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MUSCLE SOULS – 2ème partie : Dan Penn au studio FAME à Muscle Shoals

 



           

La carrière de songwriter et de chanteur de Dan Penn commence à SPAR Music - Stafford Publishing and Recording - à Florence (Alabama), studio ouvert en 1959 par Tom Stafford, vite rejoint par Rick Hall et Billy Sherrill et situé juste au-dessus de la pharmacie du père de Tom Stafford.

Tom Stafford, manager notamment d’Arthur Alexander, était un personnage singulier – il était bossu et Dan trouvait que Tom ressemblait à une chauve-souris. Tout comme Rick Hall, Billy Sherrill était producteur et songwriter – ils ont notamment composés tous les deux Sweet And Innocent pour Roy Orbison (1958). C’est aussi Billy Sherrill qui a eu l’idée de raccourcir Daniel Pennington en Dan Penn, ainsi que de suggérer à Conway Twitty de reprendre Is A Blue Bird Blue?, gros succès en 1960. Dan avait composé ce morceau, ainsi que d’autres, restés inédits, dès l’âge de 16 ans. Pour Is A Blue Bird Blue?, Dan Penn s’était inspiré de ces blue songs genre Blue Moon pour les paroles, qu’il avait enrobées d’un riff à la Jimmy Reed.

La première fois qu’il est entré dans le studio – garçonnière (les trois gérants y avaient élu domicile), Dan Penn s’est dit que cet endroit était fait pour lui. Sentiments réciproques pour les trois gérants, bluffés par ce petit James Brown blanc. Rick Hall : Dan débarque au studio, the real deal, un vrai amateur de rhythm & blues, il s’y connaissait mieux que nous trois réunis. Dan est embauché illico comme auteur compositeur et son groupe d’alors, The Mark V, deviendra le groupe maison du studio FAME.


Dan enregistre son morceau You Don’t Treat Me Right, qui, couplé à Crazy Over You (écrite par Billy Sherryl) deviendra son premier single (septembre 1959). De nombreuses démos enregistrées lors de cette session restent à ce jour inédites.

Toutes les chansons de Dan sonnent juste du début à la fin et lorsque Dan chante l'une de ses chansons, le temps semble s'arrêter. La puissance de la musique prend le dessus, que la chanson soit joyeuse ou triste, lente ou up tempo. Il a beaucoup appris d’Arthur Alexander, réputé pour écrire ses chansons directement avec le cœur. Dan : J'ai suffisamment côtoyé Arthur pour beaucoup apprendre de lui. Sa simplicité m'a donné envie d'être plus simple. Si vous écrivez simplement et jouez simplement, vous procurez du plaisir à davantage de personnes.

Après avoir vu des producteurs ou managers, comme Chet Atkins par exemple, arrêter la bande avant la fin de la chanson, Dan s’est par ailleurs dit qu’il fallait accrocher l’oreille des auditeurs dès les 5-10 premières mesures. À chaque fois qu’on écoute un album dans lequel figure un ou plusieurs morceaux composés par Dan Penn, soit environ 200 albums (et plus de 500 chansons), on tend l’oreille, il(s) se détache(nt) du lot. Si vous ne me croyez pas, faites l’essai.

Lassés du caractère tyrannique et du ton péremptoire de monsieur je sais tout Rick Hall, les deux autres associés mettent fin à leur collaboration avec lui. Exit Rick Hall donc. On est mi 1960. Il ne sera pas long à créer son propre studio, FAME.

À la même époque, Dan obtient son diplôme et se fait employer dans une librairie, après que son père lui ait dit que la musique ne nourrissait pas son homme. Il ne sera pas long à revenir chez SPAR.

Dan, qui déclarera plus tard qu’il préfère composer à deux – le plus souvent lui à la guitare et au chant et le co-auteur au piano – fait la connaissance de Donnie Fritts. Ils composent leur premier morceau Almost Persuaded (Give It One More Try), en 1961, pour Jackie Weaver, qui deviendra la première chanteuse de démos chez FAME. Le morceau ne sera pas édité (la plupart des morceaux inédits seront édités par ACE des décennies plus tard). La chanson sortira finalement en A side d’un single de June Conquest, en 1964, avec un traitement à la Shangri-Las. Elle sera ensuite reprise par pas mal d’artistes. Billy Sherrill aimait par ailleurs tellement le titre de la chanson, qu’il en a fait un hit pour David Houston, avec une mélodie complétement différente. 

