudra l’intervention de Claude Nobs pour que John Kay, de nouveau habillé de daim, vienne expliquer qu’il ne peut plus chanter. Et, alors miracle, surtout pour moi, un

Parisien habitué à l’Olympia, le public obéit et évacue les lieux tranquillement. C’est la preuve la plus grande et la plus éclatante de la victoire de John Kay et Steppenwolf. La conclusion, c’est John Kay lui-même qui me la donne et, aujourd’hui, je l’accepte : « Steppenwolf Rest In Peace. »

Jacques LEBLANC

Photos Mike Lécuyer
 
PS : Dans la voiture nous ramenant sur Paris, on met Europe 1 et, surprise, l’émission « Musicorama » programme Led Zeppelin et Faces avec Rod Stewart en concert. Mike et moi, sur les genoux, on était !

PPS : J’ai une pensée émue pour Gérard Bernar, fondateur de Best, qui nous a quittés le 8 juin 2025. En 1970, je débutais et il m’a tout appris sur le tas. Sans le savoir, il est devenu mon mentor. Je l’ai retrouvé de 1973 à 1976 à Extra. Je le citais à l’occasion dans mes éditos dans Juke Box Magazine. Et je le salue à nouveau où qu’il soit.
 
Jacques Barsamian et Gérard Bernar (de Disco Revue) au centre avec les Yardbirds Chris Dreja, Jim McCarty, Keith Relf, Jeff Beck et Paul Samwell-Smith boulevard Saint-Germain à Paris en 1965.

Commentaires

MikeBluesFr a dit…
Hé oui Jacques un beau week-end hélvète que ces deux concerts ! A bientôt avec d'autres souvenirs...

LE DISQUE DE LA SEMAINE