Bizarrement, d’autres titres co-écrits par Dan et Donnie Fritts resteront longtemps inédits. Par exemple, I Hope They Get Their Eyes Full (1962) et Rainbow Road (1965), toutes les deux écrites pour Arthur Alexander, ne verront le jour qu’en 2011 pour la première et sur le deuxième album d’Arthur, en 1972, pour la deuxième. Il existe de nombreuses versions de Rainbow Road, la plus envoutante restant la démo enregistrée par Dan Penn lors d’une session FAME le 7 août 1965, disponible sur le premier album de demos FAME Recordings par Dan Penn sorti sur ACE en 2012.

            




En 1962, Dan se marie avec Linda Gail, sa highschool girlfriend. Ils vivent toujours ensemble. Le jeune couple s’installe à Dallas où Dan bosse dans le Bible Store de la tante de Linda. Au bout de trois mois et après avoir vu un groupe jouer dans la rue, il décide que son avenir réside dans la musique.

Si Dan Penn déclare en général qu’il n’a jamais écrit de chansons biographiques, son amour pour Linda explique le respect considérable que Dan a pour les femmes et qu’on retrouve dans ses chansons. Il n’y a qu’à écouter Uptight Good Woman, par exemple.

De retour à Florence, il n’est pas long à croiser Rick Hall, qui lui montre une photo (ou un contrat, les versions varient) de son tout nouveau studio à Muscle Shoals – FAME / Florence Alabama Music Enterprises. Le FAME Publishing a été fondé en 1959 par Billy Sherrill, Tom Stafford et Rick Hall mais c’est ce dernier qui créera le studio du même nom en solo.



603 Avalon Avenue, Muscle Shoals, Alabama

Dan est embauché comme homme à tout faire pour $ 25 par semaine : vous aviez besoin d’un café, d’un burger, d’une chanson, … J’étais votre homme.

Rick Hall a pu faire construire son nouveau studio grâce aux retombées ($ 10.000) du succès de You Better Move On de et par Arthur Alexander. Je pense qu’Arthur Alexander est un des héros oubliés, ou presque, de la soul. Même ses potes n’aimaient pas sa musique, la jugeant trop country. Il reste adulé en Angleterre. Passé ce succès et quelques autres au début des années 60, il retournera conduire son bus scolaire et n’enregistrera que deux autres albums, en 1972 et en 1993, juste avant sa mort. Ce dernier album, auquel Dan Penn a largement participé, a été produit par Ben Vaughn. Quand j’avais demandé à Ben s’il avait des anecdotes pour mon article fleuve sur Arthur dans Dig It!, il m’avait répondu : j’ai déjà tout dit dans le livret (CD), j’ajouterai juste que quand j’ai rencontré Arthur la première fois dans le hall de cet l’hôtel de Cleveland, je me suis dit que c’était la personne la plus grande que j’aie jamais rencontrée, au propre comme au figuré.

Voilà donc Dan Penn embauché au studio FAME, à l’équipement assez rudimentaire, à l’instar de Fortune et Motown à Détroit, de Stax à Memphis ou de Malaco à la Nouvelle Orléans, studios d’où sortiront, à cette même époque, des disques intemporels.

Parallèlement, en 1962-63, Dan continue de donner des concerts et même à sortir des disques : un 7’’ des Mark V et un autre sous son nom – enfin pas tout à fait, Rick Hall n’aimant pas la sonorité du patronyme Dan Penn, l’a au fil des ans affublé de différents pseudos, comme Danny Lee ou Danny Penny pour le single ci-dessous, sorti fin 1962, sous ces deux noms.

      




Dan remarque un disque en train de prendre la poussière sur une des étagères du studio. Il s’agit de Steal Away de et par Jimmy Hughes, le premier single enregistré chez FAME. Aucun label ne voulait de ce disque du cousin de Percy Sledge, à l’évidence influencé par Donnie Elbert période soul. Rick Hall fait écouter le single à Dan, qui entend un hit en puissance. Sur les conseils de Dan, Rick Hall fait presser le 1er single FAME à 2 000 exemplaires, qu’ils iront tous les deux distribuer aux radios et magasins de musique black. Le disque se vendit très bien et Dan déclarera qu’il ne s’est jamais autant amusé que pendant ce road trip avec Rick Hall.

Dan est l’auteur de 19 des 52 chansons, soit 26 singles sortis sur FAME. Il y a aussi bien sûr des singles sortis sur d’autres labels, et des albums.

Dan et Rick Hall composeront pas mal de morceaux ensemble, dont cinq ou six pour Jimmy Hughes (Midnight Affair, Lovely Ladies, Don't Lose Your Good Thing, ...).  On peut aussi citer :

-       You Left The Water Running, au départ pour Otis Redding, à qui Dan montrera comment interpréter le morceau. La version de Big O ne sortira que bien après sa mort. La première version à sortir sera celle du protégé de d’Otis, Billy Young. J’ai recensé une soixantaine d’autres reprises à ce jour,

-     Come On qui sera un tube par Tommy Roe (et repris en Français et en Italien),

    Break Up The Party pour Linda Gail Lewis, la sœur de Jerry Lee.


        Dan Penn & Rick Hall

Mais le co-auteur privilégié de Dan Penn sera Spooner Oldham, son pote depuis Mark V et The Pallbearers), qui rejoindra Dan chez FAME un an plus tard. Les deux complices se verront rapidement confier les clés du studio. Ils pouvaient ainsi composer jour et nuit.

Il existe 3 compiles dont 2 sur ACE avec chacune 24 chansons composées par Dan et Spooner, période FAME et American Studios à Memphis (prochain chapitre). Il y a encore matière à en sortir 2 ou 3 autres.

Quand ils ont commencé à composer ensemble, Dan passait beaucoup de temps à trouver des titres de chansons catchy en épluchant les unes des journaux et les articles de magazines.

Parmi leurs morceaux les plus connus de la période FAME, on peut mentionner :

-       Let’s Do It Over pour Joe Simon, que son label Vee Jay avait envoyé chez FAME pour qu’il revienne avec un hit). C’est la toute première chanson qu’ils ont co-composée,

-        I’m Your Puppet – 2ème morceau écrit par le tandem, lors d’un barbecue, en « hommage » à une guitare 12 cordes que Dan venait d’acquérir (Dan : sans cette guitare, le morceau n’aurait pas existé. Le morceau est tout d’abord sorti sur un single de Dan Penn), qui a fait un carton pour les Purify Brothers mais aussi pour d’autres artistes,

-       In The Same Old Way pour Bobby Bare et Arthur Conley, pour qui Dan & Spooner ont aussi composé Take Me (Just As I Am) et I Can’t Stop (No, No, No), chanson sur laquelle Arthur Conley se prend pour Marvin Gaye,

-       I Do par les Vel-Tones et plein d’autres, dont Dan sur son dernier album,

-      Le motownesque Keep On Talking par James Barnett, qui est la première chanson signée Dan & Spooner à voir le jour sur un single,

-       Wish You Didn’t Have To Go pour Tommy Roe, chanson beaucoup reprise, notamment pas des Canadiens,

-       It Tears Me Up, morceau écrit au départ pour Jimmy Hughes, mais la bande a été perdue ! Reste la démo de Dan, janvier 1965. C’est Percy Sledge qui, avec son 3ème single, en fera un des plus gros succès sortis du studio FAME. Une trentaine d’autres artistes reprendront ensuite le morceau, qui figure également souvent sur la set list des concerts de Dan, en solo ou avec Spooner Oldham,

-       She Ain’t Gonna Do Right, une tear jerking ballade, pour Wilson Pickett, qui, envoyé pour une session chez FAME par son label, Atlantic, a flippé dès son arrivée sur sa terre natale d’Alabama genre je ne veux pas rester ici, après avoir constaté qu’il y avait encore des noirs qui travaillaient dans les champs.

Tous ces morceaux se retrouvent parmi d’autres sur les deux albums de Dan Penn demos inédites sortis par par ACE en 2012 et 2016. Voici la cover du 2ème.



Il y a aussi ce morceau I Tried To Tell You écrit pour Jimmy Hughes en 1964 dont Lee Hazlewood a dû s’inspirer pour son morceau (album éponyme) Friday’s Child, sorti l’année suivante.

La liste est longue et il y a aussi plein d’inédits, dont « Stone Loser », par Ben & Spence et dont je rêve d’écouter un jour la version démo par Dan Penn, intitulée Stone Lover (CF. ci-dessous) ou Stone Looser selon les sources.


Parallèlement, durant cette période (1964-66), Dan et Spooner sortent leurs propres singles, des solos par Dan, sous son nom ou pseudo (Abel), ou bien sous le nom de Spooner & The Spoons ou Spooner's Crowd, sur les labels FAME, MGM ou Cadet (filiale de Chess).

                         




        

Dan et Spooner n’ont jamais tari d’éloges l’un envers l’autre. Ils sont toujours amis. Spooner : Dan est l’un des plus grands chanteurs au monde.  Dan : Spooner a le don de trouver des suites d’accords fantastiques. Quand il joue du piano, j’entends un orchestre.

FAME ce sont aussi bien sûr aussi les musiciens maisons – au départ les bandmates de Mark V, avant qu’ils ne partent pour Nashville pour de meilleurs cachets, et tous les autres auteurs – Dan Penn, vous avez compris que cette suite d’articles lui est dédiée, a notamment pas mal composé avec Marlin Greene. Pour la liste complète, et pour éviter que cet article ne soit trop long (ou encore plus long), je vous invite à consulter les nombreux articles consacrés à FAME ou mieux, les liner notes des disques ou le bouquin de Rick Hall. 

Parmi les anecdotes concernant FAME / Rick Hall (on aura l’occasion de parler de l’épisode Aretha Franklin dans le prochain chapitre), revenons sur Percy Sledge, encore inconnu en 1965. Dan Penn avait arrangé un morceau intitulé Why Did You Leave Me, produit par Quin Ivy (DJ et boss du studio Tune Town, à Sheffield). Dan va chercher Rick Hall pour lui présenter ce nouveau chanteur. Rick rejette illico cette démo : it’s a miss ! Si les choses s'étaient passées différemment, Dan aurait produit le hit de Percy Sledge, finalement sorti sous le titre When A Man Loves A Woman.

Rick Hall a toutefois présenté Quin Ivy à Jerry Wexler (un des deux boss d’Atlantic) et la chanson a été publiée sur Atlantic Records en 1966, devenant rapidement n° 1 des charts pop et R&B, avec Spooner Oldham à l’orgue Farfisa.

Ce raté a toutefois permis de sceller une relation entre Rick Hall et Jerry Wexler pour la prochaine décennie. Une opportunité pour Rick Hall, après le déclin de Vee-Jay, qui s'occupait de la distribution des disques FAME. Les relations se sont dégradées après que la section rythmique de FAME signe un deal avec Atlantic et aille ouvrir leur propre studio, Muscle Shoals Sound Studio, basé à Sheffield, Alabama, au 3614 Jackson Highway – Cher en a fait le nom d’un album.

Quin Ivy a proposé un poste d’arrangeur à Dan. Rick Hall a réussi à garder Dan – mais pas pour très longtemps - en acceptant de lâcher Marlin Greene à la place.

Rick Hall a continué à gérer le studio FAME, qui existe encore aujourd’hui, jusqu’à sa mort en 2018.

Dan Penn est souvent crédité comme arrangeur de nombre des disques évoqués ci-dessus, entre autres. Mais le producteur exclusif, c’était Rick Hall, le boss de FAME. Dan ira faire ses classes de producteur dans un autre studio, celui de Chips Moman, à Memphis. Résultat : 1er titre produit, plus gros succès du studio. À suivre donc.

Patrick Bainée

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